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Reportage dans les Pyrénées-Orientales : Qu’est ce qu’un chasseur sachant chasser ?

Article mis à jour le 29 septembre 2025 à 12:24

La saison de la chasse est ouverte depuis le 14 septembre dans les Pyrénées-Orientales. À l’heure où la pratique suscite régulièrement de vifs débats, des incompréhensions et parfois des crispations ou même des tensions, Made in Perpignan est allé voir comment se passe réellement une battue.

L’aube n’est encore qu’un fin trait de lumière jaune-orangé à l’horizon. Ils sont pourtant déjà rassemblés, prêts à partir. Casquette orange vissée sur la tête et emmitouflés dans des vestes du même teint, ils sont une vingtaine ce matin-là. C’est beaucoup pour un mercredi. Le week-end, ils sont deux fois plus nombreux. Sur le capot d’un 4×4, Pierre Taberné, le président de l’Association intercommunale de chasse agréée (AICA) de Caixas-Camelas sort le carnet de battue. Tous les chasseurs présents, ainsi que les invités, doivent y être inscrits. Une fois que chacun a signé, Pierre Taberné hausse la voix.

Tous se rejoignent autour de lui dans un silence respectueux durant lequel le président rappelle les règles de sécurité : les angles de tir, quand charger et décharger son arme. Les chasseurs doivent également signaler leur présence avant de lancer la battue, il demande donc aux uns et aux autres de poser des panneaux à divers embranchements de route et de pistes. Ici, on parle en lieux-dits, en noms de chemins ou en noms de Mas. Les postes de chacun sont tirés au sort. Aujourd’hui, on chasse le sanglier, le chevreuil et le renard. 

Alors que les hommes rejoignent les véhicules, Pierre Taberné s’approche et devant le paysage qui s’étend à perte de vue, il pointe la zone de chasse du jour, entre plusieurs crêtes et autour d’une ferme. Un agriculteur a appelé pour signaler les ravages de sangliers sur ses parcelles fraîchement semées. « Chaque nuit, les sangliers viennent toucher ses cultures, il n’en peut plus et nous appelle tous les jours pour qu’on vienne l’en débarrasser ». En France, depuis une loi de 1968, les chasseurs ont l’obligation de payer les dégâts liés au grand gibier. D’où l’importance pour eux de traquer toujours plus de sangliers, ces animaux pullulant dans le coin.

Présent à nos côtés, le directeur de la fédération de chasse départementale et ingénieur agronome, Jean-Roch Cazals, témoigne du coût de cette obligation : « La saison dernière, la fédération a dû payer 160 000 € d’indemnisation sur l’ensemble du département, sans compter le temps passé par le personnel et les frais d’expertise qui sont aussi à notre charge ». À cela, s’ajoutent 450 000€ de mesures de prévention (essentiellement des clôtures pour les agriculteurs), investis sur les cinq dernières années dans le département. 

Partager l’espace et le paysage  

Les véhicules s’élancent, Jean-Roch Cazals sera notre guide du jour. Les 4×4 serpentent sur les pistes DFCI une bonne dizaine de minutes. Puis on termine à pied, en se faufilant dans le maquis. Chacun des tireurs prend son poste. Pour nous, ce sera un promontoire rocheux identifié comme « le numéro 6 ». Jean-Roch Cazals sort sa carabine de son étui. Lentement, il insère les balles dans le chargeur. Ce sont des munitions de taille conséquente, prévues pour stopper le gros gibier.

« On utilise du gros calibre pour créer un impact important au toucher de l’animal. Le but est de le tuer sur le coup en le stoppant net. Comme ça, on le tue proprement et on évite de blesser une bête qui irait mourir 1km plus loin ». 

A la radio, le président s’assure que tout le monde est en place. Au loin, on entend les clochettes des chiens. Les piqueurs, qui chassent à pied, orientent leur petite meute à la voix puis ils suivent les chiens lorsque ceux-ci repèrent une piste. Leur rôle consiste à « lever » les bêtes puis à les traquer. Le but étant de faire fuir le gibier et si possible de l’orienter vers les tireurs postés dans les massifs.

Ces massifs sont aussi le terrain de jeu naturel d’autres pratiquants : promeneurs, randonneurs, cyclistes… La cohabitation fait régulièrement l’objet de débats enflammés. « Il faut aussi que nous fassions ce travail de pédagogie, estime Jean-Roch Cazals. Il nous faut expliquer ce que l’on fait et comment on le fait ». Lucide, il estime que les arguments d’autorité de type « on est chasseurs, on paye notre carte, on a le droit d’être là », sont mal compris et ne passent plus auprès du grand public. 

Ainsi il préfère mettre les choses en perspectives : « Lorsqu’une battue est en cours sur un village, il faut savoir qu’elle n’occupe qu’un seul secteur qui correspond à environ 10% du territoire de la commune. Concrètement, ça signifie que les 90% restants sont libres ! ». Le directeur de la fédération de chasse met également en avant les outils qui permettent l’échange d’informations. Si un événement en nature (trail, course d’orientation…) est organisé, il est conseillé d’avertir la fédération afin que celle-ci relaie l’information auprès des associations de chasse locales. Les battues se déportent alors sur d’autres secteurs. « C’est par le dialogue que les choses se passent bien, c’est quand les gens ne se parlent pas que c’est le bordel », regrette Jean-Roch Cazals.

Quelques minutes plus tard, des aboiements nourris se font entendre au loin. Le chasseur posté se redresse. « Apparemment les chiens sont derrière un sanglier ». Plus bas dans le vallon, un oiseau s’égosille. « C’est un merle, parfois ça peut être le signe qu’un animal est en train de passer ». Soudain, un sanglier surgit d’un fourré à 50m de nous, sur le flanc rocheux opposé. Il nous repère et s’immobilise un instant, à découvert. La détonation retentit et résonne dans la vallée. La balle fend l’air et, une fraction de seconde plus tard, touche sa cible. Le sanglier s’effondre, inerte. On s’approche, il s’agit d’un mâle d’une cinquantaine de kilos. Sur son corps, Jean-Roch Cazals prélève du sang, des tiques et un morceau de rate. Ces prélèvements seront envoyés en laboratoire et l’étude des échantillons permettra la tenue d’une veille sanitaire destinée à observer et étudier les maladies dont le gibier est potentiellement vecteur.

Le calme revient, le temps s’égraine au fil de la matinée. Le soleil, de plus en plus haut dans le ciel, réchauffe l’atmosphère et offre un moment de contemplation sur le paysage. Deux palombes s’envolent, le chasseur les signale sur l’application vigifaune, une base de données participative destinée au recensement de la faune sauvage. 

Un géant hissé à flanc de montagne 

À la radio, Pierre Taberné ordonne la fin de la battue, les chasseurs soufflent alors trois coups de corne, une sorte de petite trompette au son rauque. On remonte. Comme après un match de rugby ou de foot, les hommes en se rejoignant rejouent les actions, s’enflamment. On s’agite, il faut du monde pour sortir une bête tuée plus bas, dans un ruisseau au creux des vallons. L’animal fait plus de 110 kg. Un mastodonte. L’abattre n’a pas été simple, raconte Nicolas Ribes, qui mime la scène devant les autres, suspendus à ses lèvres. « J’ai entendu les chiens s’approcher, puis j’en ai vu un voler… Là j’ai eu une fenêtre et j’ai tiré ! Je l’ai eu. Mais le chien a pris cher… ».

Il arrive régulièrement que des sangliers mâles imposants comme celui-ci se retournent contre les chiens et les lacèrent de leurs défenses tranchantes. Cette fois-ci, le chien s’en sortira avec une dizaine de points de suture réalisés sur place. D’autres ont parfois moins de chance. L’an dernier, l’AICA a déploré un bilan de 41 chiens blessés, un mort et plus de 5000 € de frais vétérinaires. 

Remonter le sanglier se fera mètre par mètre. Une dizaine d’hommes sont nécessaires pour hisser la bête à flanc de colline. Il faudra vingt bonnes minutes pour rejoindre la piste. « Pas besoin de faire du crossfit ou d’aller à la salle de sport quand on est chasseur ! », rigole l’un d’eux. Le butin du jour est ramené au local, dans un mas. Les animaux sont directement dépecés, la viande est partagée. « Au moins, on sait ce qu’on mange. Ce n’est pas plus barbare que l’élevage qui se finit à l’abattoir. Là, on tue des animaux sauvages qui n’ont pas le temps de vraiment comprendre ce qu’il se passe et qui ont vécu en pleine nature », observe l’un des présents. Les restes, abats, os, têtes, sont disposés le long d’une falaise. Les vautours, qui tournent déjà au-dessus de nous, s’en délecteront. 

Le sketch des inconnus

Participer à cette battue avec eux permet de comprendre les différents rôles attribués aux chasseurs. Des rôles méconnus pour les publics éloignés de cette activité pourtant ancestrale. « Les clichés ont la vie dure, déplore Jean-Roch Cazals. Le sketch des Inconnus nous fait beaucoup de mal, il nous colle à la peau. Il est très drôle, le problème c’est que beaucoup de gens le prennent au premier degré et pensent que nous sommes des alcooliques qui tirent au pif. Après la chasse, il y a une 3e mi-temps, oui, comme au rugby. Mais pas avant ni pendant ! ». 

La question des accidents reste pourtant un épouvantail pour l’opinion. Selon l’Office français de la biodiversité, leur nombre (mortels ou non) a baissé de 41% en France depuis 20 ans. En revanche, depuis trois ans les incidents réaugmentent fortement et 100 accidents ont été recensés la saison dernière. Le nombre de décès a dans le même temps presque doublé avec onze victimes en 2024/2025, contre six en 2023/2024. En revanche, dans les Pyrénées-Orientales, « touchons du bois », dixit Jean-Roch Cazals, « on n’a pas eu d’accident depuis des années, le travail de prévention et de rappel systématique des règles de sécurité paie ». Pourvu que ça dure !

D’après la fédération de chasse, ces débats – légitimes – masquent un aspect essentiel de l’activité. « La chasse est l’un des derniers vecteurs de lien social dans de nombreux territoires, martèle Jean-Roch Cazals. Il y a une association de chasse par commune et dans de nombreux petits villages, c’est même la seule association qui perdure ! ». Dans le département, les pratiquants sont près de 6000 (et plus de 900 000 à l’échelle nationale). À Caixas, ce matin-là, le plus ancien à 83 ans. Le plus jeune membre de l’association, lui, n’est pas là, il est à l’école. À 16 ans, il ne chasse que le week-end. Reste un défi : celui de féminiser la pratique. L’an dernier, 13% des candidats au permis de chasser étaient des femmes. Un chiffre en hausse mais encore très minoritaire. 

Dans le vallon, le silence est revenu. Les traces de la battue s’effacent déjà, ne restent que les récits échangés et le gibier partagé. Finalement, un chasseur sachant chasser ne serait-il pas quelqu’un qui, au-delà de la cible, saurait trouver sa place dans des débats qui le dépassent ?

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Sébastien Leurquin