Article mis à jour le 4 septembre 2022 à 13:30
Lauréate du Prix Camille Lepage*, Ana María Arévalo Gosen documente depuis 2017 les conditions de vie des femmes emprisonnées en Amérique Latine. Sur les murs de Visa pour l’Image, ces détenues du Venezuela, du Salvador et du Guatemala se racontent. « Días Eternos« , exposition à voir à la Chapelle Saint-Dominique jusqu’au 11 septembre.
« En 2017, je suis de retour au Venezuela, je redécouvre un pays dévasté autant physiquement que moralement. Les gens sont très tristes. Alors que le peuple vénézuélien est réputé optimiste et résiliant ; là, il ne croit plus en rien. Je décide donc de travailler sur un sujet à l’origine de la crise dans mon pays. Et je pense qu’une des racines est le système judiciaire très inégalitaire qui pratique détentions arbitraires ou politiques.«
« Les conditions de détention, encore plus pour les femmes, bafouent tous les droits fondamentaux : cellules surpeuplées, privations en tout genre, détentions provisoires qui s’éternisent« .
« Souvent les papas sont en prison ou morts, les femmes deviennent les seuls piliers de leur famille. Parfois, c’est parce qu’elles doivent nourrir leurs enfants qu’elles commettent des crimes. Alors quand une femme est en prison, cela impacte directement toute sa famille.
(…) Quand une femme entre en prison, elle n’a rien, sa famille qui n’a qu’elle pour subvenir à ses besoins n’a plus rien non plus. Et ses proches vont d’abord tenter de trouver une solution pour survivre avant d’imaginer pouvoir lui apporter le moindre soutien ».
« Dans le centre de détention de Valence, Daniela était là depuis 2 mois et sa famille n’avait pas été informée. Quand je suis revenue la voir l’année suivante, sa famille savait où elle était, mais n’était pas venue. Sa fille avait une leucémie, et elle ne pouvait pas s’occupait de Daniela ».
Les femmes emprisonnées selon leur gang d’appartenance
« Avant d’aller à la rencontre de ces femmes, je devais comprendre comment elles en étaient arrivées là. J’avais besoin de leurs voix, de leurs témoignages, de leurs histoires. J’ai d’abord, longuement interviewé les membres du gang « La Mara Salvatrucha » (MS13). D’où elles viennent, comment elles ont intégré la pandilla (le gang). La plupart sont membres depuis leur adolescence, alors que leur identité est en pleine construction. Elles ont un passé marqué par la violence et quand elles intègrent la pandilla, elles reproduisent cette violence ». Dans la prison d’Ilopangodu au Salvador, les femmes cohabitent dans les cellules en fonction de leur gang d’appartenance, Barrio 18 ou la Mara Salvatrucha.
« Ces gangs sont des ennemis mortels et cela cause de nombreux conflits. Le jour de cette photo, la gardienne m’a laissé parler avec Patricia, la prisonnière qui a la sentence la plus longue. Elle a écopé de 157 ans pour homicide, extorsion et appartenance à des groupes illégaux ! Patricia apparaissait clairement comme la leader au sein de sa cellule. Elle savait qu’elle allait mourir en prison ».
Selon Ana Maria, les femmes condamnées n’ont ni accès à leur avocat, n’ont pas d’eau courante, ni aucune perspective de formation. Elles ne sortent de leur cellule qu’une heure par jour pour voir la lumière du jour, le reste du temps elles attendent dans un total dénuement.
Ce jour-là, Patricia était à la fois très déprimée et très en colère. Elle revendiquait avec force de meilleures conditions de détention.
Au Venezuela, maquillage et extensions de cheveux contre bonne conduite
Ana Maria, elle-même d’origine vénézuélienne, tient à recontextualiser. En Amérique Latine, et plus particulièrement au Venezuela, les femmes sont très attachées à l’apparence physique. « Même sans miroir, ni visites, elles se maquillent et se coiffent, c’est très important pour elles. Je crois que c’est un acte de rébellion. La façon de prouver qu’elles restent des femmes malgré tout« . En guise d’encouragement pour leurs bons comportements, les femmes reçoivent un fer à lisser, du vernis à ongle ou des extinctions de cheveux. « Ces cadeaux fonctionnent comme une arme à double tranchant. Car si les surveillants les offrent, ils peuvent aussi les retirer.
Il s’agit d’une dynamique de pouvoir au sein de la détention ». « Le jour où j’ai pris cette photo, je suis restée très longtemps avec elles. (…) Son lissage de cheveux dura de longues heures, et au moment de poser devant la caméra, c’est elle-même qui décida de se tourner pour me montrer sa chevelure, plutôt que de poser de face. Cette jeune fille, ne m’a pas raconté son histoire, mais je sais qu’à ce jour, elle est sortie de prison. (…)
Leur corps devient un symbole de résistance, de rébellion contre le système. Elles se tatouent, se maquillent et se coiffent parce que c’est la seule chose qu’on ne peut pas leur enlever.
Alejandra purge une peine de 10 ans à la suite d’une fausse couche
Le recours à l’avortement figure parmi les motifs d’emprisonnement des femmes au Salvador. Qu’il soit volontaire, ou dicté par des raisons médicales, l’avortement est puni de peines pouvant aller jusqu’à trente ans. Pour le journal El País, Ana Maria relate le parcours d’Alejandra. Alejandra a été emprisonnée pour avoir fait une fausse couche alors qu’elle était enceinte de huit mois. Sa première fille avait un an à l’époque. Alejandra a purgé une peine de dix ans. Il y a un an, sa fille est décédée. Ana Maria nous partage le témoignage d’Alejandra : « Toutes ces années perdues en prison sans être avec elle, et maintenant je ne l’ai plus ».
Le Venezuela, le Salvador et le Guatemala, avant les autres pays d’Amérique Latine
Ce travail se concentre sur la condition des femmes emprisonnées au Venezuela, au Salvador et au Guatemala, qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité et de stigmatisation à vie. Malgré tout, les femmes tissent entre elles des liens extraordinaires d’amitié et de solidarité et font preuve de résilience.
Elles partagent tout : nourriture, lits, vêtements et histoires personnelles. Les détenues quittent la prison traumatisées et stigmatisées. Privées d’espoir, d’emploi et d’un réseau de soutien à l’extérieur, les femmes sont susceptibles de réintégrer la vie de gang ou de commettre à nouveau des crimes à leur sortie de prison.
*Depuis 2014, l’Association Camille Lepage aide les jeunes photojournalistes avec le Visa Pour L’Image.
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