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Portrait – Avec Jazzèbre, Ségolène Alex fait tomber les barrières sociales

Directrice et programmatrice d’un des festivals de musique les plus riches des Pyrénées-Orientales, Ségolène Alex poursuit un parcours atypique, investie par la transmission de la culture. Portrait d’une femme qui poursuit ses rêves et entend démystifier le Jazz.

Ne cherchez pas un déclencheur familial avec une enfance bercée dans le Jazz. « Je viens d’une famille populaire où la culture n’était pas du tout celle que j’ai au cœur. » Le coup de foudre pour l’art, c’est à l’école que Ségolène Alex le doit. « Je suis un pur produit de l’école républicaine. J’ai souvenir d’une institutrice qui nous parlait de Miro. Et ça a été une claque. Puis au collège, il y a eu les professeurs d’arts plastiques. »

C’est par les arts visuels que Ségolène Alex découvre ainsi de nouveaux univers.

« Aujourd’hui ça n’existe plus, mais au collège et au lycée des enseignants engagés affrétaient un bus qui partait tout les vendredis soir, et pour 50 francs, une fois tous les deux mois, on pouvait aller voir des spectacles. »

Depuis son village rural dans la Loire, la jeune femme peut ainsi découvrir l’opéra de Lyon. « C’était un ballet, Roméo et Juliette et ça a été une énorme claque. »

Culture pour tous ou fracture élitiste ?

Un travail dans le milieu de la culture lui semble pourtant inaccessible à l’époque. « C’était très loin de moi, ça me semblait impossible. » Mais Ségolène Alex s’accroche à son désir et poursuit un parcours universitaire avec un master en gestion des institutions culturelles. En filigrane, le rêve de contribuer à diffuser la culture comme elle-même a pu en bénéficier. « Il y a une fracture entre le côté culture pour tous et le fait qu’au final ce soit encore vu de manière très élitiste. Il y a plein de gens qui n’osent pas pousser la porte de ces grandes maisons, qui se disent que ce n’est pas pour eux. » Ségolène Alex se souvient de la fois où elle emmène sa mère pour la première fois de sa vie au théâtre et que celle-ci lui demande comment il faut s’habiller.

« J’ai eu la chance d’y aller en baskets dégoûtantes, en sortant du collège ! J’ai eu cette habitude de m’y retrouver un peu comme à la maison. »

Ségolène Alex y dédiera sa carrière. « J’ai eu un parcours très linéaire, toujours dans ce milieu. » Stages de fin d’études dans des centres d’art, travail pour une compagnie de théâtre, puis pour un collectif d’artistes avec, et c’est peut-être un signe, quelques accents jazz. « Ce n’est pas un milieu facile. Il n’y a pas tellement d’entre-soi, c’est surtout qu’il n’y a pas beaucoup de places. Et puis on se met énormément de barrières qui viennent du milieu social. »

« J’ai eu la chair de poule tout le concert »

À 26 ans, la jeune femme intègre le festival Jazzèbre dans les Pyrénées-Orientales, comme administratrice d’abord, aux côtés du fondateur Yann Causse. Ils ne sont alors que trois à gérer ce qui est déjà une impressionnante machine à diffuser la musique créative. « Je connaissais très peu le jazz, mais j’en avais une image très classique. En revanche, j’avais une vraie appétence pour les musiques contemporaines, assez barrées ». Cinq ans plus tard, au départ à la retraite de Yann Causse, Ségolène prend sa place à la direction et à la programmation.

La directrice fraîchement nommée surmonte son syndrome de l’impostrice pour s’autoriser des coups de coeur. Elle écume les festivals et y repère les artistes qui la font vibrer. « Pour le concert à la forteresse de Salses, l’idée était d’être en extérieur, dans la grande cour et en même temps d’arriver à créer un moment d’intimité. Il ne restait qu’à trouver le groupe. Quand j’ai vu la Litanie des Cimes avec Mah Damba, j’ai pleuré, j’ai eu la chair de poule tout le concert. » Son choix pour Salses-le-Château était fait.

« Ce qui m’a fascinée avec Jazzèbre, c’est ce côté liberté liée à l’itinérance, cette idée d’aller partout, dans les salles de spectacles ou bien dans des lieux qui n’avaient rien à voir. »

Notre programmatrice travaille ainsi à faire le pont entre de grands musiciens et la découverte par le grand public. Pour pousser à la curiosité, toujours davantage. « Il y a plein de choses très mainstream que je peux aimer, mais ce n’est pas ce que j’ai envie de défendre. Le pire des concerts est un concert qui laisse indifférent. Le projet Jazzèbre m’attirait pour ça. »

Averse sur scène, erreur d’aéroport, les joies d’une aventure humaine

Cette liberté amène aussi des contraintes. « On est trois, on est polyvalents, on fait tout. On doit répondre à toutes les sollicitations et je sais que c’est parfois frustrant pour les artistes car on est peu disponibles. » Des dossiers de subventions au choix des artistes en passant par la réservation des lieux, la petite équipe s’appuie aussi sur de précieux bénévoles. « On a des actifs, de jeunes retraités et des fanas de musique qui viennent chercher l’aventure humaine. Nous avons notamment Ghis qui est là pour toutes les dates, qui gère les loges, elle est hyper engagée. »

Une aventure marquée de moments forts, comme cette averse terrible qui tombe sur un dernier morceau lors d’un des concerts.

Au lieu d’abandonner, la chanteuse Emma Lamadji décide d’emmener son public dans une toute petite chapelle et poursuit a cappella. « Tous les ans on me reparle de ce moment magique, suspendu. »

Surgissent aussi les malentendus, le stress. « Les premières années, je perdais cinq ou six kilos à chaque festival. Ma plus grosse boulette c’est quand j’ai envoyé un bénévole chercher un musicien au mauvais aéroport. Maintenant j’en rigole, mais sur le moment, pas du tout ! »

Ségolène Alex s’attache, avec des tarifs au plus bas, à maintenir les concerts les plus accessibles possibles. Malgré ses 37 éditions, Jazzèbre reste selon elle un diamant brut. « Il y a tout à inventer. On a envie de faire grandir le festival jeune public Zah-Zuh, on a envie de remalaxer tout ça. On a un département comme terrain de jeu ! »

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Philippe Becker