En France, en 2023, le monde de la tech ne comptait que 24% de femmes. Malgré une légère progression ces dernières années, la représentation féminine reste faible. En début d’année 2025, si le patron de Meta appelle à « plus d’énergie masculine », peut-on réellement considérer ce revirement comme une réponse pertinente à la sous-représentation des femmes dans le secteur du digital ?
Sous la plume des étudiants de l’école 42 Perpignan, témoins et experts ont tenté d’apporter des éléments de réponse.
Cet article est le premier d’une série réalisée par les étudiants de 42 Perpignan sur des sujets pertinents. Ce mois-ci, derrière le clavier, Delphine, Cloé, Désirée et Wassim, en collaboration avec Maïté Torres et Juliette Verlin.
Les femmes, « moins performantes », « plus soumises à la pression » ?
Cloé, étudiante à 42, a questionné sa communauté via un stream sur leur vision des femmes dans le secteur du digital. Parmi les réponses, Lucie* relaie un cliché plus que répandu, celui où les femmes seraient « moins performantes » ou plus soumises à la pression. Un préjugé d’autant plus difficile à entendre pour les étudiantes d’une école où la directrice générale, Sophie Viger, est une femme.
Mais alors, pourquoi les jeunes filles hésitent-elles à intégrer des études numériques ? Car c’est bien là que le bât blesse, selon une enquête réalisée en 2022 auprès de 300 élèves de cinq lycées franciliens, qui révèle que seulement 1% des lycéennes interrogées a choisi de se lancer dans ces études.
Pour le géographe de l’éducation Kévin Mary, il est nécessaire de mieux représenter la société dans sa diversité. « Sinon, on va continuer à creuser nos inégalités de genre, y compris au sein des ménages. » Pour rappel, les métiers des filières numériques offrent des salaires parmi les plus élevés, en exclure une partie de la société contribue à perpétuer les inégalités entre les hommes et les femmes.
Ces stéréotypes qui commencent dès l’enfance
« Au collège, je subissais de la discrimination car j’aimais l’informatique » nous confie Cloé. Cette jeune femme a malgré tout persévéré et, à 22 ans, elle s’est lancée dans le secteur de la tech.
Selon des recherches de plusieurs membres de l’Université de Melbourne, publiées en 2021, les stéréotypes peuvent apparaître dès l’âge de trois ans. Pour Kévin Mary, c’est donc dès l’école primaire qu’il faudrait agir. « Les politiques publiques pourraient mettre en place des dispositifs pour montrer aux parents, mais aussi aux encadrants, que le genre ne détermine pas le métier. »
Même lorsque les femmes intègrent le secteur, elles se heurtent à un « plafond de verre » : 19% seulement des employés du secteur des Technologies de l’Information et de la Communication ont une femme comme supérieure hiérarchique en Europe.
Quand la transmission générationnelle devient un frein
Virginie, 46 ans, est entrée à 42 pour une reconversion professionelle suite à une perte d’emploi. Étudiante, elle a participé à des forums où elle s’est « rendue compte que dès qu’une fille et sa mère passaient devant un stand d’école d’informatique, elles tournaient la tête et se dirigeaient plutôt vers le médico-social. C’est encore trop culturellement implanté. Les parents reproduisent le schéma ».
Selon une étude de l’Ipsos de 2021, les lycéennes sont presque deux fois moins nombreuses que les garçons à penser avoir le niveau pour suivre une école d’informatique. La même étude montre que 38% des filles sont attirées par les métiers du numérique ; contre 62% chez les garçons.
Les femmes, l’ego et les charos
L’Ipsos a questionné les filles pour connaître les raisons pour lesquelles elles ne s’orientent pas vers la tech. Elles jugent le métier trop « technique », « solitaire », « ennuyeux » ou encore « monotone ». Elles sont moins nombreuses que les garçons à le considérer « moderne », « utile socialement » ou encore « sûr ».
La construction du « geek » masculin et le harcèlement subit pas les jeunes filles en ligne dans l’univers du gaming ont aussi participé à l’exclusion progressive des femmes du numérique. Depuis les années 1980, les représentations sociales ont évoluées pour associer la tech à un univers masculin et compétitif.
Parmi les freins à l’attractivité du secteur, un micro-trottoir improvisé au cœur du campus évoque plusieurs autres problématiques frisant le cliché, parmi lesquelles l’impression que les hommes « se la racontent trop, les femmes au contraire agissent ! Alors que les hommes, dès qu’il y a un peu de prestige, ou d’ego, ils sont toujours présents ». Selon Romane, 19 ans, « si tu veux rassurer ton ego, il faut intégrer une école du numérique ! Tu vas immédiatement te faire draguer lourdement par les charos » – Le charo est un mot d’argot pour désigner ces hommes qui, malgré un refus clair et net, poursuivent leur processus de séduction.
Les ProxyGirl’s, ces femmes qui ouvrent les portes
Élodie et Virginie avaient la quarantaine au moment de lancer l’association ProxyGirl’s au sein de l’école 42. « Lors de la rentrée, nous avons constaté que nous n’étions que 18 filles sur un total de 160 étudiants. Nous avons décidé de lancer l’association ProxyGirl’s. Déjà pour aider les étudiantes de l’école, mais aussi pour promouvoir le numérique auprès des lycéennes, collégiennes, ou toutes celles qui entament une démarche de reconversion professionnelle. »
Aujourd’hui Delphine, étudiante de 25 ans, se dit légitime dans son école malgré la présence majoritaire d’étudiants. « J’ai fait une formation 100% femmes avant de me sentir à l’aise dans ce secteur. » Malgré un travail volontaire de l’école 42 à Perpignan et une augmentation du nombre de femmes d’année en année, le taux de féminisation reste en deçà de la moyenne nationale, à 17% contre 20%.
Depuis leur création en 2022, elles ont fait des émules, et Delphine est en passe de reprendre le flambeau. « Avec l’actualité, on se rend compte à quel point la diversité est vulnérable. Et notamment à cause des politiques assumées de certaines grandes entreprises comme Meta, Tesla ou Google. Si la place des femmes se limite à devenir infirmière plutôt que docteure, ou vendeuse en prêt-à-porter plutôt qu’astronaute, il faut que ça change pour celles qui ne veulent pas suivre le chemin tout tracé par cette société ».
Quelles initiatives ? Quelles solutions ?
Pour Kevin Mary, les évolutions constatées ne sont pas assez disruptives pour changer structurellement les choses. « Les financements ne sont pas présents, les dispositifs sont trop limités, l’effort n’est pas assez conséquent » selon le géographe.
Bien que le chemin soit encore long, des solutions s’esquissent. Récemment, Cloé a animé un atelier au sein du lycée Aristide Maillol de Perpignan, les « Numerigirls » ont pu parler à plusieurs jeunes qui se questionnaient sur leur avenir dans le secteur de la tech. En parallèle, du 7 au 9 mars 2025, un hackathon, week-end d’innovation intensif, se tiendra au sein de 42 Perpignan. L’objectif pour Les Rebelles 2025 – Innov Week-end est de développer des solutions concrètes aux problématiques sociétales touchant les femmes dans notre société.
Parmi les initiatives portées par les ProxyGirl’s, la Discovery Piscine 100% femmes. « La piscine » est la sélection qui dure un mois pour intégrer le cursus de l’école 42. La discovery est une initiation d’une semaine sur les langages web et la découverte de la pédagogie de 42. Pour Delphine, ce format 100% permet de libérer la parole des potentielles nouvelles étudiantes.
*Le prénom a été modifié.
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