Article mis à jour le 14 août 2024 à 15:05
Avant 2020, Visa pour l’Image était l’occasion pour la ville de Perpignan de se parer aux couleurs du photojournalisme ; bâches géantes – certes peu écologiques – du festival à travers la basse, photos sur le Castillet, rotonde Visa pour l’Image face au Médiator. Force est de constater, à quatre jours du lancement de cette 34e édition, que la communication en cœur de ville est plus que discrète. Seuls les drapeaux accrochés aux platanes et l’affiche digitale du festival alternant avec la publicité pour la dernière série Disney Miss Hulk rappellent que Perpignan sera l’épicentre du photojournalisme international. L’édition 2022 de Visa pour l’Image se tiendra du 27 août au 11 septembre. Au programme, 25 expositions et 6 soirées de projections.
Visa pour l’image, « un éveilleur de consciences »
Lors de la conférence de presse précédent le festival international de photojournalisme, les élus et les chevilles ouvrières du festival reviennent sur la programmation et la vocation du festival. Pour Mathias Blanc, conseiller départemental, les photojournalistes sont « des éveilleurs de consciences, un relais essentiel des réalités du monde ».
De son côté, le maire de Perpignan est revenu sur l’attentat contre Salman Rushdie intervenu le 12 août aux États Unis, « coeur de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et artistique. (…) Rien n’est jamais acquis et ces expositions sont une bonne piqûre de rappel qui nous montre la réalité de notre monde ».
« Nous on montre les vrais morts, la vraie souffrance. C’est à chacun de prendre ses responsabilités »
Jean-François Leroy a décliné le programme précisant que l’Ukraine allait avoir une place majeure, avec 4 expositions plus une. « Mais il n’y a pas que l’Ukraine ». Jean-François Leroy de citer notamment, la rétrospective de Goran Tomasevic, « un des plus grands photographes de guerre », ou le reportage sur la viande de Brousse de Brent Stirton. « La première fois que Brent nous montre un pangolin rôti, c’est en 2018 ; une anticipation ».
Concernant la violence des images, Jean-François Leroy a rappelé qu’il n’y a pas de limite d’âge pour voir les expositions, mais des panneaux d’avertissement précisant que « certaines photos peuvent heurter la sensibilité seront affichés à l’entrée de 2 expositions ». « Je sais que les images de Berehulak* et certaines de Maloletka** sont très dures ; mais c’est la vraie vie et personne ne s’étonne devant un môme qui voit les morts de cinéma. Nous on montre les vrais morts, la vraie souffrance. C’est à chacun de prendre ses responsabilités ! »
Le conflit en Ukraine en 4 expositions + 1
Pour cette édition 2022, Visa pour l’Image laisse une place importante au conflit qui a éclaté le 24 février dernier en Ukraine. Pas moins de 4 expositions sur 25 sont consacrées à cette guerre au cœur du continent européen. Alors que plus d’une vingtaine de journalistes sont déjà décédés depuis le début de la guerre, Jean-Francois Leroy se désole de tous ces photographes qui partent sans assurance, sans casque et sans gilet pare-balles sur les lieux de conflits, notamment en Ukraine et insiste « aucune photo ne vaut une vie ». Parmi les expositions, celle du tout premier photographe arrivé après le départ de l’armée russe de Boutcha.
Pour Jean-François, le travail de Daniel Berehulak est une « extraordinaire de barbarie ». Malgré la violence de ces images, Jean François assume de ne pas avoir censuré ce travail. « Même si les photographies de la guerre en Ukraine montrent des massacres, il faut les montrer !« . « Des gens vivaient ici » réalisée par Daniel Berehulak pour le New York Times, sera exposée à la chapelle du Tiers-Ordre. Le photographe conçoit cette exposition comme « un témoignage sur des semaines de violations des droits de l’homme, mais aussi sur la résilience d’un peuple qui lutte pour son indépendance depuis plus d’un siècle ».
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Ukraine, rétrospective, quotidien, et ville martyre
Visa pour l’image a pris le parti de présenter une rétrospective de cette jeune nation. Les images de Sergei Supinski exposées au Couvent des Minimes retracent l’histoire du pays, depuis la chute de l’Union Soviétique jusqu’à la guerre lancée par Vladimir Poutine. Durant toutes ces années, Sergei Supinsky a sillonné le pays de ville en ville pour témoigner à travers des clichés.
« Le pays, qui parle et prie en ukrainien, russe, hongrois ou tatar, regarde tour à tour vers Moscou, Bruxelles et vers lui-même ».
L’exposition sobrement intitulée « Marioupol, Ukraine » montre le travail de Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka, journalistes et photographes pour l’agence Associated Press. Ils sont les deux derniers journalistes travaillant pour un média étranger à avoir quitté la ville de Marioupol, symbole de l’acharnement Russe. Arrivés sur les lieux le 23 février, ils ont été exfiltrés le 15 mars par des équipes sanitaires. Dans un article en anglais sur APnews, ils font le récit glaçant de ces 20 jours en zone de guerre. Exposition visible à la Caserne Gallieni.
« Ukraine : la guerre au quotidien » par Lucas Barioulet sera exposée au Couvent des Minimes. « J’ai voulu montrer le quotidien de la guerre et son impact sur la population, en documentant cette vie totalement bouleversée qui continue malgré tout ». Le photographe qui pour Le Monde documente ce quotidien est le lauréat du Visa d’Or de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik 2022. « Les images ne représentent en définitive que des fractions de seconde du quotidien sur place, où la guerre, elle, est présente en permanence ».
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« Sixième extinction », « 1 Océan » ou le voyage de Tara, des expositions au chevet de la planète
Ancien ministre de la culture, Renaud Donneudieu de Vabres est depuis 2019 le président de Visa pour l’Image : dans son édito, il invite « tous les professionnels et tous les amateurs (…) à venir applaudir le travail des photojournalistes, dont l’éclectisme de leur passion les pousse aussi à s’extraire des férocités du monde pour montrer les fragilités et les beautés de la nature, de l’environnement, de l’âme humaine ».
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Pour Alain Ernoult, l’objectif de son exposition, « La Sixième Extinction », est « d’éveiller les consciences sur la vulnérabilité des espèces de notre monde au travers d’un concept photographique centré sur la transmission de l’émotion ». Car la situation est sérieuse, et tous alertent. Pour le groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, « une grande partie de la nature est déjà perdue et ce qui reste continue de décliner». Une exposition pour comprendre les dégâts irréversibles causés par le changement climatique, la surexploitation des ressources, la pollution, la destruction des habitats naturels, des espèces invasives, ou encore de la déforestation massive et de l’agriculture intensive. « La Sixième Extinction » est exposée à la Maison de la catalanité.
« 1 Océan« sera exposée à l’Ancienne Université. Cette série est un témoignage sur l’Océan. Un projet d’exploration mené par Alexis Rosenfeld avec l’UNESCO. À l’occasion de la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030), nous racontons l’Océan, témoins de ses richesses, des menaces qui pèsent sur lui, mais aussi des solutions que nous pouvons y apporter.
Des secrets des profondeurs aux merveilles de la vie marine, « 1 Ocean » nous emmène pendant dix ans à la découverte de l’Océan .
Au Couvent des Minimes, Maéva Bardy expose le reportage réalisé lors du 12e voyage de la goélette Tara. « Embarqués à bord de la mythique goélette dans le sillage des grands navires d’exploration comme le HMS Beagle de Darwin ou l’Endurance de Shackleton, des biologistes et biogéochimistes du monde entier ainsi que des marins émérites se sont succédé pendant vingt-deux mois pour parcourir les mers jusqu’aux confins de notre planète.
Le retour de Brent Stirton
La 34e direction de Visa pour l’Image verra le retour du photographe animalier. Brent Stirton a déjà été à l’honneur à 4 reprises. Le photographe de Getty Images présentera, au Couvent des Minimes, « Viande de brousse : à l’origine des épidémies« . Un reportage débuté avant la crise sanitaire qui met en lumière la consommation de la viande de brousse.
Source d’alimentation importante pour les communautés rurales, mais également à l’origine de nombreuses pathologies (Ébola, Covid-19, SRAS, variole du singe…). Au-delà des risques pour la santé, la pression démographique entrainant une hausse de la consommation de la viande de brousse n’est pas sans conséquences sur la faune.
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Les coups de cœur de la Rédaction
« Happy Pills » de Paolo Woods et Arnaud Robert (Couvent des Minimes) qui pointe du doigt l’industrie pharmaceutique qui promet la transformation et la guérison grâce à la chimie, les « pilules du bonheur ». Une société où l’apparence du bonheur semble plus importante que le bonheur lui-même.
« La fin d’une guerre interminable » d’Andrew Quilty qui montre la prise de Kaboul par les talibans, suite au retrait des troupes américaines de l’Afghanistan.
« Hafizas » de Sabiha Cimen montre le quotidien des écoles coraniques pour jeunes filles en Turquie. La photographe, lauréate de la bourse Canon de la Femme Photojournaliste 2020, a fait partie de ces jeunes filles avec sa sœur jumelle.
« Guerre et paix » de Goran Tomasevic qui présente des photographies prises aux quatre coins du monde : Syrie, Afghanistan, Afrique, Irak, Amérique latine. Le photographe déclare « je cherche toujours à être suffisamment près de l’action pour rendre justice aux sujets, et témoigner de la réalité pour ceux qui voient le monde à travers l’objectif de mon appareil photo ». Exposition au Couvent des Minimes.
« Venezuela, Salvador, Guatemala (2017-2022)« d’Ana Maria Arévalo Gosen, lauréate du Prix Camille Lepage 2021, qui se concentre sur la condition des femmes emprisonnées dans ces trois pays. Le corps devient un symbole de résistance contre le système. Reportage exposé à l’Eglise des Dominicains.
« La signature du festival », les projections de Visa pour l’Image
Pour Jean-François Leroy, les soirées de Visa pour l’Image sont « la signature du festival ». Du lundi 29 août au samedi 3 septembre, 6 soirées reviennent sur les évènements les plus marquants de l’année. Les projections débutent, à 21h30 précises, par la chronologie qui retrace deux mois d’actualité. Puis, les sujets se suivent sans jamais se ressembler, ces projections sont aussi l’occasion d’aller plus loin, voire de traiter des sujets qui n’ont pu être rentrer dans le cadre des expositions. Les spectateurs du Campo Santo voient ainsi défiler 10.000 images sur écran géant. Dès le mercredi, le théâtre de l’Archipel accueillera les retransmissions en direct.
*Daniel Berehulak, expose « Des gens vivaient ici » à la Chapelle du Tiers-ordre.
** Les images de Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka seront visibles à la Caserne Galieni.
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