À l’heure où les incendies font à nouveau l’actualité, on ne s’interroge malheureusement plus beaucoup sur leur origine. Que ce soit par négligence ou malveillance, ces drames récents sont dus aux activités humaines. En effet, pour le pourtour méditerranéen comme pour la France entière, 9 incendies sur 10 sont d’origine anthropique (selon la base de données sur les incendies de forêts en France entre 1973 et 2024). C’est la même chose au Canada.
Cet article a été rédigé par Christian Perrenoud, géoarchéologue, ingénieur d’études auprès du Muséum national d’Histoire naturelle, associé à l’université de Perpignan et au Centre européen de recherches préhistoriques de Tautavel et responsable des fouilles à la Caune de l’Arago. Il fait partie d’une série réalisée en partenariat avec le Musée de Préhistoire de Tautavel.
La maîtrise du feu est un évènement majeur dans la transformation des comportements humains
Augmentation des températures, sècheresse, gestion des forêts, urbanisation, les propositions ne manquent pas pour expliquer l’aggravation actuelle du risque incendie. Et alors que l’on cherche maintenant les moyens de se prévenir de ces incendies, on oublie que l’humanité a mis des millénaires pour maîtriser la production de feu…
Le feu : moyen de se réchauffer, de s’éclairer, de repousser certains prédateurs, de cuire les aliments et donc de réduire les parasitoses. Certains vont même jusqu’à lui attribuer une part dans l’accroissement du cerveau puisque l’alimentation cuite, plus tendre, permet la réduction des muscles masticatoires qui enserrent la boîte crânienne. Le feu, également facteur de socialisation, d’échanges, de passation d’histoires, à la belle étoile ou non, avec ou sans guitare !
Bref, la maîtrise du feu est un évènement majeur dans la transformation des comportements humains.
Les plus anciennes preuves de production de feu par l’Homme remontent à l’Aurignacien, il y a « seulement » environ 35 000 ans. Elles consistent en un petit bloc de sulfure de fer découvert dans la grotte de Vogelherd en Allemagne, portant des traces de percussion et interprété comme une partie de briquet paléolithique.
Cependant, d’autres moyens de production de feu, par friction de bois notamment, ont pu être utilisés bien avant et ne pas être parvenus jusqu’à nous, puisqu’en matières organiques très rarement fossilisées.
Le consensus actuel dans la communauté des préhistoriens s’accorde sur une date d’environ 400 000 ans pour les plus anciens foyers aménagés
Retrouvés sur différents continents, ils témoignent à tout le moins de l’utilisation du feu, de la volonté de le préserver dans l’habitat ; par extension, on parle de domestication du feu. Cette conclusion repose sur une dizaine de sites seulement, parmi lesquels Menez Dregan dans le Finistère, Terra Amata dans les Alpes-Maritimes, Beeches Pit en Angleterre, Bilzingsleben en Allemagne, Vértesszőlős en Hongrie, Zhoukoudian en Chine. Plus on se rapproche de l’actuel, plus les structures de combustion sont communes car moins longtemps sujettes à l’érosion, et produites par des populations plus nombreuses et expérimentées.
Inversement, plus on remonte le temps et plus on s’attend à ne rencontrer que des traces ténues, fragmentaires. À l’heure actuelle, les sites de Gesher Benot Ya’aqov en Israël, daté à 790 000 ans et la grotte de Wonderwerk en Afrique du Sud, datée d’environ un million d’années, sont parmi les très rares localités mondiales qui auraient conservé traces de cette utilisation du feu avant 400 000 ans.
La découverte de charbons de bois dans les niveaux de 560 000 ans à la Caune de l’Arago (Tautavel) est particulièrement stimulante
S’agit-il tout simplement des traces d’un paléoincendie, piégées dans cette grotte, ou de témoignages assez exceptionnels d’une utilisation du feu par les groupes préhistoriques ?
En effet, des fragments microscopiques (moins d’un millimètre) de cellules végétales avaient été découverts dans ces niveaux inférieurs de la Caune de l’Arago, sans que l’on ait à l’époque la possibilité de certifier s’il s’agissait de restes brûlés. Grâce à une collaboration scientifique avec Damien Deldicque, Jean-Noël Rouzaud et Jean-Pierre Pozzi de l’École Normale Supérieure de Paris, l’utilisation de la microspectrométrie Raman, véritable paléothermomètre, a démontré que les restes trouvés à la Caune de l’Arago correspondaient à des végétaux chauffés, soit à 500-650 °C pendant six heures, soit à 600-750 °C pendant une heure. Cette technique a également permis d’écarter une origine par désagrégation d’un morceau de houille ramené dans son habitat par le groupe humain.
D’autre part, les observations microscopiques ont permis à Michel Thinon, anthracologue à l’université de Marseille, de déterminer l’espèce végétale brûlée : il s’agit du pin sylvestre, ou du pin noir, et non du pin actuel autour du site (le pin d’Alep), écartant par la même occasion la possibilité d’une pollution récente. Cette pollution étant d’ailleurs peu probable car les charbons ont été retrouvés à 5,5 m sous la surface du sol de la grotte.
De plus, de nombreux charbons vitrifiés ont été reconnus par ces deux méthodes, présents dans les mêmes échantillons que les charbons de bois. Comme une grande différence de densité existe entre ces deux types de charbons, ils auraient dû être séparés dans le cas d’un transport aérien avant leur dépôt dans la grotte, tout comme une plume de 10 grammes sera emportée par un ventilateur mais pas un grain de plomb de même masse. Si ces charbons proviennent d’un incendie naturel, ils n’ont donc pu être introduits dans la grotte que par gravité, à partir du plateau et à travers les fissures du calcaire au plafond de la grotte.
Plusieurs hypothèses et une multiplication d’études
L’absence d’ossements brûlés dans le niveau en question pourrait faire pencher l’interprétation vers un feu naturel. Mais, à l’endroit où ont été trouvés les microcharbons, les niveaux ne comportent en fait que très peu d’ossements, en raison de leur altération chimique. Cette dissolution a également détruit toutes les pierres en calcaire. L’absence de cendres de bois, de composition identique (calcite), n’est donc pas non plus un argument recevable en défaveur d’un feu anthropique. La poursuite des fouilles sur le devant de la grotte, dans une zone non transformée, devrait permettre d’atteindre ces niveaux dans des endroits où l’altération n’a pas biaisé les indices.
En attendant ces fouilles, l’équipe de l’École Normale Supérieure a procédé à des prélèvements de petits cubes de sédiments orientés, dans et autour du niveau à microcharbons. Le but de cette approche est de comparer les propriétés magnétiques des sédiments. En effet, la chauffe « réorganise » les minéraux de fer du sol et aboutit à l’augmentation du signal magnétique du sédiment. La chauffe agit en quelque sorte comme si elle orientait des petits aimants.
Le postulat : si cette chauffe a eu lieu sur le plateau au-dessus de la grotte (incendie naturel), les minéraux de fer arrivant dans la grotte par gravité vont s’orienter dans tous les sens, alors que si le feu a eu lieu dans la grotte (utilisation anthropique), les « petits aimants » resteront orientés et le signal magnétique sera élevé. Conclusion toute récente de ces études : les vecteurs magnétiques sont très bien orientés. Ainsi, pour les paléomagnéticiens, le feu a eu lieu dans la grotte et donc il n’a pu être apporté et entretenu que par un groupe humain.
Cependant, comme le niveau est altéré, l’impact de cette évolution doit encore être investigué. En particulier, la possibilité que des bactéries aient produit des petits cristaux magnétiques, bien après 560 000 ans et l’arrivée des microcharbons dans la grotte. Ce fait est documenté dans certains sols et induit un signal magnétique fort, hors de toute chauffe.
Malgré ce quasi consensus, un doute subsiste
Malgré l’importante enquête déjà menée, un doute subsiste encore sur l’origine de ces charbons retrouvés dans la Caune de l’Arago. Seules des fouilles et des études complémentaires permettront de lever les incertitudes qui persistent et, éventuellement, de faire entrer la Caune de l’Arago dans le club très fermé des sites démontrant une utilisation précoce du feu. En Afrique, des études ont établi l’appétence des chimpanzés pour les zones brûlées. Allumés par la foudre, ces incendies peuvent leur offrir des ressources facilitées ainsi que des espaces à parcourir avec moins de risques. Qu’en était-il des réactions des Homo heidebergensis apercevant au loin les fumées d’incendies ? Peur ou intérêt ? La réponse n’est pas aisée !
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