Article mis à jour le 22 février 2025 à 14:13
Ce 21 février 2025, Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, était dans les Pyrénées-Orientales. Objet de la visite ministérielle : l’avancée des recherches sur le cimetière harki du Camp Joffre. Où sont les corps des 146 Harkis décédés entre 1962 et 1965 et passés par le camp militaire de Rivesaltes ?
Dans la salle du conseil municipal, face aux familles des Harkis qui cherchent encore la sépulture de leurs proches, les représentants de l’État français, archéologues, historiens, mais aussi le maire de Rivesaltes, André Bascou et celui de Perpignan, Louis Aliot. Au total, plus d’une quarantaine de personnes étaient réunies pour connaître l’avancée des recherches sur le cimetière harki du Camp Joffre.
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Après plusieurs années d’investigations, la position des lieux de sépulture a finalement été mise à jour lors des fouilles organisées en novembre 2024. Mais alors que les familles croyaient enfin pouvoir faire leur deuil, les emplacements repérés étaient vides.
Patrice Georges, archéologue précise que 27 fosses ont été découvertes lors des fouilles et qu’aucun corps n’a été retrouvé. Ce qui laisse penser « que toutes les tombes ont été recreusées. « Nous avons retrouvé deux ossements, et 19 plaques métalliques avec des numéros de 10 à 71. On est sur un site qui a été effacé, et les os récupérés. Nous, on a essayé de remonter le temps pour comprendre ce qu’il s’était passé ».
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Le maire de Rivesaltes « présente (s)es excuses à toutes les familles »
C’est à l’issue de la réunion du 10 décembre 2024 que le maire de Rivesaltes a décidé de rechercher dans sa mémoire, mais aussi dans ses archives. Ce vendredi matin, André Bascou déclare face aux familles : « La mairie devait procéder au déplacement des corps inhumés au cimetière harki du camp pour les déplacer au cimetière communal Saint-Saturnin ».
Il y a 40 ans, l’adjoint en charge des cimetières de Rivesaltes aurait écrit : « Dans le cimetière harki, il y a deux tombes avec des plaques mortuaires, sept tombes avec des plaques numérotées, mais sans nom. De plus, il y avait 51 tombes, ou plutôt des monticules, (précise André Bascou) sans indication. »
À centre : André Bascou, maire de Rivesaltes depuis mars 1983.
« Nous avons demandé à l’armée de nous communiquer le nom des défunts inhumés dans les 58 tombes non identifiées. Le général nous a répondu qu’il ne retrouvait rien dans ses archives. L’exhumation des corps, et l’inhumation au cimetière de Rivesaltes a eu lieu du 15 au 19 septembre 1986. Je présente mes excuses à toutes les familles, car je n’ai pas vérifié alors que j’aurai dû, la procédure menée par mon adjoint et notamment vis-à-vis des familles des tombes identifiées. »
« Les dépouilles sont au cimetière de Rivesaltes et le maire va devoir faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé »
Dans la salle, Madame Atout est visiblement marquée par les déclarations d’André Bascou. « Ça fait des années que je vous demande les documents sur le transfert du corps de mon oncle, et comme par hasard, aujourd’hui vous nous présentez ce document qui sort de nulle part ! On a malmené des familles. On nous a malmenés. Aujourd’hui, on découvre quoi ? Que les recherches ont été effectuées seulement le 10 décembre 2024 ? Je suis révoltée de voir le peu de considération pour mon oncle qui avait 21 ans. Et qui a combattu sous le drapeau français ! »
Comme la jeune femme, de nombreuses familles sont indignées par le traitement fait à ces Harkis venus en France avec leurs familles. Selon Abderahmen Moumen, membre du conseil scientifique du mémorial du camp de Rivesaltes, et chercheur associé au Telemme*, de 1962 à 1965, environ 22 000 harkis passent par le camp Joffre. « Durant cette période, il y a eu des décès, parfois naturels, mais aussi liés aux conditions de vie dans le camp ; le froid, le traumatisme, le contexte psychologique de déracinement et de violence qu’a subis une partie de ces familles, mais aussi des meurtres. Il y a aussi eu cela dans le camp de Rivesaltes. »
À gauche : Abderahmen Moumen, conseiller stratégique auprès de la Directrice générale de l’ONaCVG / À droite : Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants.
Aujourd’hui, le chiffre des décès est estimé à 146 personnes, mais, prévient Abderahmen Moumen, cette donnée peut encore évoluer. « 60 personnes seraient décédées dans le camp, et 86 à l’hôpital de Perpignan. » Au-delà de la soixantaine de dépouilles déplacées vers le cimetière Saint-Saturnin de Rivesaltes, la réunion de ce 21 février a révélé que 39 personnes sont enterrées au cimetière de l’ouest et 32 à celui du Haut-Vernet, sur la commune de Perpignan.
Balayant toute responsabilité du ministère des armées, la Ministre renvoie les maires vers leurs propres archives. « Nous avons mis tout le monde autour de la table. Et nous avons pu trouver l’histoire et pas l’imaginaire. On a avancé et on va continuer à faire la lumière pour leur montrer qu’on n’a rien à cacher. » Concernant les dépouilles déplacées vers le cimetière communal de Rivesaltes, la ministre déclare, « le maire va devoir faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé. »
Entre colère et résilience, un deuil impossible sans lieu de recueillement
Des mamans ont perdu un enfant, et ne savent pas où se recueillir, d’autres ne savent pas où pleurer leur père. « On devrait pouvoir retrouver les restes de tous ces corps. Ils ne se sont pas volatilisés. Ils n’ont pas disparu. Même si on accepte votre pardon, 40 ans après, on se pose la question. Où sont passés ces corps ? Il faut qu’on donne des réponses à nos familles, à nos frères et sœurs. Ce qui est important, c’est qu’il nous faut la vérité monsieur le maire. »
Pour cette maman en larmes, c’en est trop, « j’ai perdu mon fils à 3 mois et demi. Où sont les restes de mon fils. » À ses côtés, c’est une fille qui cherche son père. « La reconnaissance est importante pour nous. Je suis venue d’Alsace avec l’espoir qu’aujourd’hui, j’allais pouvoir retrouver la tombe de mon père. Depuis 60 ans, j’ai fait des recherches et je n’ai eu que des portes fermées, aujourd’hui une porte s’est ouverte. »
*Telemme : Temps, espaces, langages, Europe méridionale, Méditerranée – est une unité mixte de recherche de l’Université d’Aix-Marseille et du CNRS.
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