Article mis à jour le 21 décembre 2024 à 12:58
Avec 5,36* refus d’obtempérer pour 10 000 habitants, les Pyrénées-Orientales se classent dans le Top 3, derrière le Vaucluse et la Seine-Saint-Denis. Un fléau qui sévit aux quatre coins du département, du centre-ville de Perpignan aux routes de campagne. Et depuis le début de l’année, les gendarmes, tous services confondus, dénombrent déjà 113 refus d’obtempérer sur les routes catalanes. Une menace pour les forces de l’ordre et les autres usagers qui se partagent la voirie. Décryptage.
En France, 25 000 refus d’obtempérer ont lieu en moyenne tous les ans depuis 2016. Qu’est-ce qu’un refus d’obtempérer ? Pour rappel, il s’agit du fait pour tout conducteur de refuser d’obéir à une sommation de s’arrêter, émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infractions. L’auteur s’expose à une peine de prison de deux à cinq ans, à une amende et un retrait de points.
La course-poursuite est loin d’être privilégiée
En août dernier, la gendarmerie vivait un drame. L’adjudant Éric Comyn perdait la vie, percuté par un véhicule refusant de se soumettre à un contrôle routier. Les refus d’obtempérer font souvent les gros titres. Et pour cause, ces délits routiers ont augmenté de 3%. Dans les Pyrénées-Orientales, le commandant de l’EDSR (Escadron départemental de sécurité routière), Patrick Sanchez, est chaque jour confronté à ce risque. « Il y a beaucoup de gens qui roulent sans permis et sans assurance. Certains conducteurs préfèrent fuir pour éviter de payer une amende. »
En cas de refus d’obtempérer, les gendarmes doivent suivre un protocole bien particulier. Contrairement aux idées reçues, la course-poursuite est loin d’être privilégiée. Si un automobiliste prend la fuite au nez et à la barbe des militaires, il est « jalonné » à distance. En effet, poursuivre l’individu à toute vitesse augmente les facteurs de risques. « On reste loin derrière et on signale le véhicule en fuite à la radio, afin que toutes les unités gendarmerie soient informées », nous explique le commandant.
Ainsi, d’autres patrouilles ont le temps de monter un système de barrage, notamment à l’aide d’une herse. « Si ce n’est pas possible, on suit l’individu à distance et on essaye de relever le maximum de signes distinctifs. » Le fuyard peut être identifié grâce à la marque de sa voiture, sa couleur, et bien sûr, sa plaque d’immatriculation. « Lorsque le conducteur prend trop de risques, il est important d’avoir le réflexe de lever le pied », assure le gendarme. C’est ce qu’on appelle le principe de renoncement ou S.U.N (Sécurité, Urgence, Nécessité). Sur toutes opérations de contrôle, les gendarmes disposent d’une note de service à laquelle se référer.
Ces conducteurs prêts à tout pour échapper aux gendarmes
« Pourquoi risquer de perdre sa vie pour un conducteur qui n’a pas attaché sa ceinture de sécurité ? Ou risquer qu’il se tue ou qu’il blesse un autre usager ? », interroge le gendarme. « Nous pouvons l’identifier, lui envoyer un procès-verbal ou l’arrêter à son domicile le lendemain. » Le commandant Sanchez établit toujours une note de service pour expliquer à ses équipes la mission et les conduites à tenir, notamment ce principe de renoncement.
Sur le terrain, les gendarmes constatent que de plus en plus de conducteurs sont prêts à tout pour leur échapper. « Il n’y a pas vraiment de stéréotype d’infraction qui amène à un refus d’obtempérer », affirme Patrick Sanchez. Et parfois, les motifs sont surprenants ou futiles. « Pendant un moment, c’était les jeunes permis. Ils pensaient qu’il y avait tolérance zéro à l’alcoolémie. Or, le jeune conducteur a un taux limité à 0,10 mg par litre d’air expiré. Ce qui correspond à un peu plus qu’un verre », rappelle le gendarme. Par peur de voir leur permis annulé, ces jeunes tentaient le tout pour le tout en prenant la fuite.
Une situation dangereuse qui peut devenir dramatique
Malgré toutes leurs précautions, les gendarmes restent des cibles. « L’année dernière, plusieurs de nos véhicules ont été percutés intentionnellement », révèle le commandant de l’EDSR. « Il faut que les auteurs comprennent que tous ces risques-là vont mener à une situation beaucoup plus grave », alerte-t-il. Lorsqu’un gendarme ou un policier est tué, on parle d’homicide, la voiture étant l’arme par destination.
Des missions peuvent laisser des séquelles physiques, mais aussi psychologiques aux gendarmes. Au quotidien, les forces de l’ordre peuvent compter sur la présence d’une psychologue clinicienne et d’une assistante sociale. « Nous pouvons en parler et évacuer notre ressenti. C’est essentiel pour continuer à travailler dans de bonnes conditions. » Afin de prendre le moins de risques possible, les militaires participent également à des cours d’intervention professionnelle tout au long de l’année. « On simule nous-mêmes des refus d’obtempérer pour montrer aux gendarmes comment réagir. »
En cas de légitime défense ou face à un danger, les forces de l’ordre ont le droit de faire feu. Mais l’usage de l’arme se fait dans un cadre très précis. « Je ne peux tirer qu’au moment où je vais être percuté par le véhicule. C’est difficile d’analyser ça dans l’action, la difficulté de l’usage des armes, elle est là », reconnaît le gendarme. « Ça va très vite. Il faut prendre la bonne décision au bon moment. »
Depuis quelques années, les militaires utilisent les herses stop-stick, beaucoup plus légères, pour dissuader les conducteurs. « C’est une sorte de bâton en plastique en forme de triangle, utilisable seul ou par assemblage. » Il suffit de placer le dispositif sur la route pour intercepter un véhicule. Cette herse nouvelle génération crève les pneus en douceur, afin d’éviter toute perte de contrôle brutale.
Le refus d’obtempérer est lié à une infraction déjà commise
À moto ou en voiture, de jour comme de nuit, les gendarmes sont exposés aux refus d’obtempérer tout au long de leur carrière. Lors d’un contrôle routier, le commandant Sanchez a vu un de ses hommes se faire traîner sur près de 50 mètres par un véhicule. « Au moment où il procède au contrôle de l’alcoolémie avec l’appareil éthylotest, la personne décide de partir », raconte-t-il. Le rétroviseur tape la hanche du gendarme. Déséquilibré, il s’accroche à la portière. « Je l’ai vu rouler-bouler avec la voiture qui roulait à côté. On a eu très peur », confie-t-il. Ce soir-là, l’usage du stop-stick a permis d’arrêter la voiture. Après un kilomètre et demi de poursuite, les pneus éclatent.
L’adjudant Claude Sanchez nous raconte à son tour une interpellation qui l’a marqué. « C’était une personne déjà recherchée pour avoir percuté des véhicules gendarmerie. Nous l’avons jalonné sur la route d’Elne pendant 20 km ! La fin de l’interpellation s’est faite sur la commune de Palau-del-Vidre. » S’il ne conduit pas rapidement, l’individu prend tous les risques pour semer les gendarmes. Après avoir pris un rond-point à l’envers, il finit sa course dans une ruelle sans issue. « Il a de nouveau percuté un véhicule en essayant de nous échapper », révèle le militaire. L’individu roulait sans permis de conduire.
Récemment, la brigade motorisée de Céret a essuyé deux refus d’obtempérer, le premier sur une petite route, lors d’un simple contrôle vitesse. « Le véhicule s’est retrouvé dans une impasse et le conducteur est parti à pied », nous explique le commandant Sanchez. À l’intérieur de la voiture, les gendarmes découvrent 705 cartouches de cigarettes en provenance d’Espagne. Bien souvent, le refus d’obtempérer est lié à une infraction déjà commise.
« Aucun militaire ne vous dira qu’il n’a jamais connu de refus d’obtempérer », lance l’adjudant-chef Slimane Nacer-Chérif, qui prend la parole à son tour. « Un gros scooter nous voit et change de direction », entame le gendarme. Un comportement suspect que lui met la puce à l’oreille. Une poursuite s’engage alors entre Canet et Sainte-Marie. Le gendarme garde une certaine distance pour ne pas mettre la pression au conducteur en fuite. Malgré ses précautions, le fuyard arrive trop vite sur un virage à gauche et se fait éjecter. « Le pilote s’est pris une voiture en stationnement, il a eu une fracture du pied. Ils étaient deux sur le scooter, le conducteur n’avait pas de permis, pas d’assurance, et il était en possession de stupéfiants. »
*en moyenne de 2016 à 2023, en France métropole.
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