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« C’est une ferme qui continuera à vivre » : Pour les viticulteurs des Pyrénées-Orientales, l’enjeu crucial de la transmission

Moment critique pour la survie d’une ferme : le changement de propriétaire. La transmission peut prendre des années pendant lesquelles se posent les obstacles liés à l’accès au foncier et à l’installation du repreneur. À Latour-de-France, dans les Pyrénées-Orientales, deux viticulteurs racontent comment ils tentent d’anticiper le passage d’une main à l’autre. Entretien.

Comment transmettre ? Alors qu’il voyait les années passer, la question s’est imposée à Jacques, viticulteur de 59 ans à Latour-de-France. Dans les Pyrénées-Orientales, les deux tiers des fermes ont disparu ces quarante dernières années. D’ici 2030, un quart des agriculteurs partiront à la retraite. La transmission devient un moment clé à anticiper. Pour éviter que ses 8 hectares et demi ne partent en friche, Jacques tente d’accompagner son repreneur, Kevin, 43 ans. Ensemble, ils expliquent comment ils ont facilité l’accès aux terres et la transmission de l’expertise.

Depuis la publication de la vente de la ferme et la reprise officielle, deux ans se sont écoulés. Vous avez fait le choix de transmettre votre ferme de manière progressive, pourquoi ?

Jacques : C’est un sujet qui me travaillait beaucoup. Depuis quelques années, je me disais que je n’avais pas envie d’attendre la date de la retraite officielle, et surtout que je voulais anticiper mon départ. Je vois bien, qu’à partir de 60 ans, mon énergie va baisser. J’ai eu envie de transmettre cette exploitation pour me retrouver avec une plus petite surface. C’est une espèce de pré-retraite.

Kevin : Avant, j’étais peintre aéronautique chez Airbus. À 30 ans, j’ai effectué une reconversion professionnelle, un BTS viticole. J’ai été employé dans plusieurs exploitations. Et j’ai toujours eu en tête qu’un jour, peut-être, l’aboutissement serait de m’installer et de produire mon vin. Il y a trois ou quatre ans, c’était devenu un peu déprimant. J’en avais marre d’être employé. Alors j’ai commencé à observer. Outre l’accès au foncier, qui reste très compliqué, il y avait aussi le problème de la maîtrise de l’outil. Une installation clé en main que l’on peut gérer dès le lendemain, ça me paraissait difficile.

Concrètement, vous avez déjà entamé la transition ?

Jacques : Oui, Kevin a déjà commencé à tailler pour préparer le millésime 2026. Pendant un an, pour respecter le cycle de production de la vigne, il travaille avec moi sous statut de stagiaire. On peut vraiment prendre le temps, sans avoir le stress d’une rentabilité directe. Et ça lui permet de connaître l’exploitation. Grâce à un CEFI (Contrat emploi formation installation), il touche son assurance chômage et un complément de la Région.

Kevin : Pour moi, il s’agit d’apprendre à utiliser l’outil, de comprendre son fonctionnement et de prendre le temps de préparer l’installation. L’accompagnement repose certes sur la théorie, mais il faut bien lui donner une forme concrète.

Vous êtes passé par l’organisme Terres de Liens pour cette transmission. La fondation achète les terres et le bâtiment. Kevin, vous paierez un fermage. Pourquoi ce choix ?

Kevin : Pour moi, les enjeux sont davantage d’ordre entrepreneurial que patrimonial. Être détenteur d’une propriété ne m’intéresse pas. Je voulais surtout ne pas creuser ma dette et c’est un mécanisme qui permet d’y parvenir. C’est grâce à cela que de petits modèles comme celui-ci perdureront.

Justement, qu’est-ce qui vous motive à cultiver une petite exploitation ?

Kevin : Avec des propriétés de plus de 20 hectares, on a forcément besoin de plusieurs employés. Ce n’est plus le même travail. Et ce que je souhaite par-dessus tout, c’est être maître de mon temps, maître de mes interventions dans le vignoble, ce qui semble moins possible quand on commence à s’étendre. Bien sûr, la croissance offre d’autres avantages, mais je préfère préserver cette dimension humaine. Je pense qu’en restant une petite structure, on peut mieux maîtriser son circuit.

Terre de Liens impose une condition : cultiver en agriculture biologique. C’est déjà le cas de l’exploitation de Jacques, vous allez donc poursuivre ainsi ?

Kevin : Il est encore relativement facile de travailler en agriculture biologique dans la région. Dans un modèle de petites structures, c’est presque inconcevable de ne pas le faire. En réalité, se lancer dans une viticulture conventionnelle avec un petit vignoble indépendant de six hectares, c’est difficile. Les marchés ne sont pas les mêmes.

Jacques : Moi, ça me rassure. Je transmets une exploitation qui fonctionne et qui va rester en bio. Même si Kevin fera certainement des choix techniques différents des miens, c’est quelque chose qui continuera à vivre. Et c’est ça qui m’intéressait dans la transmission. Que ça ne parte pas en petits morceaux pour aller agrandir d’autres exploitations. Le secteur viticole est actuellement en très grandes difficultés, il ne faut pas le cacher. Je n’ai pas eu beaucoup d’appels pour reprendre l’exploitation. Mais on a trouvé un candidat qui a envie de continuer, on lui donne un coup de main, en prenant toutes les précautions.

Au-delà de cette transmission, Jacques, vous vous dites rassuré quant à l’avenir de vos terres.

Jacques : Le but de Terre de Liens, c’est de garder ces terres disponibles quand le fermier a envie de partir. Elles resteront à vocation agricole le plus longtemps possible. Je pense que c’est très important dans la vallée de l’Agly, marquée par la sécheresse. C’est crucial de pouvoir transmettre correctement une exploitation qui fonctionne, et qui va pouvoir continuer. Quand je suis arrivé il y a 25 ans, le paysage était presque exclusivement viticole. Maintenant, on voit beaucoup de friches. C’est une catastrophe.

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