Article mis à jour le 7 mai 2024 à 15:26
Si selon l’Observatoire des inégalités le chômage des personnes atteintes d’un handicap baisse, il reste presque deux fois supérieur à celui des personnes valides. Dans les Pyrénées-Orientales, le secteur du tourisme est l’un des piliers de l’économie. Mais pour les travailleurs en situation de handicap, les inégalités ont la peau dure. Photo © Vincent Jarousseau / Hans Lucas.
Selon la législation en vigueur, toute entreprise d’au moins 20 salariés doit employer au moins 6% de personnes en situation de handicap. Et le tourisme ne déroge pas à la règle. « C’est une obligation qui se passe parfaitement bien dans nos entreprises », affirme Brice Sannac, président de l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie) dans les Pyrénées-Orientales. Mais du côté de l’APF France Handicap on dénonce le parcours du combattant qui attend les personnes handicapées pour se déplacer, assurer la continuité de leur soin ou se former.
« Ce qui est important, ce n’est pas tant le recrutement, c’est l’intégration de la personne »
« Parfois, le secteur du tourisme est idéalisé », précise Tudi Combot, coordonnateur Emploi Accompagné à l’APF France Handicap des Pyrénées-Oriantales. Si au quotidien ces référents mettent tout en œuvre pour réaliser le projet professionnel des personnes qu’ils accompagnent, la branche du tourisme semble très peu sollicitée.
L’emploi accompagné est un dispositif qui figure dans la loi travail depuis 2018. « Chaque département a une organisation différente. Et dans les Pyrénées-Orientales, c’est l’APF qui est chef de file et Cap emploi qui coordonne le dispositif », précise Tudi Combot. « Nous accompagnons 58 personnes, tout handicap confondu, vers l’emploi en milieu ordinaire. » Âgés de 16 ans à 64 ans, ces demandeurs d’emploi sont souvent sans solution. La majorité souffre de troubles cognitifs ou du spectre autistique. « Ce sont des personnes très éloignées de la vie professionnelle ou qui sont déjà en poste mais qui auraient besoin, par exemple, d’un aménagement pour rester au travail », explique le coordonnateur.
Rachel est référente emploi accompagné, elle suit au quotidien près de 21 personnes. Un accompagnement sur-mesure, sans limitation dans le temps. « Ce qui est important, ce n’est pas tant le recrutement, c’est l’intégration de la personne. Nous sommes présents sur le site de l’entreprise, avec elle. » Rachel part toujours du projet professionnel de la personne qu’elle accompagne. « C’est en fonction de leurs envies et de leurs besoins que l’on trouve de potentielles entreprises. » Tout en gardant en tête que l’immersion est le meilleur moyen de se rendre compte de la faisabilité d’une tâche.
Mobilité, soins, qualifications… autant d’obstacles auxquels se heurtent les personnes handicapées
Malgré l’éventail de profils suivis par Rachel, aucune personne handicapée n’envisage le secteur du tourisme. Et pour cause, le premier mur auquel se heurtent les personnes en situation de handicap est la mobilité. « Nous travaillons avec un public qui n’a pas nécessairement le permis de conduire ou qui a de grosses difficultés pour se déplacer. Si l’on veut travailler dans le tourisme, il faut se rapprocher du littoral. »
Les horaires totalement décalés par rapport à une journée de travail classique sont également un frein de taille. Pour une personne qui aurait besoin de prendre les transports en commun pour se rendre au travail, les choses se compliquent… « Combien de trottoirs ne sont pas adaptés pour les personnes en fauteuil ? D’autant plus, qu’il y a très peu d’arrêts et que vous ne pouvez pas mettre plus d’un fauteuil roulant par bus. » Un véritable casse-tête pour Rachel, qui étudie les trajets des personnes qu’elle accompagne. « C’est l’élément qui peut tout faire s’écrouler. » La référente mentionne également les difficultés de caler des rendez-vous médicaux en parallèle d’une activité professionnelle.
« Il y a aussi un problème de qualification. Nous accompagnons des personnes qui ont un CAP, un BEP, ou même dans certains cas, pas de diplôme. Certains ont des BTS ou le BAC mais pour travailler dans le tourisme, les employeurs demandent souvent de parler une langue étrangère, pour faciliter le contact avec la clientèle », relève Tudi Combot. « Nous avions une maman qui poussait son fils vers l’animation dans un camping. Mais pour assurer ce poste, il faut pouvoir tenir la route. Se retrouver autour de beaucoup de monde, cela peut être compliqué à gérer. » Pour le coordonnateur, l’entourage se fait souvent sa propre représentation d’un métier, qui n’est pas forcément en adéquation avec les possibilités de la personne accompagnée.
Un nouveau regard sur le handicap
« Si un responsable de camping, d’un restaurant ou d’un hôtel nous appelle parce qu’il a déjà une personne en poste et qu’elle rencontre des difficultés pour se maintenir dans son emploi, à ce moment-là, nous avons un rôle à jouer », assure Tudi Combot. En effet, le maintien dans l’emploi est un volet important de la loi égalité des chances.
Suite à un accident de vie, l’un des collaborateurs de Brice Sannac est désormais atteint d’un handicap. « L’entreprise va s’adapter à lui, beaucoup de nos entreprises sont des PME, c’est un fonctionnement familial. Forcément, nous avons une connaissance du collaborateur et une sensibilité qui est différente », confie le président de l’UMIH.
Au sein de l’hôtel Les Elmes, à Banyuls-sur-mer, Brice Sannac compte deux salariés en situation de handicap. Dans un secteur qui peine à recruter, il affirme que la grande majorité des entreprises de plus de 20 salariés respecte leur obligation en termes d’emploi des travailleurs handicapés. « Nous savons adapter les postes de travail, même si certains le sont plus difficilement », nuance tout de même l’hôtelier. « Une personne qui est malvoyante ne peut pas être femme de chambre et un cuisinier atteint de surdité peut représenter un risque de sécurité, notamment au niveau du passage des consignes. »
Si certains employeurs préfèrent payer l’amende auprès de l’URSSAF plutôt que d’embaucher, les référents constatent que le regard sur le handicap a évolué. « Ce sont plutôt les entreprises qui nous appellent », sourit Rachel. « Nous avons récemment accompagné un jeune trisomique vers l’emploi ordinaire. Aujourd’hui, il est en stage dans une cantine scolaire et il a été super bien accueilli par les enfants. » Si au départ les professionnels d’Emploi Handicap appréhendaient cette rencontre, leurs craintes ont vite été balayées. « On a été tellement émus et surpris… Parfois, ce sont les enfants qui nous rappellent comment est-ce que nous devons nous comporter », souffle la référente, les yeux brillants.
Quelles aides pour les employeurs ?
Pour l’heure, les entreprises qui emploient des travailleurs handicapés ne bénéficient d’aucun allégement de leurs charges sociales. Les référents peuvent à la marge débloquer des aides pour des aménagements de poste. Un calcul complexe, qui s’effectue en fonction de la « psychologie » du handicap. « Nous pouvons demander une reconnaissance de la lourdeur du handicap, suite à une demande de l’entreprise », précise Rachel. « Mais c’est un dossier qui est lourd et difficile à monter. » Dans ce cas, les référents sont chargés de calculer le coût réel de la perte de rentabilité. En effet, certains employeurs détachent parfois un autre salarié pour encadrer la personne handicapée. Un coût pour l’entreprise que la reconnaissance du handicap est censée compenser.
Les employeurs peuvent également faire appel à l’alternance. « Une personne en situation de handicap est éligible au contrat d’apprentissage tout au long de sa vie », explique Rachel. « Le deuxième élément intéressant l’aide versée par l’État de 6 000 euros. » De plus, la GEFIP (agence privée) peut venir augmenter ce pécule de 1.500 euros et plus. Deux aides cumulables qui peuvent être avantageuses pour l’entreprise.
Le ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité a récemment annoncé mettre un terme à l’aide exceptionnelle de 6 000 euros, versée à l’entreprise lors d’un recrutement en contrat de professionnalisation. « Si demain il n’y a plus les 6 000 euros d’aides pour l’apprentissage sur le droit commun, ça va être très compliqué de faire peser dans la balance le recrutement d’une personne en situation de handicap », affirme Rachel. « Les employeurs n’ont pas d’exonération de charge, pas d’aide et se retrouvent en difficulté parce qu’ils ne connaissent pas le handicap. »
« Les premiers ambassadeurs de nos entreprises sont nos collaborateurs »
L’insertion professionnelle des personnes handicapées peut également rentrer dans une politique RSE. Les entreprises s’inscrivent de plus en plus fréquemment dans une approche de responsabilité sociétale, prenant ainsi en compte l’humain. Le handicap, et sa dimension sociale en font pleinement partie. Les travailleurs handicapés deviennent ainsi une vitrine pour les entreprises. « Je suis en mesure de dire que les premiers ambassadeurs de nos entreprises, ce ne sont pas nos clients, mais nos collaborateurs », confirme Brice Sannac.
Encore faut-il que l’établissement soit aux normes et accessible aux personnes handicapées. Une référente Emploi Handicap s’est récemment retrouvée face à un ascenseur en panne. « La personne qu’elle accompagne était à mobilité réduite, donc forcément ça n’a pas pu aboutir sur quelque chose de plus concret », se désole Rachel. « Aujourd’hui, les locaux sont de plus en plus adaptés à l’accueil des personnes à mobilité réduite. Le frein qui peut être constaté, c’est qu’il faut pouvoir entretenir ces bâtiments. » Et selon la référente, les moyens sont souvent insuffisants.
Travailler les représentations que les personnes handicapées ont d’elles-mêmes
Au cœur des établissements touristiques, comme ailleurs, un travail de sensibilisation est fait pour lutter contre les stéréotypes et préjugés liés au handicap. « Nous avons des formations obligatoires, afin de sensibiliser nos employés sur tous les types de discriminations », assure le président de l’UMIH. C’est aussi l’une des missions des référents Emploi Handicap. « Qui mieux que la personne handicapée pourrait expliquer ses besoins ? C’est quelque chose que l’on travaille en amont avec la personne, puis nous venons aussi sur place en entreprise », expose Rachel.
« Ce qui est le plus difficile à travailler, c’est surtout les représentations que les personnes ont d’elles-mêmes. Pour l’employeur, du moment que le salarié est en capacité de faire ce qu’il lui est demandé et qu’on trouve des solutions pour faciliter sa tâche, il n’y a aucun problème. »
En France, sur 500 000 personnes en situation de handicap en âge de travailler, seulement de 10 000 sont accompagnées. « Dans les Pyrénées-Orientales, nous avons 58 places, ce qui est assez peu par rapport à la demande. Nous sommes à 100% de taux d’occupation. On a même une liste d’attente », affirme Tudi Combot, qui ne peut répondre favorablement à toutes les demandes. L’emploi accompagné est totalement financé par l’État, 70% via les ARS et 30% par la GFIP. Cette prestation est donc totalement gratuite pour les entreprises.
- Hausse des liquidations en France : les entreprises catalanes seront-elles épargnées ? - 20 novembre 2024
- Près de Perpignan, grâce à une action en justice, ces déchets refont surface - 14 novembre 2024
- Cette école de Perpignan doublement récompensée par le prix Samuel Paty - 12 novembre 2024