Chaque semaine, Ambre Giroux participe à la «Maraude du Lundi», association caritative de Perpignan, où elle cuisine pour les plus précaires. Ce qu’elle garde souvent pour elle, c’est qu’elle aussi, à son échelle, vit un parcours d’obstacles. Hébergée à Perpignan, elle enchaîne candidatures et formations en espérant s’en sortir enfin.
Le portrait d’Ambre s’inscrit dans une série réalisée avec le soutien du ministère chargé de la ville. Made In Perpignan a voulu montrer les « visages de la précarité en pays catalan », la réalité humaine qui se cache derrière les statistiques de la pauvreté ; des trajectoires de vie, des accidents de parcours, des héritages sociaux et des luttes silencieuses…
Comme tant d’autres, le chemin d’Ambre tient du déterminisme social. Elle grandit en région parisienne dans un confort très relatif. « Déjà petits, on savait un peu ce que c’était de galérer » se souvient-elle, évoquant sa mère seule qui travaille autant qu’elle peut pour nourrir la famille. « On avait une camionnette sans sièges à l’arrière, on était dans le coffre. Ma grand-mère nous gardait quand ma mère travaillait. »
Le sud pour échapper à un ex-conjoint violent
Près de Paris, Ambre cherche à s’éloigner d’un ancien compagnon violent. Elle n’avait alors que vingt ans.
« La relation a duré un an. C’était d’abord des violences verbales, puis physiques. Je n’ai pas pu partir tout de suite car j’habitais chez cette personne. J’ai fini par appeler ma mère qui est venue me récupérer avec les pompiers et la police. »
Même après la séparation, l’ancien petit ami continue de la harceler. Ambre part dans une école d’animation à Millau pour prendre un nouveau départ. « C’est peut-être dû à tout ça, que j’ai cette force de résilience aujourd’hui pour toutes les situations. »
Après plusieurs emplois en France et même à l’international, souvent saisonniers comme animatrice dans des clubs de vacances, Ambre Giroux s’oriente vers les Pyrénées-Orientales. « Je me suis dirigée vers la région de Perpignan sans me renseigner s’il y avait du travail ou pas. J’avais travaillé dans un camping à Gruissan, je me suis dit pourquoi ne pas rester dans le Sud. Je n’avais pas envie de rentrer en région parisienne. »
Des économies qui fondent, puis disparaissent
Au chômage, elle a la chance de trouver en septembre 2024 un appartement hors saison sur Saint-Cyprien, et d’être retenue sans garanties. « Je suis tombée sur un proprio hyper sympa. » Mais peu à peu l’argent vient à manquer, l’emploi ne vient pas. Loyers et factures absorbent tout. Cinéma, restaurant ou tout autre loisir payant sont impensables. L’alimentation se réduit au premier prix. Pas simple quand on fréquente d’autres jeunes.
« On a un peu honte de dire aux gens ‘ben non je ne sors pas parce que je n’ai pas d’argent’, on dit juste qu’on ne pourra pas être là. Au début on pioche dans le peu d’économies qu’on a encore, et à la fin il n’y en a plus. »
Ambre met un point d’honneur à toujours payer son loyer, mais se retrouve souvent à découvert, et la fin du bail approche. « Pour un logement il faut un travail, pour un travail il faut un logement. Tu finis par te dire « mais comment tu t’en sors ? » Elle multiplie les candidatures, en vain. Intérim, fast-food où elle a pourtant de l’expérience… elle tente tout. « Une amie me dit qu’ici, si on n’est pas pistonnée, on ne trouve pas de boulot. L’été il y a du travail dans l’animation mais l’hiver est compliqué dans cette région. On ne peut pas vivre que l’été. »
Après une saison du côté de Saint-Tropez qui remet un peu d’argent sur les comptes, Ambre revient dans les Pyrénées-Orientales, cette fois à Perpignan, hébergée chez son compagnon. Retour à la case des candidatures.
Un territoire qui condamne à des contrats courts ?
Ambre mentionne sa mère qui lui met une pression pour travailler. « Je pense que c’est parce qu’elle a vécu la galère, elle ne veut pas que je la vive moi aussi. Elle me dit « trouve du boulot » mais elle ne connaît pas vraiment la région. » Cette question du territoire revient beaucoup dans le discours de la jeune femme. Elle parle d’un véritable choc dans la difficulté à s’en sortir localement, en comparaison aux jobs qu’elle a pu décrocher facilement ailleurs en France.
« Je ne pensais pas que ça existait, une région comme ça. Des gens me disent ‘oui mais il y a le soleil.’ Mais ça ne fait pas tout. Ceux qui ont déjà des situations ne se rendent pas compte, ils ne voient pas. Et à la maraude je vois qu’il n’y a pas que les jeunes qui galèrent. »
Ambre tient à se sentir utile. Don du sang, caritatif… Elle évoque ces seniors bénéficiaires de l’association qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts, les sans-abri, ceux qui avaient un bon travail et pour qui tout a quand même basculé. Elle s’estime chanceuse par rapport aux personnes qui peinent davantage.
La jeune femme vient de boucler une formation d’auxiliaire ambulancier qu’elle a financée avec son compte CPF. Mais déjà on la fait déchanter. « Les formateurs eux-mêmes m’ont dit ‘bon courage pour trouver du boulot ici.’ Il y a tellement de monde qui fait cette formation… » Finalement Ambre va repartir pour du temporaire, comme formatrice dans son école d’animation à Millau, de janvier à mars. Mais ce ne sera qu’un CDD de trois mois avant un retour aux Pyrénées-Orientales.
« Pour l’instant ça va parce que je suis avec quelqu’un. Mais si demain je suis seule, je n’insisterai plus pour rester là. Je ne veux pas vivre la même expérience que l’année dernière. »
Dans la série « les visages de la précarité »
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