fbpx
Aller au contenu

La vigne à l’épreuve du climat, quelles solutions pour les viticulteurs catalans ?

Article mis à jour le 20 septembre 2024 à 10:35

Dans les Pyrénées-Orientales, la viticulture arrive à un tournant. Depuis 2022, la sécheresse sévit sur l’ensemble du vignoble entraînant une chute importante des rendements. À l’heure de la crise, les 2 400 vignerons du département cherchent des solutions. Antoine Lespès, chargé de projets au Domaine Lafage, et Martin Ballot, vigneron au Domaine Exte, composent chaque jour avec le changement climatique. 

Les parcelles de vignes font partie intégrante du paysage agricole catalan. Notre vignoble s’étend sur 20 000 hectares, dont seulement 5% sont irrigués. Le volume de la récolte 2024 s’annonce très faible, avec un rendement inférieur à 400 000 hectolitres. À titre de comparaison, il y a dix ans, le département en produisait 600 000. Les petites récoltes s’enchaînent, fragilisant un peu plus l’économie de nos exploitations. Selon la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales, les arrivées de vignerons ne compensent plus les départs.

La culture régénérative porteuse d’espoir dans les Pyrénées-Orientales

Dans la vallée de l’Agly, sur la plaine et les Aspres, les cumuls de pluie sur 12 mois dépassent à peine les 200 mm. « Depuis deux ans, il pleut comme à Marrakech », alerte Antoine Lespès. « Il y a aussi des feux de forêt, tout ça impacte la viticulture. » Le Domaine Lafage s’étend sur six terroirs, des hauteurs des Fenouillèdes jusqu’au littoral méditerranéen. « Nous avons une quarantaine de cépages. »

À la pointe de l’innovation, le domaine officialise en 2022 la création d’une cellule de recherche et de développement. « L’idée, c’est de trouver des solutions pour pallier le changement climatique », lance Antoine Lespès. Diplômé en agronomie, il rentre chez Lafage en tant que chargé de projets. Sa mission, développer la stratégie d’irrigation de l’exploitation. 

Les nappes du pliocène étant réservées à la consommation d’eau potable et les eaux de surface se raréfiant, comment s’approvisionner en pleine période de sécheresse ? Au Domaine Lafage, la culture régénérative est porteuse d’espoir. « Notre enjeu, c’est l’eau, et comment faire pour que chaque goutte qui tombe du ciel puisse être efficace à notre culture », expose le chargé de projet.

Ces techniques ancestrales remises au goût du jour

Le Domaine Lafage a développé différents axes de travail comme l’utilisation du couvert végétal. « Les orages sont des phénomènes hydriques très violents qui provoquent de l’érosion », poursuit-il. Lorsque le sol est couvert de végétation, l’impact des gouttes est physiquement diminué. « L’eau va ruisseler le long du végétal, puis le long des racines et donc s’infiltrer dans les profondeurs du sol. »

Une fois l’eau infiltrée, il faut réussir à la retenir. « Nous travaillons avec différents amendements de matière organiques, comme le compost. » Plus la matière organique est présente dans le sol, plus le stockage de l’eau est important. Une recette gagnante à laquelle vient s’ajouter le « biochar », un charbon végétal utilisé pour augmenter la qualité des sols. « Un biochar peut retenir jusqu’à quatre fois son poids en eau », révèle Antoine Lespès. Si cette technique est vieille de 3 000 ans, aujourd’hui, il est possible de mesurer son efficacité grâce à des données.

Devenir plus résilient aux problèmes de la vigne

Martin Ballot est vigneron-brasseur à Latour-de-France. Il y a cinq ans, il s’acquitte du Domaine Etxe avec Carmen, sa compagne. Les deux viticulteurs prônent une culture en pleine adéquation avec son environnement. Sur six hectares de vignes, le couple fait pousser de l’orge pour en faire de la bière. Deux plantes qui ne se font pas concurrence puisque leur calendrier n’est pas le même.

Photo ©️ Idhir Baha.

La production du couple est entièrement biologique et limite les intrants. « On s’appuie beaucoup sur la diversification comme outil agronomique, en variant les espèces présentes sur le champ », nous explique Martin. Entre les rangs de vignes poussent féverole, avoine, gesse et trèfle. Des plantes qui apportent des éléments que la vigne n’est pas capable de capter elle-même dans l’atmosphère.

« Tous ces éléments nous permettent d’être plus résilients aux problèmes de la vigne et de la protéger des ravageurs. C’est vraiment un élément clé de notre culture », affirme le vigneron. Lorsque l’orge est récolté au printemps, un tapis de paille se crée sur le sol, limitant l’évaporation de l’eau. Si en théorie, la culture de ces deux plantes était très complémentaire. En pratique, le manque d’eau dû à la sécheresse contrarie les projets des viticulteurs. En effet, sans eau, l’orge ne pousse pas.

Planter de nouveaux cépages, une solution ?

Non-loin de Fourques, le Domaine Lafage cultive des vignes en coteaux, dans l’un des territoires les plus secs du département. Les « courbes de niveau » sont un système d’aménagement du paysage à la base de la permaculture. « On ne plante pas dans le sens de la pente, mais perpendiculairement à elle, de manière à créer des terrasses pour ralentir le ruissellement de l’eau », explique Antoine Lespès.

Ces dernières années, le Domaine Lafage a planté beaucoup de nouveaux cépages pour s’adapter au changement climatique. Lorsqu’il fait trop chaud, les raisins deviennent trop sucrés, perdent leur acidité, et les arômes n’ont pas eu le temps de mûrir. Dans le Roussillon, les vignerons travaillent beaucoup avec le Grenache, un cépage qui a la capacité de préserver son eau, tout comme le Carignan et le Muscat.

Privilégier certains cépages plus résistants à la sécheresse pourrait être une solution. « Il y a sûrement un intérêt à aller voir dans le sud de l’Espagne ou en Grèce, dans des zones où il pleut encore moins qu’ici, quels cépages sont utilisés. Mais, avec les deux années qu’on a eues, penser à faire une plantation, c’est quand même compliqué », reconnaît Martin.

« Pour s’offrir une nouvelle plantation, il faut de l’eau et pour ceux qui ont tenté l’expérience cette année, ça va être très compliqué de suivre sur le long terme. » Difficile d’arroser ses jeunes pousses tous les cinq jours alors qu’il n’y a plus d’eau dans les canaux. Et le manque d’eau n’est pas la seule incertitude du changement climatique.

Ces vignerons à l’épreuve du changement climatique

D’après Martin, les gelées vont continuer à être présentes. Les cépages trop précoces seront plus sensibles au gel du printemps. « Peut-être qu’on aura aussi des années pluvieuses, et à ce moment-là, que va donner un cépage grec ? », s’interroge le vigneron. Pour l’heure, Martin et Carmen cultivent Carignans, Grenaches, Macabeu ou Malvoisie… et du Lledoner pelut, un cépage traditionnel catalan, qui résiste bien plus à la sécheresse.

« On s’est lancé en plein changement climatique », lâche le vigneron. « On ne peut pas jouer la surprise mais c’est arrivé plus vite que prévu. » Le couple n’a pas anticipé deux années consécutives de sécheresse. Martin, l’avoue, il pensait avoir un peu plus de temps pour installer son système de diversification.

« C’était notre façon de répondre à la sécheresse », assure le viticulteur, qui imaginait planter différents fruitiers et des plantes aromatiques, en plus de sa production en place. « Cela nous aurait permis de résister aux années difficiles. » Pour l’heure, il constate que la vigne est étonnamment résiliente. Sans une goutte d’eau, les plants de Martin continuent à produire, mais le vigneron sent qu’il arrive en bout de course. « Cette année, les rendements sont difficiles et la mortalité commence à être très sensible. » Le viticulteur n’est pas très optimiste sur le sort de sa production si une troisième année de sécheresse venait à se produire.

Des conséquences sur la production du vin

Selon Martin, la situation est dramatique dans les zones où la vigne était autrefois irriguée. « On avait des vignes qui étaient habituées à avoir beaucoup d’eau. » Les restrictions liées à la sécheresse auront été un véritable coup de massue pour la profession. « Il y a des fonds de vallées sur lesquels il a un peu plus plu. Chez nous, j’ai l’impression que ça a davantage souffert qu’ailleurs », constate le vigneron implanté dans la vallée de l’Agly.

Avec des années de plus en plus sèches et chaudes, les vendanges sont plus précoces et les degrés grimpent en flèche. « Ce sont des choses que l’on peut apprendre à maîtriser, mais cela va jouer sur la qualité de nos raisins. Ça ne s’observe pas cette année car il y a eu des blocages à maturité. La vigne a arrêté de fonctionner à cause de la sécheresse. Finalement, les degrés ont aussi arrêté de monter », explique Martin.

À l’année, Martin et Carmen produisent 60 hectolitres. Cette année, ils tournent plutôt autour des 47. Si les rendements sont faibles, la baisse de la production s’explique aussi par un changement de modèle. Selon le vigneron, les coopératives qui vivaient de gros volumes ont tendance à disparaître. « Il y a aussi moins de viticulteurs, ce qui fait moins de production. »

En attendant, le couple s’applique à trouver des solutions pour se diversifier. Si depuis cinq ans, ils ont planté de nombreux arbres fruitiers sur le domaine, Martin déplore une mortalité très élevée. « Je continue à penser que l’avenir est dans la diversification, mais cela ne va pas se faire d’un coup de baguette magique. Il faut trouver la bonne voie, s’y prendre à l’avance et s’attendre à ce que la transition ne soit pas simple. »

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances

Célia Lespinasse