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« Va, vis et (re)deviens » l Je m’appelle Samba et je viens de Gambie

Samba par Idhir Baha - Hans Lucas

Article mis à jour le 1 mars 2022 à 14:58

« Va, vis et (re)deviens », porté par Idhir Baha et l’association « DéClic et DéClac » fait suite à un appel à projet du Département des Pyrénées-Orientales dans le cadre « d’une perspective d’intégration durable des jeunes ». « Va, vis et (re)deviens » est un travail mené sur plusieurs mois avec les jeunes Mineurs Non Accompagnés pris en charge par l’institut départemental de l’enfance et de l’adolescence. Samba, Demba, Mudsar, Mahamet et Landing ont eux-mêmes écrit leur texte.

Un témoignage de leur passé, leur présent et leur avenir. Le parcours d’une vie en transit illustré par des photos dont ils sont eux-mêmes acteurs et compositeurs. « Va, vis et (re)deviens » est un projet à trois têtes, l’illustration de l’exil, la transition de l’adolescence vers l’âge adulte, et une expression thérapeutique.  La rédaction de Made In Perpignan a fait le choix d’ouvrir sa rubrique « Colonne d’expression » pour donner à ces récits de vie un plus large écho. 

♦ Présent : « Pour aller au travail je me réveille à 5h du matin (…) Aujourd’hui, je suis content »

Je m’appelle Samba. Je viens de Gambie et j’ai grandi dans un petit village qui s’appelle Sare Kokeh. En ce moment, j’ai des problèmes ; car j’ai 19 ans, et après le 30 janvier 2021, je ne serai plus accueilli à l’Idea. Je n’ai pas de travail non plus. Je ne sais pas encore où je vais vivre et dormir. J’ai rendez-vous à la Mission Locale Jeunes de Perpignan le 24 décembre pour qu’ils m’aident à trouver un logement. Mais je suis encore plus stressé de ne pas avoir de travail.

Le 28 décembre, le récépissé va se terminer, et si je n’ai pas de travail, si je ne reçois pas non plus ma carte de réfugié, après cette date, je serai sans papier. Dans l’illégalité. J’ai demandé, j’ai cherché du travail, mais c’est très difficile sans parler le français. J’ai cherché dans le bâtiment, dans l’agriculture, la plomberie, ou encore la peinture en bâtiment.

Aujourd’hui, nous sommes le 24 février 2021 et beaucoup de choses ont changé. L’Idea m’a donné trois mois de plus avec eux et je vais commencer un CAP multi-service.
J’ai trouvé un patron ! J’ai bientôt rendez-vous pour un appartement ! Maintenant ça va !

Je vais pouvoir respirer et je vais peut-être avoir ma carte de séjour. J’aime bien mon travail que j’ai commencé il y a une semaine, et je suis content. Je travaille le bois, les meubles, la peinture et la plomberie : avec Guy on fait beaucoup de choses différentes. Pour aller au travail, je me réveille à 5h du matin. Je prends mon café et ma douche, je prends un premier bus à 6h12 pour en prendre un second à 6h35, direction Argelès-sur-Mer. J’arrive là-bas à 7h12. Ce trajet, je le fais avec mon ami Demba, avec qui je travaille chez le même patron. Avec mes salaires, je vais pouvoir payer mon loyer du nouvel appartement ; je vais pouvoir manger et payer les transports. Je vais aussi pouvoir aller voir ma famille en Gambie pendant les vacances. Aujourd’hui, je suis content.

♦ Passé : « Il m’a frappé avec un bout de bois sur l’œil. Je l’ai perdu »

Avant de trouver mon patron Guy, je n’allais pas bien ; je réfléchissais beaucoup et tout le temps. Surtout la nuit. Je ne pouvais pas dormir. Je n’étais pas tranquille. Ça fait longtemps que j’ai laissé ma maman maintenant. Maintenant, tant que j’ai de l’argent et mes papiers, ça va. Mais avant, j’avais beaucoup de stress et de pression : j’avais peur de devoir revenir au pays et que ma maman me voit avoir échoué en France et ne pas avoir trouvé de solution ici. Elle ne m’a jamais demandé de partir. J’ai un petit frère de six ans qui est encore avec ma maman et mon papa. Il travaille seulement pour manger.

Je ne suis jamais allé à l’école. J’aurais aimé. Mais nous n’avions pas d’argent. Petit, j’ai travaillé avec mes parents, mais pas beaucoup non plus, car, de toute façon, il n’y avait pas d’emplois. Alors je jouais avec des amis. J’allais à la pêche. Je donnais à manger et à boire aux moutons et aux vaches qui étaient à mes parents.

Mon papa boit beaucoup d’alcool. Il frappe souvent ma mère. Une fois, j’ai dit stop. Ce n’est pas bien de frapper les femmes.
Alors il m’a frappé avec un bout de bois sur l’œil. Je l’ai perdu. Aujourd’hui encore ça me fait mal.

La route a été longue pour venir en Europe. J’ai quitté la Gambie pour le Burkina Faso, et là-bas, la police m’a arrêté. Pendant une semaine, ils m’ont laissé au poste et je devais payer pour sortir. J’ai refusé. Ils demandaient 4000 CFA. Alors je me suis évadé. Je suis parti au Niger. Dans le Sahara, la voiture a cassé. Nous n’avions pas de téléphone et nous sommes restés bloqués une semaine. Heureusement des camions libyens sont passés et nous ont donné de l’eau. Nous sommes restés quatre jours au Niger avec le même véhicule. En remontant vers la Libye, la voiture s’est encore cassée aux environs de la ville de Dirkou. Nous sommes restés dans les petits villages où nous avons dormi sous la voiture. Personne n’était gentil. Dans un seul pick-up, nous pouvions être une quarantaine de personnes. Nous venions tous d’Afrique de l’Ouest.

Samba par Idhir Baha - Hans Lucas

En Libye, c’était très dur. Je suis arrivé dans ce pays en 2017, dans la ville de Sabah, où il y avait la guerre. Là-bas nous avons fait un grave accident de voiture. Ma jambe s’est cassée. Quand nous sommes arrivés à Tripoli, je ne pouvais toujours pas marcher, car personne ne m’a amené à l’hôpital où me soigner. Nous sommes restés à Tripoli un mois. Je ne sortais pas. Je restais dans le foyer du passeur que je payais 40 dinars par mois. Si on ne payait pas, il venait avec des pierres pour nous frapper, avec des couteaux et des armes pour nous faire peur. J’ai vu beaucoup de gens se faire ouvrir la tête par lui.
J’ai pris un bateau, et après une seule tentative, j’ai réussi à rejoindre l’Italie ! 

Heureusement que la police avait été corrompue par notre passeur. Nous étions cent dix personnes sur le bateau et dix sont mortes noyées. Moi je sais nager, mais les autres ont coulé comme des pierres dans l’eau quand notre bateau s’est cassé, et qu’ils sont tombés.

On est arrivé en Sicile. Je vivais avec des jeunes dans l’appartement d’une association. Moi, je n’ai pas eu de problème avec la police, mais je me souviens qu’elle venait tous les jours pour contrôler si on n’avait pas de la drogue. S’ils ne trouvaient rien, ils tapaient des jeunes. J’étais fatigué face à cette situation et je suis parti en bus pour Milan. Puis à Marseille en train. J’avais beaucoup économisé en Italie.

De Marseille, j’ai acheté un billet pour Lyon et un autre pour Paris. Là-bas, c’était très compliqué, j’ai dormi dans la gare. Tout était trop grand et il y avait énormément de monde. J’étais totalement perdu, ça me changeait. J’ai vu un train qui partait pour Perpignan. Je l’ai pris ! C’était début 2019. Je dormais dans la rue. Une nuit, un policier m’a demandé mon âge, avant de me présenter à l’Idea. Ce policier était gentil !

Samba par Idhir Baha - Hans Lucas

♦ Avenir : Je veux travailler et faire des formations

Je souhaite rester vivre à Perpignan. J’aimerais revoir ma mère et ma sœur en Gambie après avoir reçu tous mes papiers pour pouvoir rester en France. Mon rêve est d’avoir mon argent pour vivre, pour construire ma maison avec ma famille, et ma femme. Avoir beaucoup d’argent, le luxe, ce n’est pas mon rêve. Je pense que la vie est trop dure pour ça. Je veux simplement assez d’argent pour vivre et pouvoir en donner aux plus pauvres.

♦  “Colonnes d’expression”, un projet de Made In Perpignan

Pour accompagner les jeunes dans leurs envies de se raconter et de témoigner des discriminations racistes, antisémites mais aussi anti-LGBT. Jeunes ruraux, urbains, étudiants, lycéens, travailleurs, chômeurs, riches, pauvres, engagés ou non… Ils ont tous quelque chose à raconter !

Régulièrement en 2021, nous publierons leurs témoignages (textes, images, stories) qui seront réalisés en atelier avec l’aide de nos journalistes. De quoi offrir un panorama original et vivant du quotidien de la jeunesse en France confrontée à ces discriminations. Ce projet a reçu le soutien de la DILCRAH pour 2021.

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