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Les Pyrénées-Orientales sont-ils vraiment impactés par le phénomène du surtourisme ?

Si en 2024, la plage centre de Collioure, noire de monde, avait fait crier au scandale du surtourisme dans les Pyrénées-Orientales, notre département sera-t-il bientôt submergé, à l’image de Barcelone ou d’Athènes, par des touristes en quête de nos fleurons patrimoniaux ?

« Une plage en Chine ? Non, Collioure, août 2024 ». Partagée et commentée des milliers de fois, cette photo avait fait le buzz sur Facebook. « C’est incompréhensible de voir autant de monde dans un si petit espace… Faut arrêter le surtourisme », s’indignait une internaute. Problème : il manquait le contexte. Cette photo datait du soir des feux d’artifice de la Saint-Vincent.

A l’heure où les touristes et la manne financière qu’ils déversent sur le territoire sont sur le point d’arriver, nous avons essayé de comprendre comment se classent Perpignan et les Pyrénées-Orientales face au « surtourisme ».

« En Europe, c’est Venise, c’est Barcelone, mais en Occitanie, on ne peut pas parler de surtourisme »

« Perpignan classée « C » pour surtourisme ». Un classement viral évalue les villes françaises de A à E selon leur exposition au surtourisme. Perpignan hérite d’un « C », en raison des nuisances liées à la concentration de bars en centre-ville. Une méthodologie qui surprend.

Le surtourisme est en réalité complexe à mesurer et mérite d’être bien défini. Caroline Le Roy, doctorante à l’Université de Perpignan, rappelle que ce phénomène suppose trois conditions : des pressions environnementales, un impact sur la qualité de vie des habitants et une détérioration de l’expérience des visiteurs. Or, très peu de territoires répondent véritablement à ces critères tout au long de l’année.

« En Europe, c’est Venise, c’est Barcelone, mais en Occitanie, on ne peut pas parler de surtourisme », insiste-t-elle.

La doctorante regrette l’usage approximatif de ce terme : « Des chercheurs ont conceptualisé des phénomènes complexes justement pour éviter que chacun y mette ce qu’il veut. Le tourisme durable a une définition claire, donnée par l’Organisation mondiale du tourisme. Le surtourisme, c’est pareil. »

« En Occitanie, on ne parle pas de surtourisme mais de pic de fréquentation »

Plutôt que de « surtourisme », le Comité Régional du Tourisme et des Loisirs (CRTL) d’Occitanie préfère parler de « pics de fréquentation ». Dans notre région, ils seraient concentrés sur les « pépites du territoire » comme Collioure ou le Pont du Gard, explique Vincent Garel, président du CRTL Occitanie.

« À Collioure, on ne va pas mettre des parkings dans le village. Ce qui fait la beauté de ce village traditionnel, c’est aussi ce qui rend l’organisation des flux difficile. Mais ce n’est pas Venise. Le surtourisme c’est toute l’année et pas seulement quand la température de l’eau est à 25 degrés. »

Face à cette pression estivale, des stations comme Canet-en-Roussillon et Saint-Cyprien développent des offres touristiques tournées vers l’intérieur des terres. Balades à vélo, visites de vignobles, dégustations de produits locaux… Autant d’initiatives destinées à répartir les flux et faire découvrir d’autres facettes du territoire.

Les pics de fréquentation surviennent surtout pendant les week-ends prolongés et autour du 14 juillet et du 15 août, lorsque la clientèle fidèle croise les touristes occasionnels. Alors pour mieux anticiper cette affluence, les professionnels s’équipent d’outils de mesure sophistiqués.

Mesurer le (sur)tourisme : une équation encore complexe

La question centrale devient alors : comment déterminer le nombre de touristes qu’un territoire peut accueillir sans basculer dans le surtourisme ? Ce seuil, désigné « capacité de charge », est difficile à évaluer. « Il s’agit de trouver un optimum entre la préservation de l’environnement, la qualité de vie des habitants et l’expérience des visiteurs. », souligne la doctorante Caroline Le Roy.

C’est cette équation que tente aujourd’hui de résoudre le secteur du tourisme. Pour cela, les acteurs (offices de Tourisme, Comités régionaux, agences départementales, parcs naturels) ont besoin de mesures pour adapter leur stratégie. D’où ces bureaux d’études, comme Murmuration à Toulouse, qui fournissent des tableaux de bord aux collectivités et acteurs du secteur.

Fondée en 2019 par deux ingénieurs issus du domaine spatial, Murmuration utilise des données d’observation de la Terre (Copernicus) combinées avec des données de terrain (fréquentation) pour concevoir des indicateurs de suivi de l’environnement. Par exemple, l’impact de la fréquentation sur la biodiversité avec le piétinement sur des sentiers ou celui sur la qualité de l’air, dégradée par le flux des voitures en zone touristique.

Après plusieurs années de recherche, l’entreprise a mis au point un moyen de mesurer la capacité de charge d’un territoire en tenant compte des trois dimensions du surtourisme.

« Le tableau de bord permet sur un site d’avoir le nombre de personnes qu’on peut accueillir à un moment donné sans qu’il y ait de dégradation sur l’environnement, en prenant en compte un seuil économique, un seuil de fréquentation et un seuil de capacité de charge », explique Cathy Sahuc, co-fondatrice de Murmuration.

« On rajoute au seuil de capacité de charge un poids sur la perception des habitants en s’appuyant sur des enquêtes externes. Si cette perception est mauvaise, alors la capacité de charge sera diminuée », confie Cathy Sahuc.

L’enjeu du tourisme dans les Pyrénées-Orientales : l’eau

Si la question du surtourisme fait débat, « la vraie problématique dans ce département, c’est surtout l’eau », rappelle Cathy Sahuc. Dans un territoire marqué par une sécheresse endémique, la tension sur la ressource, les conflits d’usage entre agriculture, tourisme et besoins vitaux s’intensifient. « Le tourisme a un impact sur la consommation d’eau. C’est là qu’il faut agir ». D’autant plus que le tourisme accentue les besoins en eau, au moment où la ressource est la moins disponible : l’été. Caroline Le Roy le rappelle : « L’eau, c’est la première motivation des vacances d’été. Se baigner à la mer, en lac ou en piscine. Si les campings d’Argelès-sur-Mer ne peuvent plus remplir leurs bassins parce que les nappes sont vides, c’est un vrai problème. »

Près de Perpignan, Aqualand réutilise de l'eau destinée à être rejetée

En pays catalan, le tourisme est régulièrement accusé d’accaparer l’eau qui devrait être réservée à l’agriculture et aux pompiers. Alors, le secteur s’organise. Lors d’une conférence de presse en juin 2023, l’ancien préfet des Pyrénées-Orientales, Rodrigue Furcy, s’exprimait. « Les eaux de loisirs doivent être réutilisées au bénéfice de l’agriculture, du nettoyage des espaces publics et pour faire face au risque incendie ». Plusieurs activités de loisirs ont répondu à cette demande. C’est le cas du parc Aqualand en 2024.

Le surtourisme, une étiquette facile ?

À l’heure où le mot « surtourisme » est souvent utilisé pour dénoncer une affluence jugée excessive, le secteur appelle à nuancer. Plutôt que de céder au « tourisme bashing », les offices et les collectivités plaident pour une meilleure reconnaissance du rôle économique, social et culturel de l’activité touristique.

« Il n’y a pas d’activité humaine avec zéro impact. Il faut assumer que le tourisme ait des impacts négatifs, mais surtout très souvent positifs. En termes d’emplois, de retombées économiques… et la philosophie même du voyage. La découverte, l’ouverture à l’autre. C’est essentiel à une époque où le repli identitaire progresse »,  souligne la chercheuse Caroline Le Roy.

Dans les Pyrénées-Orientales, le tourisme est un pilier économique majeur. Il représente 55 000 emplois, soit près de 15% de l’emploi salarié marchand du département (Insee).

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Elise Cabane