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Sommes-nous esclaves de nos préjugés ? Évocations avec Davy Kilembé et Samir Mouhoubi

Vue en fin de journee sur une barre d immeuble de la cite du champs de mars dans un quartier populaire de la ville. Perpignan, France. 22 septembre 2020.

Article mis à jour le 13 septembre 2021 à 14:58

L’un a des airs d’intello maghrébin ; l’autre d’antillais à l’accent chantant espagnol : le tandem Samir Mouhoubi et Davy Kilembé s’est donné rendez-vous sur scène, avec « Je viens d’où tu vas« . Les deux artistes perpignanais y chantent, dansent, content, savourent la vie, et les différences de chacun.

Né d’une mère espagnole et d’un père congolais, Davy Kilembé grandit entre Perpignan et Lubumbashi. Samir Mouhoubi vient des montagnes kabyles du Djurdjura. Il s’installe en France pour suivre sa carrière avec le soutien de Francis Cabrel.

« Je viens d’où tu vas » dépeint leurs parcours respectifs, et leurs confrontations à la vie. Le ton est subtil. L’air joyeux. Les traumatismes vécus sont suggérés. L’honnêteté est honorée. Ce spectacle vivant est un témoignage d’histoires vraies, accessible à tous, à partir de six ans. Un hymne à l’éducation. L’ouverture d’esprit comme ligne de mire. « Je viens d’où tu vas » est programmé en France jusqu’en 2022.

Afin d’approfondir le concept de leur spectacle, nous avons suggéré aux deux artistes le visionnage du documentaire « Je ne suis pas raciste mais… »; de l’émission Spécimen et produit par la télévision suisse RTS. Samir et Davy, bons élèves, ont joué le jeu jusqu’au bout. Une visio-discussion à préjugés rompus que nous vous partageons.

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♦ Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Samir : Grâce à Francis Cabrel ; par le biais de ses rencontres musicales d’Astaffort. J’arrivais d’Algérie en 2002. Je me suis installé trois ans plus tard à Perpignan. Et Cabrel m’a conseillé de rencontrer Davy. Mais à ce moment-là, j’avais arrêté la musique.

Davy : Avant qu’il reprenne la musique en 2010, on se croisait de manière très occasionnelle à Perpignan. Par la suite, on se voyait lors de concerts. Samir avait son groupe Amane. On a chanté ensemble aux Musicales de Perpignan par exemple. C’est à ce moment-là qu’on a eu le déclic de faire un projet commun.

♦ Comment le thème de ce projet « Je viens d’où tu vas » vous est-il venu ?

Samir : De mon côté, j’avais déjà travaillé pour plusieurs compagnies théâtrales. J’avais l’impression que tout avait déjà été fait. Davy a suggéré de parler de nous-mêmes ; de notre histoire, tout simplement. J’ai trouvé ça super. On a mis sur papier nos biographies et nos CV respectifs. C’est comme ça que l’idée de « Je viens d’où tu vas » est née. On y parle de notre parcours, nos différences, et de nos points communs. Et puis c’est parti, yallah : on a écrit les chansons et le spectacle.

Davy : On y parle notamment de nos traumatismes. Mais ça se destine à un jeune public. Les choses négatives sont bien là ; de manière sous-jacente et suggérée. On veut partager un message d’espoir et de positivité.

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♦ Samir, pourquoi avoir quitté l’Algérie?

Samir : J’y ai vécu beaucoup de traumatismes ; de l’enfance à l’âge adulte. Petit, on vivait tous confinés. Il faut savoir quelque chose au sujet de ce pays depuis son indépendance : il y a deux clans ; un politique, un islamiste. Nous, kabyles, sommes au milieu. De jeunes exilés dans notre propre pays. Les dirigeants ont créé une peur pour que le peuple ne puisse bouger. On a vécu dans une prison à ciel ouvert.

Le jour où j’ai pu trouver une fenêtre, je me suis enfui, pour venir en France. J’ai vécu la guerre. J’ai vécu l’armée. J’ai vécu la traversée. J’y ai perdu de très bons amis. Revenir au pays, c’est revenir dans un cauchemar, où on se croit déjà mort. Alors yallah : on part pour renaître.

✒︎ Une prison à ciel ouvert : c’est encore le discours des jeunes algériens aujourd’hui. Davy, vous expliquez avoir voyagé dans votre Zaïre paternel. Pouvez-vous développer ? 

Davy : Mon père a fait ses études en France, où il a rencontré ma mère, née ici, de parents espagnols qui ont fui Franco. À ma naissance, on s’est installé au Zaïre ; où mon père travaillait. J’étais devenu rapidement un petit congolais. Mais ce que j’ai compris tout de suite, c’est qu’en France, j’étais un petit noir ; et là-bas, un petit blanc.

Alors avec toutes ces histoires de différences, ça m’a ouvert l’esprit. Beaucoup de Français utilisent le mot « dictature » ; face à l’actualité et aux mesures nationales. Moi, quand j’étais petit à Lubumbashi, je n’ai pas connu la guerre comme Samir. Mais dans ma rue, je me souviens avoir vu l’armée tirer à balles réelles sur des manifestants étudiants. L’information ne circulait même pas. La dictature, c’est ça !/p>


À lire : Daniel Kupferstein et le 17 octobre 1961 | Le chantier de la mémoire franco-algérienne


♦ Les mots « préjugé » et « stéréotype » ont-ils la même portée selon vous ? 

Davy : L’un et l’autre sont autant négatifs. Le stéréotype, c’est global ; c’est quelque chose auquel on se raccroche pour se confronter à quelqu’un. Alors que le préjugé, c’est davantage de l’ordre de la volonté. C’est plus une démarche volontaire.

Samir : Je le vois autrement. Pour moi c’est pareil.

✒︎ Comment ces deux mots falsifient-ils la réalité ? 

Samir : Stéréotype, ou préjugé, c’est de l’ordre de la peur de l’autre. Un racisme reste un racisme. C’est de la xénophobie. « Pourquoi est-il différent de moi ? Moi, je suis idéal;  lui ne l’est pas ». En résumé, c’est l’histoire du chameau qui ne voit jamais sa bosse. On est le miroir de l’autre.

♦ Est-ce que le politiquement correct n’amène que du positif ?

Davy : On arrive à un stade où ça devient contre-productif. On marche sur des œufs. Aujourd’hui, le grand combat féministe a modifié la langue française ; pour que ce soit plus équitable, et que le genre féminin soit plus représenté. C’est très symbolique, mais ça met beaucoup de barrières. J’ai l’impression que les raisons pour lesquelles on fait tout ça ne sont pas les bonnes. Dans le cas de l’écriture inclusive, est-ce pour se pardonner, et se donner bonne conscience par rapport aux comportements de la société vis-à-vis des femmes ?

L’écriture change; mais pas les mots, ni le fond. Notre culture reste la même. Au final, les femmes restent moins bien considérées, moins bien payées, etc. Je dois avoir des stéréotypes et des préjugés en moi. C’est impossible de ne pas en avoir. Avec le peu que j’en ai, je me sens à l’aise. Il faut que les langues se délient, et que la parole se libère.

Deux exemples : le client qui dit une Tête-de-nègre à la pâtisserie, et le guichetier qui relève que ton prénom n’est pas français. Si on montre un comportement non agressif, qu’il n’y a pas de problème, qu’il y a mutuellement de la compréhension, du respect, voir de l’humour ; pour moi ce n’est pas raciste. Bien sûr ça peut vite déraper.

Samir : Je prends comme exemple l’immigration choisie. Ça fait partie d’un racisme extraordinaire. J’ai découvert cette politique quand j’étais encore en Algérie. Ça provoque de la haine. Autant chez ceux qui ont fait des études supérieures que chez les autres.

♦ C’est-à-dire ?

Samir : On ne peut pas choisir des critères de sélection entre un balayeur et un ingénieur. Chacun son métier. C’est du racisme.

Davy : J’irai plus loin que ça, et je vais peut-être faire un stéréotype : l’ingénieur africain qui a le droit de s’installer en France travaillera sûrement comme balayeur.

✒︎ Comment décririez-vous le racisme indirect ?

Davy : Je mets ça sur le dos du manque de connaissance. Certaines personnes se comportent de la sorte car ils ont peu d’éléments pour se faire une bonne idée. Ça les amène à penser et à agir d’une certaine façon. Mais dans ce cas précis, c’est facile de leur ouvrir les yeux.

Samir : Moi je parle de racisme direct, indirect, et d’ignorants. Le premier l’assume : il n’a pas peur de toi mais te traite mal. L’indirect a peur de toi, de tes réactions ; et va donc se comporter de manière raciste. Et celui d’ignorants, c’est ce que décrit Davy : c’est quelqu’un qui n’est jamais sorti de son village. Il n’a pas vu d’autres horizons.

♦ Aujourd’hui, est-on loin de la France du président Chirac et de son discours « de bruits et d’odeurs » ? 

Davy : On est pile dedans. C’est toujours la même chose. Tout comme Louis Aliot, ces gens utilisent des ressorts à des fins électorales. Chirac a tenu ce discours pour s’arranger l’électorat d’un Front National qui commençait à se présenter comme une troisième force politique. Aujourd’hui, c’est la même stratégie. C’est même pire. Les politiciens se préparent à faire face au FN, aux seconds tours, et à les gagner de cette manière. C’était le cas d’Emmanuel Macron. Jean-Marc Pujol a perdu, mais c’était la même stratégie, les mêmes outils. « Le bouc émissaire risque d’être assez surbooké ».

Samir : Je me souviens de ma grand-mère qui utilisait l’expression « arrête ta politique » ; ça signifiait « arrête de mentir ». Le peuple est victime, mais seul lui qui peut décider de ce qui lui arrive ; surtout s’il arrive à jeter ses télévisions, au bénéfice de l’écoute des personnes âgées, et de leurs conseils. Aujourd’hui, ces derniers meurent, sans que personne ne le sache. On ne les voit plus.

 


À lire : Davy Kilembé | Paroles du cœur et musique du partage


♦ Pourquoi certains persistent-ils à vouloir enseigner des valeurs racistes ?

Samir : Pour moi le racisme est une secte. Je le prends comme ça ; c’est du sectarisme. Il y a des exceptions, des enfants qui refusent une certaine éducation raciste venue de leurs aînés.

Davy :  Ce que vient de dire Samir est une réflexion avec un préjugé : nous sommes, avec cette discussion, en train d’avoir un comportement raciste envers les racistes. Je pense que, malheureusement, c’est dans la nature de l’homme. Le documentaire « Je ne suis pas raciste mais… », l’explique très bien, et nous le rappelle. Lorsqu’on rencontre une inconnue, qui est différente, on a peur. À force d’éducation, et de culture, on arrive à évoluer. Mais sinon, ce comportement est en nous, à l’origine.

♦ Que pensez-vous de la loi dite du « mort kilométrique » ?

NDLR : Cette « loi » détermine le degré d’importance accordé par les médias aux victimes d’un drame en fonction de la distance et de sa localisation.

Davy :  C’est pour moi dans la nature humaine. Rien de choquant. Cependant, rien ne nous interdit d’essayer de se projeter; de considérer un drame qui s’est passé loin de chez nous.

Samir :  J’aurais préféré ne pas répondre (rires) ! Je crois que le journalisme, en général, dans le monde, a une grosse part de responsabilité. La télévision, que nous avons créée, est malheureusement à l’origine d’effets anormaux. Quand tu vois un mort devant ta porte, tu vis le choc ; il est là. Il revient même plus tard, dans tes pensées, il te travaille. Quand tu vois ce même mort, via la télévision, tu peux te demander si c’est vrai : ça peut fonctionner comme une sécurité. Comme un inconscient qui te protège. Puisque ce fait divers se passe loin de chez toi, tu ne t’inquiètes pas.

♦ Comment se fait-il que votre spectacle soit un hymne à l’éducation ?

Davy :  On essaie d’aller plus loin, ne pas s’arrêter à l’aspect de racisme. Le fait d’être soi-même engendre une certaine discrimination : on a chacun une particularité. C’est une qualité. Ça fait avancer dans la vie : ce qui te constitue, en tant que personne, t’élève. Mais avec les bonnes recettes de communication, la masse tombe dans le panneau, souvent. C’est vrai qu’il y a de l’insécurité, comme le dit le Front National, de la misère sociale, des problèmes ; mais attention aux solutions proposées, ce ne sont pas les bonnes.

Samir : Accepter la différence de l’autre, l’intégrer, c’est aller très loin ensemble. C’est la plus belle chose du monde. J’aime à comparer nos différences par les nombreux ingrédients qui composent le couscous : on vit dans la couscoussière et c’est bon. C’est ce qu’on cherche à partager via « Je viens d’où tu vas ». C’est ce qui me plaît dans notre spectacle.

♦ Des anecdotes concernant le public qui a assisté à votre spectacle ?

Davy :  On a joué dans un foyer pour migrants qui était situé en face d’un foyer pour retraités. Parmi ces derniers, beaucoup de pieds noirs, un peu trop nostalgiques. On a été confronté à un public complètement opposé sur le papier. Mais on a remarqué que les perspectives s’ouvraient entre eux.

En fait, ils ne s’étaient jamais fréquentés. Ils ne s’observaient qu’à travers les fenêtres. Il y avait bien sûr des tonnes de préjugés qui faisaient barrières. Ils se sont ouverts les uns aux autres durant le spectacle. Alors, si ça peut ouvrir ce genre de possibilité.

Si notre spectacle peut notamment permettre à des enfants d’assumer leur identité, c’est bien. Que ces jeunes apprennent qu’ils représentent la France d’aujourd’hui et de demain. Qu’ils assument leurs origines, en sachant qu’ils sont avant tout français. Qu’ils se nourrissent de leur particularité, comme on le fait avec Samir. C’est bien de remettre les choses à leur place. Je suis moi-même comme ça. Et avant toute chose, je suis français, j’aime la France et ma carte d’identité.

Samir : Une fois, je suis allé en solo pour un concert dans un bled perdu. J’ai commencé à chanter en kabyle et en arabe. Je me suis vite rendu compte que le public refusait ces langues. La salle était emplie de racistes. Ça m’a simplement permis de leur montrer que, quelqu’un comme moi, pouvait très bien chanter, et sans accent, du Claude Barzotti, du Francis Cabrel, du Enrico Macias. Mon petit changement de programme a subitement calmé la salle.

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Idhir Baha