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Recherches scientifiques : Et si l’Homme de Tautavel utilisait déjà le feu il y a 560 000 ans ?

Améliorer le système de santé, à la fois pour les patients, et les soignants. Dans les Pyrénées-Orientales, des avancées sont réalisées pour palier le manque de professionnels dans le domaine médical et lutter contre les mauvaises conditions de travail. Le 27 juin dernier, deux lois importantes pour la santé ont été promulguées. L’une visant à « améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation », l’autre consacrant un « véritable statut pour la profession d’infirmier ». Avec ces nouvelles lois, l'espoir de voir s'atténuer la pression sur les épaules de ces professionnels en première ligne. Dans les Pyrénées-Orientales, des initiatives locales témoignent d'une résilience face à l'épuisement. Portraits croisés d'une infirmière en burn-out, d'une psychologue navigatrice et de deux anciennes soignantes, devenues entrepreneuses du bien-être pour soulager leurs pairs. Géraldine Crimmers, infirmière : 35 ans de carrière dédiés à "l'autre", jusqu'à l'épuisement Géraldine est infirmière à Toulouse depuis 1987. Un métier qu'elle a toujours voulu faire. "Je ne connaissais personne qui faisait ce métier, pourtant, c'était ce métier et pas un autre. Je voulais aider l'autre, être à l'écoute, apporter un confort de vie dans la maladie", se rappelle-t-elle. Elle commence à l'hôpital  en soins intensifs en neurologie et digestif, avant de rejoindre le secteur libéral, espérant trouver de meilleures conditions d'exercice. "Une fois qu'on est dans l'engrenage, c'est pareil, il faut faire beaucoup d'actes pour gagner sa vie. Je pouvais faire jusqu'à 45 visites dans une matinée", explique-t-elle. Aujourd'hui, à 60 ans, Géraldine est en arrêt maladie pour burn-out. "Mon métier, je l'aime. c'est le plus beau du monde.Ce sont les conditions d'exercice qui m'ont détruite", confie-t-elle. Ce qu'elle déplore : le manque de reconnaissance intellectuelle et financière. Elle décrit un système qui presse sans relâche et qui ne sait plus écouter ses soignants : surcharge de travail, manque d'entraide, absence de salle de repos, salaire pas assez valorisant... "Un acte infirmier est côté 3,15 euros. Un déplacement, 2,75 euros. Combien prend un kiné ? Combien prend un médecin ? Combien prend un plombier pour se déplacer ? En libéral, pour bien gagner sa vie, il faut faire beaucoup d'actes". De son témoignage sur sa vie d'infirmière jusqu'à son burn-out, transparaît une lassitude généralisée, déjà perceptible quand Géraldine participait au mouvement de grève des infirmières de 1988. Les revendications portaient sur les salaires et les conditions de travail. Aujourd'hui encore, les problèmes sont les même. Aujourd'hui en arrêt maladie, Géraldine essaye de se reconstruire. "J'arrive à faire 2 heures d'activité par jour. Cela fait deux semaines que je peux reconduire." Parmi sa reconstruction, elle est engagée au sein de l'association Guérir en Mer. Elle y trouve un soutien entre soignants qu'elle n'a jamais connu durant sa carrière. Guérir en mer, la voile comme médicament Géraldine n'est pas un cas isolée. Une étude publiée par la DRESS en 2023 met en avant une prévalence de la dépression et de l’anxiété liée aux conditions de travail chez le personnel hospitalier. 26% déclarent avoir besoin d’aide pour des difficultés psychologiques, contre 19 % pour l'ensemble des salariés. Dans les Pyrénées-Orientales, des initiatives émergent. C'est le cas de Guérir en Mer, une association portée dans le département par la psychologue Julie Veron. Cette antenne locale, née dans le sillage du projet marseillais, propose des sorties en mer et des ateliers de bien-être aux soignants. L'objectif : prévenir l'épuisement professionnel. "On permet aux soignants de souffler, d'échanger entre pairs, ce qu'ils ont rarement le temps de faire sur le temps professionnel, et surtout, de prendre du recul avant qu'il ne soit trop tard", explique la psychologue. En un an, environ 180 soignants ont participé à ces escapades thérapeutiques dans le département. Des moments qui sont aussi propices à la parole, à l'écoute, à la solidarité. Géraldine fait partie des membres les plus actifs. Elle a connu l'association grâce à son mari qui est lui même skipper bénévole pour Guérir en Mer.  Devenue passionnée, elle veut aujourd'hui aller plus loin. "Avec mon burn-out, je veux une rupture totale avec ma vie d'avant. Avec mon mari, on va vivre sur un bateau. Ce temps avec Guérir en Mer, c'est génial. Enfin du temps pour nous et entre nous. Ça montre qu'il y a un monde en dehors de notre métier. C'est euphorisant, c'est un temps entre parenthèse", confie-t-elle. Agir et Vivre : apporter le bien-être directement là où il manque Autre réponse à cette crise des métiers de la santé : Agir et Vivre, une entreprise fraichement fondée par deux soignantes perpignanaises, elles-même victimes d'épuisement professionnel : Hélène Georgopoulos, infirmière et Elodie Marty, aide soignante. "On a quitté notre métier non par désamour mais parce qu'on n'arrivait plus à soigner. On s'est posé la question de ce dont on aurait eu besoin pour continuer à exercer et on a eu l'idée d'Agir et Vivre", confie Hélène. Elles rappellent l'implication émotionnel qu'implique leurs professions. "Même si en études on nous apprend le détachement, on vit au quotidien dans la maladie, dans l'angoisse, la détresse, la mort. A cela s'ajoute une pression logistique : plannings rallongés, travail le week-end, la nuit, les jours fériés, journées de 12 heures, astreintes, manque de moyens matériels, absence de soutien entre pairs..." Elles rêvent d'un système de santé qui accorde plus d'importance à la qualité de vie au travail. Leur société, ouverte en juin 2025, propose des formules bien-être pour les établissements du médico-social : massages, brunchs... Leur première intervention dans un EHPAD de l'Aude, a révélé le besoin avec des retours unanimes de la part du personnel soignant. "Revenez et si possible tous les jours !" Leurs offres devraient s'intégrer dans les budgets des hôpitaux, EHPAD et cliniques via des financements des OPCO, ARS, mutuelles. Deux lois pour renforcer l'accès au soin et revaloriser le métier d'infirmier Face à ce malaise, les deux lois promulguées le 27 juin cherchent à apporter des réponses systémiques. La sénatrice des Pyrénées-Orientales, Lauriane Josende, explique que le projet ambitionne de territorialiser la formation médicale en adaptant le nombre d'étudiants aux besoins locaux, via la suppression du numerus apertus. Ce système qui définit un nombre minimum d'étudiants admis en deuxième année de médecine, notamment dans la communauté de communes du Haut-Vallespir, considérée prioritaire dans le département, parce que classée désert médical. La seconde loi, centrée sur les infirmiers, redéfinit leur rôle et élargit leurs missions. Primo-prescription, examens complémentaires, soins... L'idée est d'accorder plus d'autonomie aux infirmier. Une revalorisation qui vise à renforcer l'attractivité du métier et accentuer la reconnaissance. Toutefois, leur rémunération est toujours inférieure à celle pratiquée dans les pays voisins. Estimée à 32 397 euros de salaire annuel, la France se place en dessous du Luxembourg avec 66 790 euros annuel ou encore le Danemark, avec 46 778 euros, selon les chiffres de Statista. "Ces deux textes illustrent une même volonté : renforcer l'accès aux soins partout sur le territoire et reconnaître pleinement les compétences et l'engagement des soignants", conclut la sénatrice. Pour Géraldine, Julie, Hélène et Elodie, les lois seules ne suffiront pas. " Entre le texte théorique et la mise en pratique, il y a souvent un monde", déplore la co-fondatrice d'Agir et Vivre. "Ce sont les mentalités qu'il faut changer. Toute une génération a évolué dans une croyance où l'infirmier, le soignant, ne prend pas de pause, ne va jamais mal, doit tout le temps être présent. C'est une profession issue de la charité, historiquement porté par les bonnes soeurs. Cet imaginaire est encore très présent". 

À l’heure où les incendies font à nouveau l’actualité, on ne s’interroge malheureusement plus beaucoup sur leur origine. Que ce soit par négligence ou malveillance, ces drames récents sont dus aux activités humaines. En effet, pour le pourtour méditerranéen comme pour la France entière, 9 incendies sur 10 sont d’origine anthropique (selon la base de données sur les incendies de forêts en France entre 1973 et 2024). C’est la même chose au Canada.

Cet article a été rédigé par Christian Perrenoud, géoarchéologue, ingénieur d’études auprès du Muséum national d’Histoire naturelle, associé à l’université de Perpignan et au Centre européen de recherches préhistoriques de Tautavel et responsable des fouilles à la Caune de l’Arago. Il fait partie d’une série réalisée en partenariat avec le Musée de Préhistoire de Tautavel.

La maîtrise du feu est un évènement majeur dans la transformation des comportements humains

Augmentation des températures, sècheresse, gestion des forêts, urbanisation, les propositions ne manquent pas pour expliquer l’aggravation actuelle du risque incendie. Et alors que l’on cherche maintenant les moyens de se prévenir de ces incendies, on oublie que l’humanité a mis des millénaires pour maîtriser la production de feu…

Le feu : moyen de se réchauffer, de s’éclairer, de repousser certains prédateurs, de cuire les aliments et donc de réduire les parasitoses. Certains vont même jusqu’à lui attribuer une part dans l’accroissement du cerveau puisque l’alimentation cuite, plus tendre, permet la réduction des muscles masticatoires qui enserrent la boîte crânienne. Le feu, également facteur de socialisation, d’échanges, de passation d’histoires, à la belle étoile ou non, avec ou sans guitare !

Bref, la maîtrise du feu est un évènement majeur dans la transformation des comportements humains.

Les plus anciennes preuves de production de feu par l’Homme remontent à l’Aurignacien, il y a « seulement » environ 35 000 ans. Elles consistent en un petit bloc de sulfure de fer découvert dans la grotte de Vogelherd en Allemagne, portant des traces de percussion et interprété comme une partie de briquet paléolithique.

Cependant, d’autres moyens de production de feu, par friction de bois notamment, ont pu être utilisés bien avant et ne pas être parvenus jusqu’à nous, puisqu’en matières organiques très rarement fossilisées.

Le consensus actuel dans la communauté des préhistoriens s’accorde sur une date d’environ 400 000 ans pour les plus anciens foyers aménagés

Retrouvés sur différents continents, ils témoignent à tout le moins de l’utilisation du feu, de la volonté de le préserver dans l’habitat ; par extension, on parle de domestication du feu. Cette conclusion repose sur une dizaine de sites seulement, parmi lesquels Menez Dregan dans le Finistère, Terra Amata dans les Alpes-Maritimes, Beeches Pit en Angleterre, Bilzingsleben en Allemagne, Vértesszőlős en Hongrie, Zhoukoudian en Chine. Plus on se rapproche de l’actuel, plus les structures de combustion sont communes car moins longtemps sujettes à l’érosion, et produites par des populations plus nombreuses et expérimentées.

Inversement, plus on remonte le temps et plus on s’attend à ne rencontrer que des traces ténues, fragmentaires. À l’heure actuelle, les sites de Gesher Benot Ya’aqov en Israël, daté à 790 000 ans et la grotte de Wonderwerk en Afrique du Sud, datée d’environ un million d’années, sont parmi les très rares localités mondiales qui auraient conservé traces de cette utilisation du feu avant 400 000 ans.

La découverte de charbons de bois dans les niveaux de 560 000 ans à la Caune de l’Arago (Tautavel) est particulièrement stimulante

S’agit-il tout simplement des traces d’un paléoincendie, piégées dans cette grotte, ou de témoignages assez exceptionnels d’une utilisation du feu par les groupes préhistoriques ?

MUSEE TAUTAVEL RECHERCHE FEU CHRISTIAN PERRENOUD

En effet, des fragments microscopiques (moins d’un millimètre) de cellules végétales avaient été découverts dans ces niveaux inférieurs de la Caune de l’Arago, sans que l’on ait à l’époque la possibilité de certifier s’il s’agissait de restes brûlés. Grâce à une collaboration scientifique avec Damien Deldicque, Jean-Noël Rouzaud et Jean-Pierre Pozzi de l’École Normale Supérieure de Paris, l’utilisation de la microspectrométrie Raman, véritable paléothermomètre, a démontré que les restes trouvés à la Caune de l’Arago correspondaient à des végétaux chauffés, soit à 500-650 °C pendant six heures, soit à 600-750 °C pendant une heure. Cette technique a également permis d’écarter une origine par désagrégation d’un morceau de houille ramené dans son habitat par le groupe humain.

D’autre part, les observations microscopiques ont permis à Michel Thinon, anthracologue à l’université de Marseille, de déterminer l’espèce végétale brûlée : il s’agit du pin sylvestre, ou du pin noir, et non du pin actuel autour du site (le pin d’Alep), écartant par la même occasion la possibilité d’une pollution récente. Cette pollution étant d’ailleurs peu probable car les charbons ont été retrouvés à 5,5 m sous la surface du sol de la grotte.

De plus, de nombreux charbons vitrifiés ont été reconnus par ces deux méthodes, présents dans les mêmes échantillons que les charbons de bois. Comme une grande différence de densité existe entre ces deux types de charbons, ils auraient dû être séparés dans le cas d’un transport aérien avant leur dépôt dans la grotte, tout comme une plume de 10 grammes sera emportée par un ventilateur mais pas un grain de plomb de même masse. Si ces charbons proviennent d’un incendie naturel, ils n’ont donc pu être introduits dans la grotte que par gravité, à partir du plateau et à travers les fissures du calcaire au plafond de la grotte.

Plusieurs hypothèses et une multiplication d’études

L’absence d’ossements brûlés dans le niveau en question pourrait faire pencher l’interprétation vers un feu naturel. Mais, à l’endroit où ont été trouvés les microcharbons, les niveaux ne comportent en fait que très peu d’ossements, en raison de leur altération chimique. Cette dissolution a également détruit toutes les pierres en calcaire. L’absence de cendres de bois, de composition identique (calcite), n’est donc pas non plus un argument recevable en défaveur d’un feu anthropique. La poursuite des fouilles sur le devant de la grotte, dans une zone non transformée, devrait permettre d’atteindre ces niveaux dans des endroits où l’altération n’a pas biaisé les indices.

Crédit photomicrographie – Christian Perrenoud

En attendant ces fouilles, l’équipe de l’École Normale Supérieure a procédé à des prélèvements de petits cubes de sédiments orientés, dans et autour du niveau à microcharbons. Le but de cette approche est de comparer les propriétés magnétiques des sédiments. En effet, la chauffe « réorganise » les minéraux de fer du sol et aboutit à l’augmentation du signal magnétique du sédiment. La chauffe agit en quelque sorte comme si elle orientait des petits aimants.

Le postulat : si cette chauffe a eu lieu sur le plateau au-dessus de la grotte (incendie naturel), les minéraux de fer arrivant dans la grotte par gravité vont s’orienter dans tous les sens, alors que si le feu a eu lieu dans la grotte (utilisation anthropique), les « petits aimants » resteront orientés et le signal magnétique sera élevé. Conclusion toute récente de ces études : les vecteurs magnétiques sont très bien orientés. Ainsi, pour les paléomagnéticiens, le feu a eu lieu dans la grotte et donc il n’a pu être apporté et entretenu que par un groupe humain.

Cependant, comme le niveau est altéré, l’impact de cette évolution doit encore être investigué. En particulier, la possibilité que des bactéries aient produit des petits cristaux magnétiques, bien après 560 000 ans et l’arrivée des microcharbons dans la grotte. Ce fait est documenté dans certains sols et induit un signal magnétique fort, hors de toute chauffe.

Malgré ce quasi consensus, un doute subsiste 

Malgré l’importante enquête déjà menée, un doute subsiste encore sur l’origine de ces charbons retrouvés dans la Caune de l’Arago. Seules des fouilles et des études complémentaires permettront de lever les incertitudes qui persistent et, éventuellement, de faire entrer la Caune de l’Arago dans le club très fermé des sites démontrant une utilisation précoce du feu. En Afrique, des études ont établi l’appétence des chimpanzés pour les zones brûlées. Allumés par la foudre, ces incendies peuvent leur offrir des ressources facilitées ainsi que des espaces à parcourir avec moins de risques. Qu’en était-il des réactions des Homo heidebergensis apercevant au loin les fumées d’incendies ? Peur ou intérêt ? La réponse n’est pas aisée !

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