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À Perpignan, Théo raconte ses années au service de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

À Perpignan, Théo raconte ses années au service de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

À seulement 18 ans, Théo rejoignait la prestigieuse brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Une unité d’élite où près de 8 500 hommes et femmes partagent un quotidien hors norme, fait de victoires et de drames. Le caporal, originaire de Perpignan, nous livre son parcours alors qu’il vient d’achever son contrat.

La BSPP (Brigade des sapeurs-pompiers de Paris) défend Paris et les trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne).

Avant de devenir pompier de Paris, Théo n’avait jamais mis les pieds dans la capitale. En réalité, 80% d’entre eux sont des provinciaux. Adolescent, il rêve ce métier qu’il découvre à travers des reportages télé ou en feuilletant les magazines. Son bac en poche, il pousse les portes du CIRFA, le centre de recrutement du ministère des armées. Après une première évaluation sportive et psychotechnique, une nouvelle série de tests s’impose pour intégrer la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Une fois cette étape franchie, une formation intensive attend le jeune militaire.

Les limites de l’aspirant sapeur sans cesse repoussées

« On nous apprend à tirer au famas (fusil d’assaut) et à marcher au pas. En parallèle, on est formés aux gestes de premiers secours », détaille Théo. Puis, vient la partie incendie durant laquelle les jeunes recrues sont poussées dans leurs retranchements. Le militaire découvre la lecture du feu, apprend à tenir une lance, à réaliser une reconnaissance ou encore à manier les échelles.

Les pompiers de Paris sont testés sur leurs aptitudes physiques et leur capacité à conserver leur sang-froid, même en situation de crise. À la fin de cette formation, les recrues passent une journée entière d’examen pour obtenir l’accréditation tant convoitée : l’ACIS (Admission en Compagnie d’Incendie et de Secours) qui leur permet d’intégrer un centre de secours et de se rendre sur intervention.

La remise des casques clôture ces six mois de formation intense. « La cérémonie a eu lieu à Villeneuve Saint-Georges », se remémore Théo. Depuis 1966, ce fort a accueilli des générations de soldats du feu. Le site a aujourd’hui changé de main pour devenir le nouveau centre de formation de la préfecture de police. Si revêtir l’uniforme fait la fierté de sa famille, le jeune pompier est tiraillé entre la joie et l’appréhension. Dans trois jours, il sera officiellement affecté en compagnie.

Théo dresse un constat simple de ces cinq années passées au sein de la BSPP (Brigade de sapeurs-pompiers de Paris) : « le plus dûr, ce n’est pas d’y rentrer, mais d’y rester », sourit-il. Le jeune sapeur a vécu à un rythme effréné : « On nous apprend à manger vite, car on peut décaler à tout moment. On se déplace en courant, on n’a pas le droit de fumer, on est formé à la dure et c’est ce qui fait qu’on est plus efficaces. »

La journée des sapeurs pompiers file à un rythme effréné 

Théo débute ses journées à 7h, « il faut être prêt, rasé, en tenue », précise-t-il. Chaque matin, les sapeurs nettoient les engins et les cellules sanitaires. « Il y a un rassemblement militaire, on se passe les consignes de la journée, on fait le changement de piquet (changement de garde). » Les soldats du feu veillent ensuite au bon fonctionnement du matériel. Avant d’enchaîner avec la séance de sport quotidienne encadrée par le chef de garde qui impose son rythme ! « Peu importe si vous avez dormi 2h ou fait une nuit complète », lance Théo. Et la journée ne fait que commencer… « On s’entraîne chaque jour à simuler des feux, dérouler le tuyau… jusqu’au retentissement de la sirène. »

Signal pour les pompiers de garde pour s’équiper et rejoindre leurs véhicules, autrement dit : ils « décalent ». « Cela peut arriver à n’importe quel moment, à Paris, la vie ne s’arrête jamais », souligne Théo. Sa caserne, située à Bourg-la-Reine, est équipée de quatre véhicules, « on réalisait en moyenne 8 000 départs à l’année », assure le sapeur. Soit une moyenne de 20 à 25 interventions par jour.

« Chez les pompiers de Paris, la difficulté principale est la surcharge de travail, physique et mentale », affirme Théo, qui réalise parfois des gardes de 72 heures consécutives. « On dort en moyenne 1h30 découpée sur toute la nuit. Au début, c’est compliqué car le corps n’est pas habitué. La première année, j’étais fatigué, je m’endormais dans le camion. Et je me faisais réprimander par les gradés. »

À partir de 14h, chacun travaille dans le service qui lui est attitré : « Certains sont au secrétariat et gèrent l’administratif pour la caserne, d’autres, s’occupent de changer les tenues de feu abîmées et le matériel endommagé », énumère Théo. La brigade fonctionne en auto-suffisance, « les pompiers commandent les denrées, font la cuisine, les tâches ménagères. » En fin d’après-midi, une deuxième séance de sport attend les militaires.

Enfin, la journée se termine par l’instruction des plus jeunes. « Parfois, ils se font ‘découper’, comme on dit chez nous, et ils doivent rester jusqu’à 1h du matin sans dormir. » Libre au gradé de décider de la corvée attribuée au jeune, pour avoir mal fait cuire les pâtes ou oublié d’arroser les plantes. « On nous pousse à bout », confirme Théo, qui a lui même subi quelques brimades. « Je suis tombé sur un gradé qui me mettait des coups sur le casque », évoque-t-il.

« J’ai beaucoup subi d’être le dernier arrivé, de devoir être testé en permanence. Une fois qu’on passe en grade, on est intégré. On nous forme à être formateur en quelque sorte », nous explique le pompier. Les rôles s’inversent alors, au tour du caporal de faire preuve d’autorité sur les nouvelles recrues. « Pour ma part, je n’ai jamais reproduit ce qu’on m’avait fait. Et c’est d’ailleurs en partie pour cela que j’ai décidé de quitter les pompiers de Paris », confie-t-il.

« On s’est habitué à la mort, elle fait partie de la vie. »

À chaque intervention sur feu, la problématique du pompier est de secourir les victimes au plus vite, sans marge d’erreur possible. Constamment en alerte, Théo peut partir en intervention à n’importe quel moment, paré à réagir à toutes les situations de détresse. En tant que caporal, il est en première ligne, derrière la lance à incendie. « La première fois que j’ai été confronté aux flammes, j’étais ultra content. Être à la lance, c’est le Graal, c’est ce qu’on attend tous. »

Lorsqu’on lui demande quelles sont les interventions qui l’ont le plus marqué, Théo marque une pause, comme perdu dans ses pensées. « Je savais que tu allais me poser la question », sourit-il. « Une fois qu’on arrive à se détacher de ce qu’on a vu, c’est difficile de s’en souvenir… « L’événement qui m’a le plus marqué au final, c’est un monsieur qui s’est pendu devant nous. On est arrivé pile à temps, je pense qu’il nous a entendus grimper le portail, c’était un appel à l’aide… On a eu juste le temps de le porter et de couper la ceinture. Ça m’a un peu marqué, car il y avait un lien personnel », raconte le sapeur-pompier, lui-même endeuillé suite à la perte d’un proche.

« On s’est habitué à la mort, elle fait partie de la vie. » Cinq minutes après l’intervention, Théo et ses collègues sont de retour à la caserne. Il est midi, les pompiers entament leur déjeuner. La bonne humeur masque les idées sombres. « On parle de nos prochaines vacances, de la dernière soirée… », énumère Théo. Autour de la table, les blagues fusent. « On essaie toujours de faire attention aux plus jeunes. S’il y a un problème, on est directement pris en charge. Nous avons un psychologue qui est pompier de Paris. Au quotidien, il suit les professionnels marqués par un évènement », nuance Théo, qui n’a jamais ressenti le besoin de le consulter.

Après une journée difficile, Théo préfère se confier à ses collègues, « je me sens soutenu, prêt à voir des choses horribles que d’autres ne voient pas. » Le pompier décompresse en soirée, compense par le sport : « au lieu de faire une petite séance de course à pied, on va s’arracher les poumons pour finir KO, on est toujours dans l’extrême. » La cohésion du groupe permet aussi de faire face aux interventions marquantes. En brigade, les chambrées et les repas en commun sont emblématiques de cette vie en collectivité. « Ceux avec qui j’ai passé ces cinq années sont devenus mes frères d’armes, c’est un lien unique que l’on ne retrouve que dans l’armée », assure Théo.

« Sauver ou périr », une réalité ? 

S’il avoue repousser ses limites, le pompier recherche une sensation en particulier : le dépassement de soi. L’adrénaline prend souvent le dessus. Théo se remémore un autre évènement, le sauvetage d’une femme prisonnière du feu. Ce jour-là, deux pompiers – deux amis – se retrouvent brûlés au dos et au bras, marqués à vie.

Comment la devise « Sauver ou périr » s’applique-t-elle en réalité ? « La dernière limite, c’est le sacrifice ultime », nous répond Théo, qui se replonge dans ses souvenirs. « Je pense à un feu en particulier », entame-t-il. « Une épaisse fumée noire sortait des fenêtres d’un appartement pris par les flammes. C’était rempli de gaz, donc il faisait très chaud », raconte le pompier.

Alors que le feu se propage à une vitesse fulgurante, le chef d’équipe rentre et essaie de soulever une victime pour l’extirper. « Il essaye à plusieurs reprises et il n’y arrive pas… », assure Théo. Cela fait une minute qu’ils sont dans l’appartement, c’est déjà trop. « Il est sorti la tête la première par la fenêtre. Il était littéralement en train de brûler. Chacun a ses limites, mais on est formé pour systématiquement réussir. » La victime s’en sortira indemne, sauvée in extremis.

Théo garde un souvenir fort du décès du caporal-chef Damelincourt, avec qui il a effectué sa formation. Chez les pompiers, l’appel des morts au feu a lieu chaque lundi. « On a tout fait ensemble, on a commencé le même jour », confie Théo. Âgé de 24 ans, Dorian est décédé en intervention en juillet 2023, dans un parking souterrain à Saint-Denis. Le pompier luttait contre un feu qui s’était déclaré sur plusieurs véhicules.

Après cinq années passées au sein de la BSPP, Théo a choisi de ne pas renouveler son contrat. La prestigieuse image de la formation ne compense pas tout. Une décision difficile pour le pompier d’élite, à la fois soulagé et déchiré de quitter cette unité à part entière.

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