Article mis à jour le 20 octobre 2025 à 08:13
La troisième enseigne de culture derrière la Fnac et Leclerc a ouvert ses portes le 17 septembre 2025 dans le bâtiment laissé libre par le déménagement de l’enseigne Decathlon. Mais à peine un mois après l’ouverture, plusieurs commerçants du centre-ville dénoncent une implantation irrégulière. En cause : l’absence de tout dossier déposé par Cultura auprès de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). © Photo JC Milhet/ Hans Lucas.
À Perpignan, cet hypermarché de la culture aura t-il gain de cause après plusieurs refus ? Déjà en 2016, sous la mandature de Jean-Marc Pujol, maire Les Républicains de Perpignan, l’enseigne Cultura était pressentie pour s’installer dans la friche laissée à l’abandon par l’usine de bois Comteroux. En 2019, le projet d’aménagement commercial avait été retoqué par la CDAC, Jean-Marc Pujol lui-même avait fait appel, en vain, de la décision devant la Commission nationale. C’est finalement dans la zone commerciale de Claira que l’enseigne s’était installée.
Libraires et disquaires de Perpignan dénoncent une concurrence déloyale
Pour les commerçants du centre-ville, l’ouverture de cette grande enseigne spécialisée en périphérie est perçue comme une nouvelle menace. À l’image de ce que redoutent les libraires, disquaires ou magasins de jeux indépendants, l’arrivée de Cultura s’apparente à une fuite vers la périphérie, au détriment du cœur de ville.
Avocat en droit de l’urbanisme, Maître Pons-Serradeil estime que l’enseigne Cultura aurait dû soumettre son projet à l’avis de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). Or, aucune demande n’a été déposée, contrairement à Intersport, qui devait s’installer dans le même bâtiment. Ce dernier a bien présenté un dossier, mais la CDAC a rendu un avis défavorable en raison du caractère incomplet de la demande, puisque le projet global, incluant Culura, n’a jamais été pris en compte.
« Le bâtiment formant un tout, avec deux cellules commerciales contiguës, il aurait fallu déposer un dossier unique », explique l’avocat. Cette dissociation des projets aurait permis à Cultura d’éviter le passage devant la commission, alors même que l’enseigne occupe à elle seule près de 1 820 m². Pour les commerçants du centre-ville, cette manœuvre constitue une distorsion de concurrence, au mépris des règles qui s’appliquent à tous.
En clair, avec ou sans Intersport, le dossier de Cultura aurait dû être soumis à la CDAC au risque de se voir refuser l’Autorisation administrative d’exploitation commerciale.
Selon l’avocat des libraires, c’est bien là que le bât blesse et que l’enseigne est en totale infraction avec la loi. Maître Pons-Serradell a demandé à la mairie de Perpignan « de dresser un procès-verbal d’infraction ». En parallèle, l’avocat lance aussi une action devant le tribunal judiciaire pour « concurrence déloyale »
Passage en force devant la CDAC des Pyrénées-Orientales ?
Selon le rapport d’instruction daté du 4 septembre 2025, que Made In Perpignan a pu consulter la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) a examiné uniquement le dossier de l’enseigne Intersport, censée s’implanter aux côtés de Cultura dans le bâtiment laissé vacant par Decathlon.
Le rapport pointe une stratégie de « fractionnement du projet » : en présentant séparément les dossiers de deux enseignes occupant le même bâtiment, les porteurs du projet ont évité d’atteindre les seuils réglementaires imposant une autorisation commerciale conjointe. Or, dès lors que deux cellules sont contiguës dans un même bâtiment, et accueillent des surfaces de vente de plus de 1 000 m² chacune, la réglementation exige un examen unique de l’ensemble commercial. Un des membres présents autour de la table de la CDAC ce jour-là parle d’un « passage en force ».
Un flux de véhicules non estimé et des risques de congestion routière
Le rapport remis à la commission pointe également un autre problème : la saturation routière. Lors de la demande l’installation d’Action en 2024, l’enseigne avait été retoquée pour un trafic estimé à 675 véhicules par jour. Dans le cas de Cultura et Intersport, la CDAC estime que ce chiffre pourrait être multiplié par quatre, sans que le dossier n’apporte d’analyse précise de l’impact. Le rapport rappelle : « À titre de comparaison, le projet de Drive Carrefour ayant reçu un avis défavorable de la CNAC en 2022 au motif de la sur-fréquentation routière du secteur prévoyait un flux de 160 véhicules/jour. »
Concernant les enjeux de déplacements liés à l’installation de Cultura et Intersport, la CDAC conclut : « La fréquentation générée par le projet d’installation des deux enseignes n’est pas évaluée alors que les difficultés de congestion routière sont réelles. »
Un des membres siégeant à la commission nous confie le « malaise » face à ce dossier déposé incomplet : « Examiner un dossier sur ses incidences, sur le fonctionnement, la circulation, etc., c’est quand même un peu étrange alors que le gros générateur de trafic sera quand même plutôt Cultura. »
Cultura contribue-t-il à cette « France moche » ?
Afin de répondre à cette observation de la CDAC, le porteur de projet et le bureau d’études affirment que le trafic généré par les deux enseignes sera inférieur à celui de l’ancien Decathlon.
Pour justifier la stratégie de scinder en deux les dossiers, les porteurs de projets indiquent : « le bâtiment a conservé actifs les m2 de SV (surface de vente) de l’ex-Decathlon, il n’y avait donc pas lieu de déposer pour l’ensemble. Cultura bénéficie de l’antériorité et l’installation d’Intersport fait l’objet du présent examen pour répondre à la demande des services de l’État. Il a ainsi été décidé de scinder le projet en 2 phases. » Pour certains membres de la CDAC, cette stratégie n’est qu’un « subterfuge ».
Un avis partagé par l’avocat des libraires et acteurs culturels du centre-ville. Pour Maître Pons-Serradeil, si Cultura avait fait un dossier en bonne et dû forme, l’enseigne « aurait été retoquée par la CDAC. » Pour l’avocat, ce dossier est emblématique. « Je crois que maintenant que le Président Macron a déclaré vouloir en finir avec la « France moche », celle des périphéries, plus rien ne sort. »
Contacté, le service presse de Cultura, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Made In Perpignan est un média local, sans publicité, appartenant à ses journalistes. Chaque jour, nous enquêtons, vérifions et racontons les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales.
Cette information locale a un coût. Et pour qu’elle reste accessible à toutes et tous, sans barrière ni influence, nous avons besoin de votre soutien. Faire un don, c’est permettre à une presse libre de continuer à exister, ici, sur notre territoire.
- À peine inaugurée, l’enseigne Cultura de Perpignan sera-t-elle contrainte de fermer ? - 20 octobre 2025
- Revue de presse du 19 octobre : Ils ont parlé de Perpignan et des Pyrénées-Orientales - 19 octobre 2025
- Perpignan : Le procès contre le journal l’Empaillé reporté sur demande de l’avocat du directeur de la police municipale - 17 octobre 2025