Aller au contenu

À Perpignan, Julien Avet est l’un des derniers projectionnistes « sur pellicule » de France

Les projections de plein air démarrent à l’Institut Jean Vigo avec le classique Beetlejuice de Tim Burton (1998), mardi 24 juin à 19h00. L’occasion de pousser la porte de la cinémathèque perpignanaise pour rencontrer Julien Avet qui exerce un métier en voie de disparition : projectionniste.

Dans son bureau qui ressemble plutôt à une caverne d’Ali Baba, Julien Avet est chez lui. Une table de montage, des projecteurs, des bobines, des pellicules de toutes les époques et de toutes les tailles… Depuis plus de vingt ans, Julien Avet est projectionniste à l’Institut Jean Vigo. Un métier en voie de disparation depuis le passage au numérique dans les années 2000. « Impossible de dire combien nous sommes encore à exercer en France. Très peu. Une centaine, peut-être », explique Julien.

Alors, comment cet homme de l’ombre continue-t-il à faire vivre le cinéma argentique à l’Institut Jean Vigo, l’une des cinémathèques régionales de France ?

« J’ai appris comme à la grande époque, en allant taper à la porte des cinémas »

Julien n’est pas passé par une école de cinéma. Après ses études, il enchaîne les petits boulots, les missions d’intérim. « Un jour, j’en ai eu marre de me lever à 4 heures du matin pour bosser à l’usine ». Un ami lui parle du CAP de projectionniste : « On travaillait le soir, donc c’était parfait pour les lève-tard. J’ai appris comme à la grande époque, en allant taper à la porte des cinémas. »

PORTRAIT JULIEN AVET PROJECTIONNISTE INSTITUT JEAN VIGO
Julien Avet sur sa table de montage

« Projectionniste, c’était rarement un métier qu’on fait par passion. Moi, j’ai toujours aimé le cinéma et c’est pour ça que j’ai fait ce métier. J’ai vu des milliards de films ! », se rappelle-t-il.

Un métier chamboulé par le passage au numérique

« En Espagne, les projectionnistes se sont mis en grève pour protester contre la perte des emplois. En France, le mouvement a été plus discret. Je me souviens que mes collègues acceptaient plutôt facilement ce changement. C’était un métier surtout exercé par des jeunes qui se disaient : ok, on ne peut plus faire projectionniste, on va faire autre chose ».

PORTRAIT JULIEN AVET PROJECTIONNISTE INSTITUT JEAN VIGO
Julien Avet dans la cabine de projection de la salle Marcel Oms à l’Institut Jean Vigo

Julien, lui, n’a jamais quitté la cabine. Il a suivi l’évolution du métier, passant sans difficulté de la pellicule au numérique. « C’est comme apprendre l’allemand en premier : après, l’anglais paraît facile », plaisante-t-il.

Une cinémathèque de grande ampleur à Perpignan

Perpignan a cette chance rare d’abriter une cinémathèque euro-régionale d’envergure. Fondé en 1983 par l’historien et critique de cinéma Marcel Oms, l’Institut Jean Vigo est aujourd’hui l’une des 19 cinémathèques régionales françaises. « Il y en a peu en France, et une aussi importante dans une ville de cette taille, c’est exceptionnel », raconte Julien. La mission de l’Institut Jean Vigo : collecter, conserver et valoriser les œuvres.

PORTRAIT JULIEN AVET PROJECTIONNISTE INSTITUT JEAN VIGO
Julien Avet en train d’assembler les bandes d’un film

« À l’Institut Jean Vigo, il faut savoir tout faire. Avant que vous arriviez, j’en avais marre de monter un film parce que je regarde 10 000 films par jour. Alors, j’ai rangé des bobines. Après, je vais faire de l’informatique, un peu de bases de données, de l’encodage. »

Entre cinéma récent et cinéma patrimonial

« La conservation est la partie la plus importante de mon métier. Je fais entre une et deux projections par semaine ». Julien gère principalement la conservation. Contrairement à un disque dur, les pellicules peuvent durer dans le temps si elles sont conservées dans les meilleures conditions. « Si on les garde à 15-20 degrés et à l’abri de l’humidité, elles peuvent se conserver plusieurs centaines d’années. »

En outre, Julien s’occupe aussi de garantir la pérennité des films numériques qu’il transfère sur des cartouches LTO ou sur des serveurs informatiques. Selon lui, « la meilleure solution reste parfois de… retourner sur pellicule ! Pour les copies les plus rares, on fait un retour sur pellicule, ce qu’on appelle un kinescopage. Ça coûte une fortune, mais si on veut conserver un film pour des siècles, il faut le faire, on ne peut pas le laisser uniquement en informatique. »

« Parfois, on tombe sur des trésors »

À l’Institut Jean Vigo, les habitants peuvent apporter des films retrouvés dans leurs greniers. Julien ne cesse de le rappeler : « Il ne faut pas jeter ses bobines ! Parfois, on tombe sur des trésors : une bobine des années 1920, un film amateur rare… »

Parmi ses récentes anecdotes : « j’ai retrouvé un film en 9,5 mm des années 30, tourné par le ciné-club amateur de Céret. C’est un film rarissime. Pour le projeter, j’ai mis des gants blancs, choisi le meilleur projecteur, pris toutes les précautions. Je l’ai projeté une fois, pour rendre hommage à l’œuvre, puis il est parti en numérisation pour être partagé sur notre site. »

PORTRAIT JULIEN AVET PROJECTIONNISTE INSTITUT JEAN VIGO
Bobines entreposées dans une salle à 15 degrés, avec une humidité relative à 50%

« Un jour, on m’a amené un film sur la destruction des abattoirs à Saint-Assiscle dans les années 1950. J’ai vu mon quartier comme je ne l’avais jamais vu, c’était passionnant », poursuit-il.

Il se remémore aussi de moments particulièrement émouvants : « Quand une dame m’amène Retour vers le futur 2, Louis de Funès, et puis, au milieu, un film d’elle quand elle était petite avec sa maman… On numérise le film, elle le regarde et elle pleure. C’est super touchant. »

La projection : de l’argentique au numérique

Julien projette aussi bien des films argentiques que numériques. Mais quelle différence au fond ?  « Avec l’argentique, je vais en salle mater le film parce que s’il y a un problème, je serai le premier à le voir à l’écran. Si je fais autre chose, c’est vraiment à côté. Par exemple, je démonte un autre film, ou j’écris mon journal intime. Par contre, pour le numérique, je peux vraiment aller faire une pétanque. C’est pour ça que maintenant, les projectionnistes sont aussi vendeurs de pop-corn et de billets. »

PORTRAIT JULIEN AVET PROJECTIONNISTE INSTITUT JEAN VIGO
Julien Avet dans la cabine de projection de la salle Marcel Oms à l’Institut Jean Vigo

Pourtant, la pellicule garde un charme particulier : « la projection en pellicule, c’est super parce que c’est mécanique, c’est simple. Il y a une loupiote qui envoie de la lumière sur une image qui passe vite et, derrière, un objectif qui diffuse, avec la chaîne du son à côté ». Être projectionniste à l’époque de l’argentique, c’était recevoir le film en plusieurs bobines de 20 minutes. Les coller patiemment les unes aux autres, en vérifiant que rien n’est abîmé. Ajuster la focale, le cadrage, la netteté, le niveau sonore. Puis aller en salle, écouter, observer, corriger en direct si nécessaire…

Quel futur pour les projectionnistes ?

Aujourd’hui, très peu de salles projettent encore en pellicule. Le métier de projectionniste tel qu’on l’a connu, s’efface peu à peu, remplacé par des techniciens polyvalents qui font aussi bien la projection que la billetterie et la vente de confiserie. Alors, Julien assure aussi la transmission : encadrement de stagiaires, de services civiques, formations internes sur le tas.

Lucide, il constate : « les projectionnistes, comme les machines, vieillissent. Je fais même partie des plus jeunes à savoir encore projeter en argentique. Mais tant qu’il y aura des pellicules, il faudra bien quelqu’un pour les projeter. Le métier ne disparaîtra jamais vraiment. Il deviendra juste de plus en plus rare. »

Made In Perpignan est un média local, sans publicité, appartenant à ses journalistes. Chaque jour, nous enquêtons, vérifions et racontons les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales.

Cette information locale a un coût. Et pour qu’elle reste accessible à toutes et tous, sans barrière ni influence, nous avons besoin de votre soutien. Faire un don, c’est permettre à une presse libre de continuer à exister, ici, sur notre territoire.

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances

Elise Cabane