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« Paris-Moscou », un siècle d’influences entre extrême droite française et Russie

Plongée avec Nicolas Lebourg dans un siècle d'extreme droite franco-russe

Article mis à jour le 21 septembre 2024 à 11:49

Si de prime abord, le sujet semble abrupt, « Paris-Moscou, un siècle d’extrême droite » se lit en 5h30, dixit Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite. Soit la durée d’un trajet Perpignan-Paris en TGV.

Paru aux éditions Seuil, l’ouvrage coécrit par Nicolas Lebourg et Olivier Schmitt décrypte, grâce à une étude minutieuse des archives, les liens entre l’extrême droite française et la Russie depuis plus d’un siècle. Propos recueillis par Maïté Torres.

Quelle relation entre l’extrême droite française et la Russie ?

Pendant la guerre froide, on a pensé que l’extrême droite française était anti-russe. Mais au contraire, elle a un goût marqué pour cette culture. Durant l’entre-deux guerres, l’Action française* voit la Russie comme un grand pays. À cette époque, la France est la destination phare des Russes blancs, riches et installés, aussi très antisémites.

Même si après 1917, l’État français va progressivement normaliser sa relation avec la Russie soviétique. En sous-main, le pouvoir cultive un anti-bolchevisme absolu. Quant à la communauté des Russes installés en France, ils fantasment l’idée que si l’Allemagne gagne la guerre, Hitler va leur rendre leur pays.

Mais après la guerre, plusieurs blocs se dessinent. Avec d’un côté, la démocratie américaine multiraciale, et de l’autre, un État autoritaire et de plus en plus antisémite. Je me souviens de cet ancien SS que j’avais interviewé. Il s’était rendu compte que les Russes étaient tout aussi autoritaires, anti-marxistes et antisémites que lui. La preuve que sous l’Union soviétique, la Russie était toujours là.

Les théories marginales qui finissent par se répandre dans l’opinion publique

L’idée d’Alexandre Douguine* d’un grand empire russe, capable de fédérer des ethnies ou des religions différentes, est largement basée sur les théories élaborées en France dans les années 20, par les intellectuels d’extrême droite français et russes. Des idées qui ont servi à légitimer la guerre en Ukraine. Les théories du grand remplacement se développent dans des groupuscules depuis 60 ans, et aujourd’hui, on les retrouve dans notre système.

*Alexandre Douguine est né à Moscou en 1962, il est un théoricien politique d’extrême droite russe connu pour ses positions ultra-nationalistes et néofascistes.

Quid des relations du Front national, puis du RN avec la Russie ?

Lorsque Marine Le Pen veut récupérer le parti de son père, avec Louis Aliot et un tout petit groupe, ils posent l’idée qu’il faut en finir avec l’ethnicisation de la société et les provocations antisémites sur la seconde guerre mondiale. « Ces idées pourrissent notre image, nous font perdre des électeurs, nous empêchent d’avoir des alliances, et des militants claquent la porte », affirmaient les cadres du RN. Les résultats électoraux démontrent que cette équipe avait raison, c’est de l’adaptation électorale.

Et si Marine Le Pen n’a aucune obsession pour la culture russe, elle est contre un mondialisme transnationalisant qui irait à l’encontre de la souveraineté nationale. Dans son livre de 2012, on voit clairement qu’elle imagine la Russie comme la possibilité d’un monde multipolaire, comme une réponse au mondialisme américano-centré.

Nicolas Lebourg, pourriez-vous nous rappeler la définition de l’extrême droite ?

L’extrême droite n’est pas une injure, c’est un mot qui existe dans notre histoire, dans notre langage, depuis les années 1820, et ce n’est donc pas réductible au nazisme. C’est une offre politique qui explique que les élites ont échoué ; et qu’il faut les remplacer pour arriver à faire une société complètement compacte. Une nation où les êtres humains sont homogènes et où chacun tient sa place. Et finalement, cela n’est possible que par une révision des relations internationales. Si vous avez ces trois éléments, vous avez une extrême droite qui existe depuis deux siècles.

Comment l’illibéralisme est devenu une offre politique acceptable ?

L’illibéralisme est une offre politique autoritaire qui va utiliser la démocratie pour réduire l’État de droit au bénéfice d’une homogénéisation ethnique et culturelle d’une société. Après son élection, un système illibéral va chercher à réduire les contre-pouvoirs, les règles de droit. On l’a vu en Pologne, on l’a vu en Hongrie. Ce type de régime va chercher à supprimer tout ce qui peut empêcher son action. Aujourd’hui, l’illibéralisme est vraiment porté par l’extrême droite.

C’est un phénomène qui est parti de pays lointains, la Russie, la Hongrie et puis la Turquie. Et on voit bien qu’au fur et à mesure, cette offre progresse en France, en Espagne, aux États-Unis, en Amérique du Sud. C’est non seulement le présent, mais l’avenir de l’autoritarisme politique.

Occasion ou passion, pourquoi avoir choisi d’écrire sur les relations entre l’extrême droite française et la Russie ?

La première fois que j’ai commencé à travailler sur l’histoire transnationale des extrêmes droites, c’était en 2014 dans le cadre du programme avec l’université de Washington. Or, après 2022, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, toutes ces questions ont pris une nouvelle dimension. Mais jusque-là, on expliquait surtout la relation entre l’extrême droite française et la Russie par le prisme du prêt bancaire octroyé à Marine Le Pen, pour l’échéance électorale de 2017.

Or, on mésestimait la relation structurelle qui existe entre les deux et qui commence en 1917. Les archives de police montrent la permanence de cette relation et, comment, elle s’est tissée au fil du temps. S’il y a eu des dizaines de livres publiés, « Paris Moscou, un siècle d’extrême droite » est le premier qui parle de ce lien sur le temps long. Pour une meilleure compréhension, nous avons construit cet ouvrage de manière chronothématique. Et la dernière partie sur la guerre en Ukraine fait le lien avec l’ensemble des autres chapitres. Ce passage explique comment s’est formé le nœud entre tous ces groupes politiques.

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