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« Même quand on est féministe, on baisse les yeux » : La parole se libère à l’hôpital

"Même quand on est féministe, on baisse les yeux" : La parole se libère à l'hôpital

Article mis à jour le 7 mai 2024 à 15:26

À l’hôpital, la parole se libère dans le monde médical via les syndicats, étudiants et professionnels qui dénoncent à l’unanimité une « culture carabine » et patriarcale. Un climat d’omerta propice aux violences sexistes et sexuelles. Dans les Pyrénées-Orientales, le syndicat des internes du Languedoc-Roussillon et le Conseil Interdépartemental de l’Ordre des Infirmiers ont tous deux porté la parole du corps médical.

Dans le cadre d’une enquête publiée le 10 avril dernier sur Paris Match, Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier à l’hôpital Saint-Antoine accusait l’urgentiste Patrick Pelloux de « harcèlement sexuel et moral ». Une prise de parole qui ouvrait la porte à une avalanche de témoignages sur les réseaux sociaux, dans les médias ou auprès des associations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ce 10 avril marque le début du #MeeToo hospitalier dans la lignée du mouvement déclenché début 2017 aux États-Unis.

« On sait depuis longtemps qu’il y a un problème »

En 2022, l’association des étudiants des professions de santé de la subdivision de Montpellier, dont Perpignan dépend, a mené une enquête sur les violences à caractères sexuels à l’hôpital. Sur les 910 externes qui ont répondu à cette enquête, quatre étudiants ou étudiantes déclaraient avoir été violés pendant leur stage. Et près de 40% des étudiants affirmaient avoir été confrontés à des remarques sexistes et sexuelles. Sur l’ensemble des hommes interrogés, 15% confiaient avoir été l’objet de remarques. Ces chiffres révélaient déjà qu’en 2022, le milieu de la santé était propice à de nombreux abus, allant de la blague graveleuse à de véritables agressions.

La proportion élevée de réponses positives alertait d’autant plus que seuls les externes, ces étudiants dont les gardes se déroulent par demi-journées, étaient concernés. Cette instruction a aussi démontré la propension au harcèlement, notamment perpétré par la hiérarchie. Des chiffres évocateurs selon Marie-Camille Riolacci, vice-présidente en charge de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au syndicat des internes du Languedoc-Roussillon. « Ces chiffres révélés bien avant les révélations de Karine Lacombe montrent qu’on sait depuis longtemps qu’il y a un problème. » 

Un quotidien hospitalier parsemé de violences sexistes et sexuelles

«C’est pas ton choix qui nous intéresse, c’est ta chatte. – J’aimerais bien mettre du chocolat sur tes seins.» Ces phrases, Louise* les a entendues lorsqu’elle était encore interne en service de médecine générale. « Même quand on est féministe, on baisse les yeux », avoue-t-elle, avant de se remémorer les scènes : « Quand on nous dit ces choses, c’est devant tout le monde et on est prise de court. » Autour d’elle, personne ne réagit. Est-ce que tout le monde rigole ? Non. Est-ce que le climat d’acceptation tacite d’un environnement ultra-sexualisé rend ce genre de scène banale ? Certainement.

À l’hôpital, les remarques sexistes et les comportements inappropriés sont monnaie courante. Parfois, c’est une sous-évaluation des compétences des femmes, « le plus soft » pour Louise. Les remarques comme « avec ton physique, pas besoin de t’embêter à faire des études de médecine pour réussir » ; ou encore « vas en pédiatrie, ce sera plus adapté à ta condition féminine » sont des commentaires presque ordinaires dans les couloirs de l’hôpital. Il y a aussi ces insinuations graveleuses. Une étudiante en externat a rapporté au syndicat des internes d’Occitanie les mots de son supérieur : « Les temps ont bien changé, maintenant on ne peut plus rien faire. Mais avant la petite externe elle était bien contente de se faire baiser dans un coin et de sucer nos bites ».

Dans les colonnes de Paris Match, Patrick Pelloux se justifie : « Ce que nous faisions est infaisable aujourd’hui. Mais on rigolait bien. » Effectivement, les temps ont changé, mais à l’époque, qui rigolait ? « Probablement pas les jeunes femmes, qui ne sont encouragées à témoigner que depuis peu », dénonce Karine Lacombe, dans Le Parisien.

Le poids de la hiérarchie pour réduire au silence

Un environnement aussi hiérarchique que celui de l’hôpital favorise les cas de violences sexuelles. Dans le milieu médical, les professeurs universitaires sont des professionnels nommés à vie. Ces médecins, adulés par leurs pairs et considérés comme des « dieux vivants » par leurs étudiants, se révèlent parfois être au centre d’un véritable système toxique. Ils sont brillants, ce sont d’excellents chercheurs, publient régulièrement et rapportent énormément d’argent à leurs hôpitaux. Avec une telle réputation professionnelle, les stages associés aux spécialistes problématiques sont de fait, difficiles « à faire fermer », déplore la vice-présidente du syndicat. D’autant plus quand il s’agit d’une spécialité de niche. Dans ce cas, impossible pour les étudiants de trouver un stage équivalent.

Au-delà de la problématique liée à la recherche d’un stage, des menaces pèsent sur les internes. Dans les spécialités plus restreintes comme la chirurgie ou l’ergologie, les professionnels se connaissent tous et se respectent. Les risques de représailles sont donc nombreux pour les étudiants, qui ont peur de ne pas trouver un poste à l’hôpital suite à une dénonciation. « Souvent ces internes viennent nous parler de leurs problèmes, mais ne veulent pas que nous agissions. Parce que même si les plaintes sont anonymisées, on saura très vite quel interne a parlé et sa carrière en payera le prix fort » affirme le syndicat des internes d’Occitanie.

L’hôpital est-il encore sous le règne des traditions « carabines » ?

Surnom des étudiants en médecine, les carabins cultivent année après année les traditions dites « carabines ». Alcool, sexe, rapport particulier au corps ; ce que les carabins définissent comme le « folklore » des études médicales est une réalité qui persiste.

Celui qui entre pour la première fois dans un de ces internats peut en perdre son latin. Sur les murs délabrés, des fresques hallucinantes : des phallus démesurés, des coïts explosifs, des poitrines fantasmées. Dans ce décor, des internes en blouse blanche prennent leur repas. Ces dessins à caractère pornographique représentent des figures emblématiques de l’hôpital. Le 8 mars dernier, journée nationale des droits des femmes, la fresque du CHU de Montpellier a été tapissée de collages. Les mentions « fresque = humiliation », « culture carabine ou culture du viol ? » ou encore « la cantine c’est pas YouPorn » recouvraient les scènes les plus explicites.

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Cette pratique « artistique », pour une partie du corps médical, existe depuis le XIXe siècle. Créé en 1802, le statut d’interne impose aux étudiants une vie à l’hôpital, en « internat ».  Les salles de garde deviennent donc un lieu de vie. Et la tradition veut que discuter de médecine, de religion ou de politique soit proscrit. Dès lors, l’interne intègre la communauté et adhère à l’esprit carabin. Les salles de garde finissent par se transformer en salles de bal où tous les six mois, on fête l’arrivée ou le départ des internes. Une salle où les fresques personnalisées font office de papier peint. Si pour certains, ces décors représentent une tradition à laquelle il ne faut pas déroger, pour d’autres, il faut les effacer. « On se prive de toute une partie de médecins qui ne veulent pas adhérer à cet environnement et qui finissent par se mettre en libéral. » déplore Marie-Camille Riolacci.

Quelles solutions contre les violences sexistes et sexuelles à l’hôpital ? 

Comment faire en sorte que les choses changent, que cesse le déni, l’omerta et les violences ? La prise de conscience à travers la libération de la parole et les témoignages n’est qu’un premier pas. Cette prise de conscience passe aussi par la sensibilisation des soignants et futurs soignants, mais aussi par une réelle prise en compte des victimes.

En France, l’employeur a l’obligation légale de protéger son personnel et de prévenir de possibles violences sexuelles. Or, dans toute la subdivision de Montpellier, le centre hospitalier de Nîmes est le seul à respecter cette exigence. La « Cellule Stop » mise en place dans le Gard n’a donc pas d’équivalence dans les Pyrénées-Orientales**. Si les universités mettent en place des formulaires en ligne pour dénoncer les violences et le harcèlement, ce dispositif est peu utilisé.

« Les gens pensent que ça ne sert à rien », affirme la vice-présidente en charge de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au syndicat des internes du Languedoc-Roussillon. Marie-Camille Riolacci précise également que « le sexisme est tellement normalisé que les cas qui arrivent jusqu’au syndicat sont des affaires qui sont vraiment graves. Le sexisme ordinaire remonte très rarement à nos oreilles. »

Le syndicat des internes de la région a mis en place un réseau de professionnels, vers lesquels orienter les internes qui témoignent de harcèlement. En complément des psychologues et des associations d’aide aux victimes, des professionnels spécialisés dans le domaine du harcèlement et des violences à caractères sexuels tiennent une permanence juridique deux fois par mois.

Les infirmières ont « pendant de trop longues années banalisé » les actes

Mais qu’en est-il du reste des autres soignants ? Depuis un an, l’Ordre des infirmiers travaille pour que l’ensemble des professionnels infirmiers se sentent en confiance pour déclarer toute violence, harcèlement ou agression. Quand une violence sexiste et sexuelle est dénoncée par une infirmière ou un infirmier, le Conseil Interdépartemental de l’Ordre des Infirmiers (CIDOI) accompagne et soutient le professionnel durant toutes ses démarches. La victime est soutenue de l’accompagnement psychologique, au dépôt de plainte, jusqu’au tribunal. Anne Fillip, référente « violences faites aux soignants », accompagne activement chaque professionnel dans ses actions de dénonciation. « Jamais un l’Ordre Infirmier ne banalisera une agression faite sur des professionnels de santé. » affirme Anne Filipp.

Les infirmiers, comme les autres professionnels de santé, commencent peu à peu à prendre la parole. Un constat que fait Valentin Bisiaux, président du CIDOI de l’Aude et des Pyrénées-Orientales : « La profession infirmière a pendant de trop longues années banalisé ce qu’elle pouvait vivre. » En collaboration avec France Victime 66, le CIDOI veut « amener les soignants à avoir une démarche de signalement d’une agression qui a été vue sur d’autres soignants », annonce fièrement Valentin Bisiaux.

Selon la fédération nationale des étudiants en sciences infirmières, plus d’un étudiant sur six est victime d’agression sexuelle par sa hiérarchie, au cours de sa formation. Selon le syndicaliste, plusieurs faits d’abus sexuel sur des soignants par leur hiérarchie ont été signalés, mais « aucun fait n’a été remonté dans les Pyrénées-Orientales à ma connaissance. »

* Le prénom a été modifié
**Contacté, le centre hospitalier de Perpignan n’a pas souhaité répondre à nos demandes.

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Lou Jourdren