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Photoreportage | Au cœur de l’hôpital de Perpignan, un an après le début de la pandémie

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP

Article mis à jour le 16 décembre 2021 à 22:10

26 janvier 2020. La France évoque pour la première fois le virus sans nom, le virus « chinois ». 3-4 cas viennent d’être détectés. Sur les plateaux télé, les invités se gaussent autour des mesures de confinement prises à Wuhan : « Jamais, on ne pourrait faire une telle chose chez nous ! On serait tous morts [rires] « .

26 janvier 2021. Alors que plane l’ombre d’un troisième confinement et que la troisième vague de l’épidémie est attendue dans quelques jours, Made In Perpignan a passé une journée au cœur du Service des Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital de Perpignan ; chef de file de la Covid-19 dans les Pyrénées-Orientales depuis le début de la crise sanitaire.

♦ En attendant, la fin de la « relève »

Cadre infirmier en poste au Smit depuis le 4 janvier, Adeline nous récupère à l’accueil du bâtiment situé face au bâtiment principal de l’hôpital. Après un rapide tour du service, elle part assister à la relève du matin. Durant cette transmission des informations entre soignants, nous patientons dans la salle de repos où nous rencontrons Élodie. Nous échangeons quelques mots autour du premier café de la journée avec cette jeune infirmière diplômée depuis 2 ans et demi. Elle est affectée pour la journée au centre de vaccination et la consultation.

« J’étais là pour la 1ère, et la 2ème vague ; et depuis il n’y a pas vraiment d’accalmie sur le front de la Covid. Mais cet été, nous avons quand même pu prendre nos vacances. La direction a insisté, sinon nous n’aurions pas pu tenir ».

Une de ses collègues franchit le seuil. Elles échangent sur les personnels contaminés par le Coronavirus ; une dizaine au total. « Vous savez ici, on mange de la Covid à la petite cuillère ; alors c’est vraiment une chance si on ne l’attrape pas ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ L’indispensable réunion des équipes autour des dossiers des patients

Médecin interne spécialiste en maladies infectieuses, Aurélia Eden exerce au Smit depuis 2007. Elle nous explique cette étape cruciale dans la gestion du service.

« Chaque jour les infirmiers montent avec les aides-soignants, les médecins et le cadre pour faire le point avec la secrétaire médicale des patients qui sont présents dans les lits et quelles sont leurs problématiques médicales. Nous voyons les éventuels examens à fournir, le diagnostic, les traitements en cours, l’éventuelle évolution et où ils iront après le Smit. Ce matin par exemple, un de nos patients devait partir en centre de convalescence ; mais ils ont dû fermer leur accueil pour cause de cluster Covid. Pour ce patient, il va falloir trouver une alternative, car ici nous sommes une unité de court séjour ». 

Le service du Smit est divisé en 2 secteurs : un premier ouvert uniquement en semaine, et le second avec 12 chambres dont 5 à sas. Ces chambres sont équipées d’un dispositif dit à pression négative, cela permet un accueil optimal des patients atteints de maladies infectieuses et contagieuses. C’est le cas des patients Covid positif.

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Maïté Torres / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ S’organiser pour maintenir la vocation première du Smit

Aujourd’hui, nous confie le docteur Eden, « sur les 7 chambres du secteur d’hospitalisation classique , nous avons conservé une activité normale ». En clair, le service du Smit peut accueillir tout type de pathologies liées à une maladie infectieuse ; de l’infection des poumons (pneumopathie) aux patients immunodéprimés suite à une chimiothérapie, en passant par les personnes récemment greffées du rein. Contrairement à la première vague du mois de mars, où tout le service était dédié au Covid.

Les 5 chambres à sas sont, elles, dédiées aux patients Covid+. L’hôpital compte d’autres services avec des secteurs Covid ; comme le service de pneumologie. Par ailleurs, depuis ces derniers jours, un service complet a été ouvert avec 10 lits. Malgré la crise sanitaire, le service des maladies infectieuses et tropicales arrive à maintenir sa vocation première.

« Au Smit, nous sommes polyvalents ; car nous faisons aussi bien de l’hospitalisation que de la consultation externe, de la vaccination, du diagnostic. Nous sommes un centre de dépistage des IST* et nous assurons des permanences rue de la petite monnaie et à Narbonne ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Des rendez-vous vaccinaux, au transfert des patients et à la gestion des familles

Samantha est une des secrétaires médicales du Smit ; avant d’ouvrir le standard qui s’affole, elle finit de traiter les mails. « Je reçois 90 mails par jour, la procédure pour prendre rendez-vous a beaucoup changé, et au début, il fallait prendre rendez-vous par mail ». Aujourd’hui, Samantha organise les rendez-vous vaccinaux pour les patients du service, ceux qui sont immunodéprimés ou suivis par les médecins du Smit ; mais aussi les personnels de l’hôpital.

Dans les couloirs, une discussion s’engage au sujet de la patiente Covid+ qui vient de partir vers le service de réanimation du fait de l’aggravation son état de santé. « Je vais donner les coordonnées téléphoniques de la réanimation à la famille ».

La gestion des familles est un sujet particulièrement complexe. Depuis quelques jours et l’aggravation de la circulation du virus, l’hôpital a interdit toute visite des patients. Anaïs nous précise que les familles ne sont acceptées que sur dérogation médicale. C’est le cas pour les patients en fin de vie par exemple. « Le protocole Covid est très strict, et nous ne pouvons pas gérer l’habillage, et le déshabillage, de toutes les visites ». Particulièrement dure pour les familles, cette mesure impacte également les équipes.

« Les familles sont inquiètes, elles ont besoin qu’on les rassure par téléphone, rien de plus normal. Mais parfois on n’a pas le temps de répondre parce qu’on est auprès d’un patient ; du coup, ils rappellent et le téléphone n’arrête pas de sonner… ».

Pour Élodie, il faut comprendre ces familles qui sont inquiètes ; « mais le téléphone H24, c’est compliqué ». « Ce temps dédié à répondre aux familles par téléphone est un temps que l’on doit intercaler avec le reste des tâches que nous devons réaliser dans la journée ».

© Idhir Baha

♦ La nécessaire désinfection après une sortie Covid

Après le transfert de la patiente en réanimation, Carole, Agent des Services Hospitaliers prend le relais pour décontaminer la chambre. Une décontamination qui dure 30 minutes environ, selon Carole ASH depuis 10 ans dont 5 à l’hôpital.

« Pour la première vague, j’étais dans le service d’orthopédie et on a aussi couvert le Covid. Oui, j’avais des craintes, je ne suis pas allée voir mes enfants et mes petits-enfants. Mais maintenant, je fais juste plus attention en évitant de les embrasser ».  

Tout à coup, une odeur de cigarette se répand dans le couloir, c’est un des patients qui a du mal à gérer ses addictions, nous confie Sylvie aide-soignante. « Alors Ninou, il faut pas fumer ici, et en plus tu écrases ta cigarette sur le lino ». Sylvie, réprimande gentiment mais fermement cet homme à la cinquantaine et au visage émacié que l’on imagine marqué par les événements de la vie.

La gestion des patients présentant un profil « psy » est compliquée ; aussi bien dans le service du Smit que dans les autres services hospitaliers. Dans le cas présent, le patient peu précautionneux a brûlé le sol de sa chambre, mais aussi la potence.

© Idhir Baha

♦ La vaccination, un vaste débat

Nous retrouvons Élodie dans le secteur des consultations. Elle et sa collègue échangent à propos de la vaccination. « Ici nous vaccinons essentiellement les patients que nous suivons, et ils nous questionnent sur les effets secondaires ». L’une des deux jeunes femmes n’est pas vaccinée. Elle se dit plus méfiante « à force d’entendre des trucs. Ce n’est pas le produit que je remets en cause ; mais je me demande si ça va vraiment être efficace ».

Sont-elles inquiètes suite au récent décès d’une dame de 95 ans après avoir reçu sa première dose ? « Mais non, ce n’est pas ça. D’ailleurs, ça m’énerve ces rumeurs ! À 95 ans, les personnes âgées ont bien le droit de mourir de mort naturelle quand même ! ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ « Il n’a pas fallu attendre la Covid pour que ce soit le feu »

Les deux jeunes femmes échangent à propos du métier d’infirmier.e en établissement hospitalier, un métier usant. « Les semaines peuvent être très différentes en termes de charge de travail ; mais aussi de charge mentale liée aux décès dans le service. Il y a des semaines où j’ai du mal à gérer parce que je culpabilise. J’ai l’impression de ne pas avoir bien fait un acte, alors que je n’ai pas fait plus mal que d’habitude ».

Elles sont unanimes, elles n’ont pas ressenti le confinement. Mais pour les deux amies, « ça commence à faire long et tout se mêle ». L’inquiétude des proches, les applaudissements ? « Mes proches s’inquiètent plus de la charge mentale et émotionnelle, et les applaudissements, je ne sais pas trop quoi en penser. D’un côté, c’était galvanisant, on nous disait qu’on était sur le front. C’était une reconnaissance, on a beaucoup parlé de nous pendant la Covid ; mais le reste de l’année c’est un métier compliqué.« 

« D’ailleurs je crois que les infirmières en hôpital sont usées au bout de 5 ans**. Il n’a pas fallu attendre la Covid pour que ce soit le feu. Pendant nos études, durant nos stages, on voyait bien la pénibilité. On entendait bien les personnels râler. Mais malgré tout, on est là pour le soin aux patients. Il y a aussi le volet administratif qui pèse, les demandes de transport ou la lampe qui grille, sont autant de moments passés loin des patients. Toutes ces petites choses viennent perturber les tâches du quotidien ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Des applaudissements aux petites attentions de la 1ère vague

Sylvie, aide-soignante depuis 2006, se remémore ces moments avec humour. « Quand j’arrivais dans mon quartier à 20h, tout le monde m’applaudissait. J’étais toute gênée parce que je ne comprenais pas. Pour moi ce n’était pas mérité, je ne faisais que mon métier. Et puis je n’avais envie que d’une chose c’est rentrer chez moi et voir mes enfants ; et pas de parler du boulot après le boulot ». 

Puis il y a eu les chocolats, les bons petits plats offerts. Sylvie regarde sa collègue Sabine et dans un rire, lui dit « avec toutes ces bonnes choses, j’ai pris du poids, mais qu’est-ce que c’était bon ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Entrées-Sorties, le lot quotidien du service du Smit

Ce 26 janvier, il y a eu 3 entrées et 4 sorties du service du Smit. Pour Sylvie et Sabine, les entrées le matin sont très compliquées à gérer. Le matin est le moment des toilettes des patients, le temps de faire les lits, d’aider au petit-déjeuner, de remettre en ordre les chambres. Les soignants font également plusieurs tournées le matin ; pour prendre les constantes, administrer les médicaments, voir avec le patient si tout va bien. Bref, le matin n’offre aucun temps mort dans l’emploi du temps des personnels soignants ; ce qui fait dire à Sylvie que les admissions le matin sont difficiles à gérer.

« Vous voyez la dame qui est entrée ce matin, nous n’avons même pas le temps de passer la voir. Ce n’est pas agréable de ne pas être accueillie, rassurée quand vous êtes hospitalisée ».

Car oui, les entrées comme les sorties sont des moments critiques pour les équipes : gérer le transport, préparer le lieu d’accueil (domicile, centre de convalescence, service de réanimation), prescrire les médicaments, l’oxygène (pour le cas d’une hospitalisation à domicile), désinfection de la chambre, appel aux familles…. Autant d’étapes chronophages et qui bousculent les emplois du temps de soignants chronométrés.

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Covid-19, un virus et une maladie qu’il a fallu appréhender

Pour Aurélia, « La Covid est une maladie qui va tantôt mieux, tantôt moins bien. L’aggravation de l’état du patient peut se faire en quelques heures. La semaine dernière, on a eu un transfert en réanimation par jour« .

Sa vigilance est accrue à la fin de la première semaine. « Les gens ont une infection déclarée avec de la fièvre de la toux, durant une semaine. Ils tiennent un peu le choc ; et au moment où arrive la 2ème semaine, c’est là où tout se joue. Soit ils se stabilisent et se remettent doucement, soit ils se dégradent et commencent à s’épuiser. C’est là qu’on a besoin de la réanimation quand l’oxygène seul ne suffit pas ».

Ces symptômes longs compliquent singulièrement la logistique des centres de soin. Aurélia de préciser « quand on les accueille après 4 ou 5 jours de symptômes, il faut attendre ce seuil du 8 ou 10ème jour pour décider s’ils pourront rentrer ou pas. Quand ils commencent à être trop dépendants de l’oxygène, on démarre la corticothérapie pour essayer de calmer un peu l’orage inflammatoire provoqué par la Covid. Et là, soit on arrive à les maintenir, soit c’est le service de réanimation qui prend le relais. Du coup l’hospitalisation peut être très longue pour les gens fragiles comme les greffés du rein ou les dialysés. Ces patients sont déjà fragilisés par leur pathologie, la durée de la convalescence et la durée de la dépendance à l’oxygène peuvent être très longues ».

© Idhir Baha

♦ L’arrivée de Marie, 93 ans, Covid+

Tout d’un coup, les petites mains s’activent pour l’arrivée de Marie*** ; une patiente de plus de 90 ans. Marie semble toute frêle ; « elle est toute mignonne et gentille » ajoutera plus tard dans la salle de repos une aide soignante. Marie a été testée positive à la Covid-19 le 19 janvier, elle arrive de l’Ehpad où elle réside. L’oxymètre installé à son doigt indique que la concentration d’oxygène dans son sang n’est que de 57%. Un sujet doit avoir une saturation comprise entre 95% et 100%. Anaïs et l’interne s’activent autour de Marie ; elles tentent plusieurs méthodes pour insuffler le plus d’oxygène possible afin de l’aider à respirer. Marie est aussi désyhdratée ; les aides-soignantes passent pour le repas, mais elle ne mange qu’une compote.

Au bout de quelques minutes, le soulagement, le capteur au bout de son doigt indique 95%. « On a mis le maximum, 15 litres ; mais si ça baisse plus on ne peut plus rien faire ». Anaïs de nous confier, « ça va très vite, en 20 minutes, on a vu un monsieur de 50 ans partir en réa parce qu’on ne pouvait plus rien faire ici ». 

Aurélia nous confirme la procédure : « On appelle d’abord le réanimateur pour lui exposer le cas, le cas de tous les patients auxquels on administre la dose maximum d’oxygène est évoqué avec le médecin réanimateur dans la journée. En fonction de leur disponibilité et de l’évolution de l’état du patient, on organise le transport ». Le service du Smit n’étant pas dans le même bâtiment que le service de réanimation, le malade doit être véhiculé par un transport sanitaire.

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Le dilemme de la réanimation pour les personnes âgées

Cette crise sanitaire aura mis à jour les pratiques médicales et notamment celles concernant les personnes âgées. Durant la première vague de nombreuses personnes ont découvert les protocoles et se sont insurgées du choix de ne pas réanimer certaines personnes âgées. Un sujet récurrent ; celui de l’acharnement thérapeutique, et du bénéfice d’un traitement vis-à-vis de l’espérance de vie ou de la qualité de vie d’un patient. Les Français se sont indignés, mais les médecins sont catégoriques : les services de réanimations sont très invasifs pour les patients. Même avant la crise sanitaire de la Covid, les médecins n’envoyaient pas les patients âgés ou ceux qui ne pouvaient espérer un gain après les traitements prodigués dans les services de réanimation.

Adeline, cadre en réanimation durant la 1ère et la 2ème vague nous confirme : « Pour le moment, les patients non pris en réa ne l’ont pas été parce qu’il n’y avait pas de bénéfice pour le patient de leur faire vivre un séjour en réanimation ».

Des propos confirmés par le témoignage du docteur Sinotte, médecin gériatre auprès de l’Ehpad Joseph Sauvy de Sorède. Nous l’avions rencontré le 24 avril durant le 1er confinement.

« Il faut toujours avoir à l’esprit qu’une hospitalisation comporte des risques. Souvent le patient perd 30% de sa capacité cognitive, il décline plus vite après une hospitalisation. Tout dépend de sa pathologie, du résident lui-même, de la famille ; de nombreux facteurs rentrent en ligne de compte. Il s’agit d’une décision médicale basée sur mon expérience. Si j’estime que le patient requiert des soins, qu’il existe un intérêt réel et que le patient peut en attendre un bénéfice, il faut le faire. Si c’est un problème aigu qui peut être guéri ou amélioré, oui, mais si c’est pour aller le laisser mourir à l’hôpital, cela n’a aucun intérêt« .

© Idhir Baha

« Ici quand les patients meurent, ils vous regardent »

Pour Marie, la famille est prévenue et elle avait déjà envisagé l’éventualité. « Les trois enfants sont clairs, ils ne veulent pas d’acharnement ». Si la situation de Marie se dégrade elle n’ira pas en réanimation. Pour Adeline, ce sont des moments qu’elle n’avait pas imaginés en quittant la réanimation pour le Smit.

« Ce qui est difficile ici et que je n’avais pas réalisé, c’est qu’ils ont aussi des patients qui ne partiront pas en réa. La dame de tout à l’heure, on sait qu’elle n’ira pas en réa ; si elle se dégrade on a rien à lui proposer et c’est quelqu’un qui va être conscient ».

Adeline de poursuivre « Ici quand les patients meurent, ils vous regardent. On fait face au regard de la personne qui va mourir. Parce que 93 ans, elle n’ira pas en réa. La mort par Covid est difficile, il s’agit d’une mort par étouffement, par manque d’oxygène, et ça fait mal ! Même s’il y a la morphine pour palier la douleur. Alors qu’en réa, ils étaient endormis ou on les endormait pour qu’ils partent plus sereinement. Ici, les équipes soignantes vivent les mêmes choses qu’en réa ; mais sous un autre angle et une autre prise en charge. Avec des patients qui sont ici plus âgés, mais ça ne fait pas forcément moins mal quand ils partent ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ À la rencontre des équipes de réanimation de l’hôpital

Nous sommes accueillis par le large sourire du docteur Olivier Barbot, médecin réanimateur et chef de service depuis 10 ans. La première chose qui marque en franchissant les portes barrées de deux affiches rouge « secteur Covid », c’est le calme rythmé par les bips et sonneries en tout genre. Olivier nous présente son service.

  • 24 lits, 8 lits Covid, plus 16 lits de soin de suite transformés en réanimation Covid. « Nous avons même réaménagé des bureaux pour accueillir des patients. À ce jour, nous avons 21 patients Covid, nous ne pouvons pas pousser les murs. En sachant que l’on accueille 2 patients par jour et que le pic de la 3ème vague est attendu dans 2 semaines ». Olivier nous laisse faire nous-même les calculs.
  • En « non-Covid, ou réa propre dans le jargon professionnel, il y a 24 lits ouverts et 24 patients… Des suites de chirurgies, des polytraumas ; l’activité hors Covid a été maintenue, contrairement au mois de mars 2020 où toutes les chirurgies non urgentes ont été repoussées.

Olivier de reprendre une expression entrée dans le langage commun depuis l’élection d’Emmanuel Macron : « C’est le en même temps qui est compliqué à gérer. En mars, on avait 44 lits de réa Covid. Nous avions transformé la salle de réveil, l’unité de soin de suite, mais on avait 0 patient non-Covid. C’était plus lourd en termes de patient, mais plus simple car nous n’avions aucun patient sur le reste des pathologies. En octobre et novembre, on a été relativement épargnés, et on a pu poursuivre l’activité. Ce qui devient compliqué, c’est quand on doit prendre une partie de la salle de réveil ». La salle de réveil est la salle où les patients sont installés et sous surveillance étroite après une chirurgie.

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ La spécificité du travail des soignants en réanimation

Ici on parle scope, intubation, sédation par curare, grande détresse respiratoire, pousse-seringues ou optiflow****. Les services de réanimation permettent une mise sous surveillance par monitoring des patients. La réanimation a également un personnel qualifié plus important afin de pouvoir pratiquer une surveillance et des actes de haute technicité auprès des patients les plus graves.

C’est un point que soulèvent les infirmières que nous avons rencontrées dans ce service. « Pour nous remplacer, il faut un certain temps d’adaptation ; nous souhaitons qu’une spécialité infirmier.e de réa soit créée ». Sur le modèle d’infirmier.e de bloc, les infirmiers.es déplorent la dévalorisation de leur statut et de leur situation au cours des dernières années ; et ce en dépit de la surspécialisation qu’implique leur travail au quotidien.

La moyenne d’âge des patients en réa Covid se situe selon Olivier entre 60 et 70 ans. « Le patient le plus âgé avait 84 ans et le plus jeune 44 ». Olivier est catégorique : « à Perpignan, nous n’avons jamais eu à faire de tri en fonction des places disponibles, c’est toujours l’état du patient et le bénéfice que pourraient apporter les soins de réa qui ont dicté nos choix ».

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Le ras-le-bol et la lassitude, malgré une très grande cohésion des équipes

Au détour d’un couloir, nous rencontrons Florence qui avec Dorothée s’apprête à prendre une pause. Assise sur l’escalier de service, Florence se confie : « J’en ai marre, j’aimerais que ça s’arrête. C’est trop fatigant de se dire encore et encore. On va avoir combien de vagues ? On innove en matière de pandémie, et on se demande quand ça va s’arrêter. Je suis fatiguée moralement et physiquement. On ne s’est pas remis de la 1ère vague qu’on voit déjà arriver la 3ème ! ». Florence confesse avoir parfois du mal à prendre du recul vis-à-vis de la situation des patients. Elle se remémore ce patient décédé le samedi d’avant.

« Il a pris son crucifix et m’a dit : je suis prêt, quand est-ce que je meurs ? Ça m’a bouleversée ; il est décédé à 16h et ça m’a fait une peine folle ! ». 

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

Physiquement Florence aussi « déguste ». « Depuis 12 ans, physiquement c’est éprouvant. Le matos est lourd, les patients sont lourds, j’ai très mal au dos ».

Mais la passion de Florence pour le soin ne s’est pas tarie ; elle veut juste voir les gens rentrer et sortir sur leurs deux jambes. Florence a demandé une nouvelle affectation dans le service de chirurgie ambulatoire ; un service où les patients entrent le matin, sont opérés et repartent chez eux après. « Parfois, je rêve des alarmes qui sonnent. Alors oui j’ai envie d’un poste où l’une de mes tâches consistera à téléphoner aux gens pour voir s’ils vont bien ! ».

Comme Florence, de nombreux personnels sont fatigués, lassés de cette crise sanitaire qui n’en finit pas. Aurélia, médecin du Smit, nous confie : « En tant que soignant, on n’arrive pas à voir le bout du tunnel. En ce moment, la grande nouveauté vient des vaccins. Et on serait ravis de voir la couche la plus fragile de la population être protégée ; mais ça ne va pas empêcher le virus de circuler. Sans oublier les nouveaux variants. Mon mari est anglais et en Angleterre, ils en dérouillent. On n’est pas sortis de l’aubergine ! »

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Une vie du dehors, symbole de l’irrévérence envers leur travail

Sébastien Kollen, médecin réanimateur est quant à lui très remonté vis-à-vis des complotistes en tout genre. « Les gens qui gueulent, les yakafokon… Moi je dis, vivement le retour de la coupe du monde de foot pour qu’on ait à nouveau 66 millions de sélectionneurs. Et qu’on laisse un peu l’épidemio, aux épidémiologistes. Parce que bon, aujourd’hui on a des millions de spécialistes et c’est fatigant. On vit tout ce qu’a vécu le père Domenech***** en son temps. ». Stéphane Kollen de conclure sa diatribe à l’encontre des complotistes par la célèbre citation de l’inspecteur Harry****** : « Les avis c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un ».

Idem quand il s’agit des personnes qui passent le réveillon à 15. Cette infirmière de réa est excédée par ces comportements qu’elle résume ainsi : « Ils font la fête et après on les retrouve ici ! ».

Heureusement, en fin d’après-midi comme pour soulager le moral des troupes, 2 boîtes de chocolats Cémoi apparaissent sur le comptoir du service. Deux témoignages d’une famille reconnaissante à l’égard des soignants qui donnent tout pour leurs proches. Sébastien Kollen plaisante en déposant les chocolats dans la salle de garde. « Je les pose là, mais je soupçonne cette salle d’être un trou noir ; tout ce qu’on y amène disparaît ». Et toute l’équipe présente de se rejoindre dans un rire communicatif, un rire qui libère de la tension accumulée par ces héros qui côtoient la mort au quotidien.

26/01/2021, Perpignan, France, quotidien des soignants hôpital St Jean secteur Covid-19 et réanimation © Arnaud Le Vu / MiP
26/01/2021, Perpignan, France © Maïté Torres / MiP

♦ Notes

*IST, infection sexuellement transmissibles.
** En 2019, le Syndical National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC, rappelait que 30% des jeunes diplô­més aban­don­nent la pro­fes­sion infir­miè­res dans les 5 ans qui sui­vent le diplôme.
***Le prénom à été modifié.
****L’optiflow est une oxygénothérapie haut débit qui permet de faire remonter la saturation en oxygène d’un patient en grande détresse respiratoire. L’utilisation de cette technique permet de retarder ou d’éviter l’intubation du patient.
***** Raymond Domenech fut sélectionneur de l’équipe de France de football de 2004 à 2010. Et notamment, en 2010 lors du fiasco des Français en Afrique du Sud. L’adage veut qu’au moment d’afficher la feuille de match, les 66 millions de Français aient tous un avis souvent critique vis-à-vis des joueurs choisis par l’entraineur.
****** L’inspecteur Harry est le personnage d’un policier aigri et bougon joué dans les années 70 par Clint Eastwood.

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Maïté Torres et Idhir Baha