Rudi, alias Marcel, habillé de la tenue qui a fait son pseudo, nous reçoit dans son terrain de jeu ; à ses côtés Ortense, son acolyte à quatre pattes. Au cœur de l’une des trois vallées des Pyrénées-Orientales, Marcel du haut de son 1 mètre 90, nous parle de ses 375 000 abonnés Instagram, une communauté devenue sa « sève ».
Pour rejoindre l’antre de Marcelarium, le paysage est florissant malgré la sécheresse, mais il faut s’armer de patience et faire confiance aux amortisseurs de sa voiture. Le jeune homme confirme, « même le facteur hésite avant de venir par ici. » Parmi les aventures qui animent le compte, son aquarium de 13 000 litres, ses piranhas, sa serre tropicale, et surtout sa cabane dans les arbres. Du haut d’un chêne de 25 mètres, surnommé « Noisette », la maisonnée « tout confort » se fond parmi les marronniers qui surplombent la cabane.
Ortense est la plus fidèle des acolytes de Marcel
Quand Marcel découvre la recette du succès sur Instagram
En 2022, il filme le sauvetage d’une vipère aspic. La vidéo fait le buzz. Avec presque 4 millions de vues sur Instagram, c’est le déclic. Rudi analyse et comprend que tout est dans le récit du contenu. Pour l’influenceur, c’est un signe, il avait trouvé la recette du succès sur le réseau social. Force est de constater que depuis, les tutos jardinage nommés « astuces de rat », comprendre « astuce pas chère », ses réussites bricolages ou ses fails dans la serre atteignent souvent le million de vues. Point d’orgue, quand l’idée saugrenue lui vient d’introduire dans son aquarium de véritables piranhas. Selon la légende urbaine, ces poissons originaires d’Amérique du Sud seraient capables de dépecer un bœuf en quelques minutes.
Trophée offert par Youtube pour le 100 000e abonné et une des plantes rares cultivées dans la serre de Marcelarium
Mais Marcel est têtu et décide de se lancer le défi. Il connaît désormais les ficelles pour rendre le public accro à ses aventures. Il faut feuilletonner, faire monter le désir, et dévoiler les choses avec parcimonie. Après avoir lancé l’idée des piranhas, notre influenceur végétal aménage son aquarium. D’abord les plantes, puis les poissons qui serviront de repas aux carnivores. Et puis un jour, Marcel se met en scène lors d’un unboxing. Ce rituel, devenu passage obligé pour tout influenceur, consiste à ouvrir, face caméra, un paquet et dévoiler à son public une nouvelle paire de chaussures, un sac à main .… Ou, dans le cas de Marcelarium, un groupe de jeunes piranhas !
Après une petite acclimatation, les poissons sont relâchés. Résultat, une vidéo vue plus de 2,5 millions de fois où Marcelarium mêle pédagogie et animation. À l’image de Jamy Gourmaud, de l’émission culte « C’est pas sorcier ». Sans aucun doute la recette du succès de Marcelarium réside dans ce fin dosage entre informations et anecdotes, toujours distillées avec un grand enthousiasme.
Influenceur végétal ? Quand une coupure Internet favorise la créativité
Avant de devenir Marcelarium l’influenceur, Rudi était bûcheron. Comment s’est opérée la transformation ? « Un jour, la tempête avait couché un arbre sur le fil électrique et nous avons eu une coupure. Du coup, on est partis marcher avec Quentin [un de ses amis qui deviendra son associé]. » Les deux compères étaient réunis après l’annulation d’un voyage en Floride. « On a brainstormé pour imaginer de nouveaux projets. Qu’est-ce qui fait rêver les gens ? » Toutes les idées sont passées en revue, licornes, dragons… « mais bon ça allait être compliqué, » sourit Marcel. « Et là on a eu la méga idée, on allait faire une cabane dans les arbres. »
La cabane dans les arbres de Marcelarium et le trophée de chasse d’un tricératops réalisé avec une imprimante 3D, offert par un follower.
Rudi a donc pris ses cliques et ses claques vers les bois. Neuf mois plus tard, la cabane perchée à 25 mètres de haut a fait son apparition. Une idée qui leur a apporté plus de 200.000 abonnés sur Youtube, une belle notoriété et une communauté fidèle. Rudi confirme être plus imaginatif lorsqu’il est coupé du monde.
« L’ennui est la première étape d’un projet », affirme-t-il. Un état d’esprit nécessaire à ses conditions de travail. « Aujourd’hui, quand tu prends ton téléphone, tu pars dans un tunnel de scroll infini, mais ici, on subit parfois des coupures d’internet et le débit est loin d’être fou fou. » Pour poster ses vidéos, l’influenceur aux centaines de milliers d’abonnés doit parfois prendre sa voiture pour se rendre au village le plus proche.
L’influence, un chemin semé de sujets « touchy »
Si les chats mignons, les bébés rigolos ou les unboxing et leurs codes promos pleuvent sur la toile, ils sont parfois accompagnés de leurs lots de haters. Ils commentent, donnent leur avis, souvent négatif, sur tous les sujets. Ils critiquent les tenues des influenceurs, trop courtes, trop longues, leur physique, ou leurs prises de position. La « sève », comme il qualifie ses followers, serait-elle un écosystème préservé des rageux ? Questionné sur ce point, l’influenceur à la communauté végétale, s’en étonne lui-même. « J’ai de la chance, je n’en ai pas beaucoup. » Est-ce le côté vert et naturel du contenu de Marcelarium ?
Pour l’ameublement de sa cabane, Marcelarium a signé un partenariat avec Maisons du Monde
« Je bosse avec des marques qui pourraient être critiquées, comme [Rudi cite une chaîne de la grande distribution], mais bizarrement, c’est toujours bien accueilli. » Malgré la bienveillance de sa communauté, Marcelarium choisit avec soin ses partenariats. « J’ai refusé des marques avec des contrats plus que juteux. Je me suis interrogé, parce que la somme proposée pour faire quelques stories était indécente ! » Mais, affirme Marcel, « ça peut signer la fin d’une carrière. »
Comment le « petit » Rudi est devenu le « roi » Marcel perché sur sa cabane ?
Même si Marcel revendique ses racines catalanes, il est né à Paris. « À la base, ma famille est de Céret. Mon grand-père était directeur du Crédit Agricole d’Arles-sur-Tech et mon père a longtemps joué au rugby avec l’équipe Entente Prats-Arles. » Aujourd’hui trentenaire, Marcel se souvient de son enfance parisienne, mais surtout d’une partie de ses vacances dans le Limousin, où sa famille avait une ferme et plusieurs centaines de moutons. « C’était les meilleurs moments de mon enfance », s’exclame-t-il.
« J’étais un élève moyen au collège. Puis, ma mère m’a accompagné à une journée portes ouvertes à l’école du Breuil. » Cette école qui forme aux métiers du végétal, du paysage et des jardins fut une révélation pour le jeune Rudi qui y débute un Brevet professionnel agricole après le collège. « Là, d’élève moyen, je deviens premier ! Pour les matières générales, j’étais au niveau. J’avais juste à apprendre les matières professionnelles, mémoriser les noms de plantes en latin et assimiler les compétences autour du jardinage ».
« Du coup, j’obtiens mon Brevet en un an, au lieu de deux », continue-t-il. « Ensuite, j’ai enchaîné sur un Bac pro dans la même école, et puis je suis parti travailler. J’en avais marre de l’école ». Mais après un an dans le secteur, l’influenceur constate qu’il doit gagner en compétences pour évoluer. Rudi reprend donc le chemin scolaire et s’inscrit en BTS, cette fois-ci au lycée agricole de Rivesaltes.
« J’ai eu de la chance. Je suis tombé sur un prof exceptionnel, mais que je détestais ! Quand j’arrivais avec 10 secondes de retard, il ouvrait la porte et alors que ça venait juste de sonner, il me lançait, « Monsieur Dabouzi, Directrice ! ». C’était un militaire le type, il rigolait pas, mais aujourd’hui, je lui suis reconnaissant. J’ai eu mon BTS avec mention. Et ensuite je suis remonté en région parisienne pour faire une licence et un master en écologie. Ça s’appelait Gestion environnementale du patrimoine végétal et urbain (GEPVU). »
« J’avais envie de m’émanciper »
Licence et Master en poche, le jeune homme revient dans son Vallespir pour y exercer au plus près de la nature. Rudi déjà surnommé Marcel par ses proches se lance à l’assaut du marché du travail. Et naturellement se tourne vers l’entreprise Arnaudiès Paysagiste qui l’a toujours soutenu. « Chez eux, j’ai fait des saisons, quand je galérais, et puis ils m’ont embauché pour gérer une petite équipe sur des petits chantiers d’entretien de jardin. Puis, au rugby, je me suis pété les ligaments croisés, et pendant neuf mois je ne pouvais plus jardiner, j’étais donc assigné au bureau d’études. J’y suis resté pendant quatre ou cinq ans. C’était génial, mais j’avais envie de m’émanciper. »
C’est là qu’il lance, en 2018, son entreprise « Rudi Dabouzi, paysagiste ». Mais la réalité de l’entrepreneuriat rattrape celui qui avait lancé son compte Instagram l’année précédente. « Je suis tombé des nues, les charges, les taxes, c’était un peu chaud quand même. » Et puis il y a eu le Covid. « Beaucoup de choses ont changé pour moi. La naissance de mon fils, le déménagement dans une maison en pleine nature et entourée d’un énorme terrain de 10 hectares. Là, j’ai commencé à construire des trucs, une cabane à poule, la serre, j’avais tout le temps un outil entre les mains. »
À l’imagination sans limite, Marcel a aujourd’hui fait le choix de vivre à temps plein ses rêves d’enfant. Après la cabane, il a choisi de désosser sa voiture en fin de vie, face caméra. Sans oublier de reconstituer dans sa serre XXL l’écosystème d’Amérique du Sud. L’occasion pour l’influenceur de jouer les clowns tout en distillant les conditions de vie optimale pour ces grenouilles aux couleurs chatoyantes ou ces lézards ultrarapides.
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