Article mis à jour le 23 juillet 2019 à 12:41
Alors que se tenait la réunion de la dernière chance à la préfecture des Pyrénées-Orientales ce mercredi 17 juillet, Thomas Portes confirmait la suspension de la liaison ferroviaire jusqu’au 1er novembre. Ce qui fait dire au responsable national du collectif des cheminots communistes qu’il s’agit d’une mise à mort de la ligne du train primeur.
Une remise en service pourrait intervenir dès Novembre et pour une année seulement. Le temps de laisser à Fret SNCF, dont le sort n’est pas encore fixé, la possibilité de faire les investissements nécessaires pour une ligne pérenne.
Parallèlement à un dossier français attentiste qui s’enlise dans des réunions de crise, l’Espagne avait anticipé et s’engouffre dans la brèche. Comme en témoigne l’annonce de la création d’une nouvelle ligne Valence-Rotterdam pour acheminer fruits et légumes vers le reste de l’Europe. Se passant des services des plateformes de Saint-Charles et de Rungis … et de leurs employés.
♦ Valencia- Rotterdam remplacera-t-il Perpignan-Rungis ?
Parallèlement à cette lente agonie, l’ancien candidat France Insoumise aux législatives 2017, Philippe Assens diffusait sur les réseaux sociaux l’annonce d’une ligne ferroviaire flambant neuve entre Valencia et Rotterdam (lien en anglais). Une ligne qui permettrait aux opérateurs de desservir l’ensemble de l’Europe en fruits et légumes sans passer ni par Saint-Charles, ni par Rungis.
Rencontre et témoignages de quelques cheminots qui faisaient le pied de grue devant la préfecture des Pyrénées-Orientales, mais qui ne croyaient déjà plus en une issue favorable.
♦ Yvan partira travailler en Moselle, laissant sa famille sur place.
Présent ce mercredi midi devant la préfecture, Yvan travaille à l’entretien du matériel à la SNCF. Adhérent au syndicat CGT, il a l’impression que tout était écrit d’avance. Depuis ses discussions avec d’autres syndicalistes du secteur privé de Saint Charles, il n’est pas dupe. « Cela fait un an que les entreprises savent que le train ne reprendra pas après la saison haute ».
Dans sa lutte, Yvan se sent un peu isolé au milieu de ses collègues fonctionnaires. « Si je suis là, c’est parce que j’y crois. Mais dans mon équipe, je suis le seul sur les 10 bonhommes. C’est une situation compliquée et qui fait peur. Des fois, j’essaye d’amener le sujet, de parler de ces wagons. Mais la conversation n’enchaîne pas. Ils ont baissé les bras depuis longtemps … »
Marié avec des enfants, Yvan a dû discuter avec sa femme et prendre une décision. « On a beaucoup de moins de travail, car toutes les révisions ont été mises en stand by. Il existe d’autres ateliers en France où la charge de travail est plus importante. Donc, on nous demande de faire du déplacement. Du coup, je me suis porté volontaire. Je pars août et septembre, je m’en vais 2 mois en Moselle dans un atelier. » Yvan se console en nous déclarant avoir obtenu de bonnes conditions financières pour sa mobilité. Et « j’essaierai de descendre tous les 2-3 semaines ».
♦ Et à l’automne ?
Mercredi 27 juin 2018 a été promulguée la loi n° 2018-515 pour un nouveau pacte ferroviaire. Et, pour Yvan, depuis « c’est le gros rouleau compresseur. On en prend plein la gueule. On a appris, qu’au 1er janvier 2020, on passerait sous société anonyme. Le Frêt va donc passer à une filiale. Et dans le matériel, on ne connait pas du tout notre avenir. Avec la perte du Rungis-Perpignan, on fait déjà moins 3 dans mon équipe de 10 ».
Car comme l’évoquent Les Échos dans leur article en avril dernier, « la filialisation de Fret SNCF paraît coincée dans un cul-de-sac juridique ». « Fret SNCF a accumulé 5 milliards d’euros de dettes depuis sa recapitalisation de 2006. Et sa filialisation, avec passage en statut de société anonyme, requiert une recapitalisation du même ordre. Sans quoi, la nouvelle société ferait faillite dès le 2 janvier 2020 ».
Un enlisement dans les procédures que ne manque pas de souligner le quotidien économique. « Ce nouvel apport de fonds nécessite le feu vert de Bruxelles. Or, la Commission instruit dans le même temps des plaintes pour distorsion de concurrence qui visent Fret SNCF et d’autres opérateurs publics en Europe, et elle semble décidée à statuer d’abord sur la plainte ».
♦ Le train fantôme
De son côté, Mikaël Meusnier, adhérent CGT Cheminots et membre de l’Union Locale Perpignan Sud, s’insurge face à cette situation ubuesque. « Depuis lundi, le train roule à vide. La semaine dernière, il y avait entre 2 et 5 wagons frigorifiques chargés. Sur la photo, la SNCF et le gouvernement font circuler le train. Mais, y’a pas de marchandises, donc c’est pour l’image ».
Et le conducteur de trains ne décolère pas. « Le train des primeurs, c’est l’équivalent de 35 camions aller et autant au retour sur la route. Et ce sont des 44 tonnes frigorifiques. On transporte entre 500 et 800 tonnes de fruits et légumes par jour avec le train. Sur une année, cela représente 138.000 tonnes. Sur un volume de 400.000 tonnes qui partent annuellement de Saint Charles. Donc des trains, on peut en faire. C’est une histoire de volonté. »
Pour l’expliquer, et peut être se rassurer, Mikael Meusnier envisage plusieurs théories. « On est dans une partie de Poker entre la SNCF, les importateurs et les transporteurs. C’est du bluff, sauf que derrière ce sont des emplois, de l’écologie, de l’économie locale. J’ai eu plusieurs fois au téléphone le directeur de Primever qui a racheté l’entreprise Rocca. Et leur position est clairement pro-ferroviaire. À titre de comparaison, le train lui est facturé 3 fois moins cher que le transport routier ». Même si le syndicaliste reconnaît amèrement que certaines entreprises ont été déçues par les conditions proposées par la SNCF. Notamment au niveau de la gestion des retards. Retards qu’il impute structurellement à la SCNF « qui n’a pas mis toutes les conditions pour que le train arrive à l’heure ».
♦ Les choix stratégiques de la SNCF contestés par les syndicats
Car c’est bien la cascade de réformes structurelles depuis 2003 qui exaspère Mikaël Meusnier. « En 12 ans, plus de 12.000 postes ont été supprimés dans le fret. On n’est plus que 5000 aujourd’hui. Alors même que l’outil national et les infrastructures étaient présents. Ils ont commencé par supprimer les wagons isolés qui permettaient à chaque petite entreprise de commander un wagon. Ils ont imposé les wagons complets. Ce qui a provoqué l’éclatement des triages, et la fermeture de dizaines d’entre eux sur le territoire ».
Il conteste également la désuétude du matériel destiné au transport frigorifique. « Les wagons sont vieux certes. Ils ont 40 ans, mais ils peuvent rouler encore des dizaines d’années. Ils sont à 180.000 km par an pour une vitesse prévue de 140 km/h. C’est du haut de gamme, du train rapide sans être du haut tonnage, pour des raisons de sécurité de freinage. Au niveau du transport de marchandises, c’est le top. C’est comme une vieille Ferrari bien entretenue ».
Pour clôturer l’échange, Mikael Meusnier conteste les chiffres annoncés par Guillaume Pepy, PDG de la SNCF. Des chiffres destinés « à faire peur » selon lui. « Il a annoncé 30 millions d’euros pour que les transporteurs se désengagent. Avec 1 million, les wagons sont bons encore 3 ans, c’est juste un contrôle technique. La facture est de 15.000€ par wagon pour une durée de 3 ans ». Appelé à s’exprimer devant la foule, le syndicaliste nous quitte avec une note d’optimisme, celle d’une solution d’un train mixte combiné (avec des porte-containers) apte à rouler à 140 km/h.
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