Mercredi 22 janvier, Extinction Rebellion (XR) Perpignan organisait une réunion publique pour accueillir de potentiels nouveaux membres. Dans un restaurant discret du centre-ville, une dizaine de participants ont découvert les principes et méthodes du célèbre mouvement écologiste.
Connu pour ses actions coups-de-poing, comme le blocage de l’usine Lafarge ou la lutte contre le projet de golf de Villeneuve-de-la-Raho, XR interrogeait aussi son propre impact. Entre présentation, discussions et échanges, le groupe cherche à mobiliser tout en maintenant un espace de réflexion collective.
Une réunion entre anonymes et militants engagés
Dans le centre-ville de Perpignan, un drapeau rose posé sur la table d’un restaurant attire le regard. Ça doit être là. Le lieu de la réunion d’accueil d’Extinction Rebellion a été communiqué la veille par message privé, signé Ours*. Lorsqu’on s’installe, il fait déjà nuit. Ours et Marcel*, leurs notes sous les yeux, accueillent les participants au compte-goutte. Nous sommes une dizaine à être venus à la rencontre de la célèbre organisation de lutte environnementale. Ours sourit et lance un « tour de météo » pour demander à chacun son humeur du jour, ses attentes, et son pseudo, pratique traditionnelle chez Extinction Rebellion, « par sécurité, et parce qu’on trouve ça assez drôle ».
Marcel, qui a rejoint XR il y a quelques mois, est ravi de toutes ces « nouvelles têtes. Ça me rappelle les premières fois ». Ours lui jette un regard amusé, « ça fait deux ans qu’on se connaît, et je ne sais toujours pas comment il s’appelle réellement ». Les membres d’XR Perpignan sont peu nombreux, depuis la création de la cellule en 2021. Marcel, lui, les avait rencontrés lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, et son implication dans le mouvement a été progressive.
À la recherche d’une boussole pour le militantisme
La réunion est publique, puisqu’il ne sera pas évoqué d’actions futures. Autour de la table, des jeunes, quelques chevelures plus grises, des parkas d’hiver et d’élégants manteaux de ville. On est loin du cliché du hippie enchaîné à un arbre entre deux constructions de ZAD qui pourrait flotter dans l’esprit public. C., jeune perpignanais se dit frustré par le manque de réflexion sur l’écologie à Perpignan. Pyrosome*, fraîchement arrivée dans la ville, connaît déjà d’autres cellules d’XR et veut « découvrir » la locale. Un autre participant, un peu plus âgé, explique ne pas savoir où commencer son combat écologique, et attend d’XR des idées, une direction. Et cet autre participant veut « mieux connaître les enjeux environnementaux de la région ». Tous ont soif d’informations, besoin d’une boussole militante.
Quelques actions d’Extinction Rebellion à Perpignan
Celles et ceux qui connaissent Extinction Rebellion penseront opérations de blocage, banderoles militantes en manifestations, affichage sauvage, extinction des enseignes lumineuses des magasins la nuit, « artivisme » – lorsque l’art devient un outil au service de messages militants.
En 2023, l’organisation a notamment bloqué l’entrée de l’usine Lafarge, située au bord de la Têt pour dénoncer la pollution des fleuves et l’artificialisation des sols. Le 27 mai de la même année, les militants hissaient une banderole « Eau Secours » sur le château d’eau de Cabestany.
Les activistes dénoncent également les restrictions imposées aux habitants et le soutien des autorités à des projets gourmands en ressources comme le très controversé golf de Villeneuve-de-la-Raho. Le 16 mars 2024, plusieurs milliers de manifestants, dont ceux d’Extinction Rebellion, se sont mobilisés pour dénoncer le projet de golf, jugé inadapté en contexte de sécheresse. Malgré une opposition massive, le projet reste d’actualité. « C’est la grosse problématique du moment autour de Perpignan », justifie Marcel.
Autonomie et collaboration : la philosophie XR
Chaque cellule d’XR, par définition très ancrée à son territoire, connaît ses propres enjeux et agit indépendamment des autres. « Tout le monde peut créer un groupe XR, on peut faire des actions avec ses copains, tant qu’on respecte les dix principes et les revendications [d’XR] », explique Ours. Ils collaborent parfois avec d’autres organisations de défense écologique sur le territoire, comme Les Soulèvements de la Terre.
Ours déroule les dix grands principes qui régissent XR à l’échelle nationale, entre accueil inclusif, partage de valeurs communes et décentralisation. Le militant rappelle plusieurs revendications, dont la nécessité d’atteindre la neutralité carbone en … 2025. « On conserve cet objectif, même s’il n’a pas été atteint, parce qu’on n’est pas comme les politiciens, à repousser toutes les échéances de 5 à 10 ans », commente Ours.
Quel impact dans les Pyrénées-Orientales ?
Lorsqu’il entend les revendications d’XR, Marcel baisse les yeux. « Ça fait longtemps que je n’avais pas relu les 4 [revendications]. Aujourd’hui, j’ai la sensation qu’on a fait un pas en arrière et que c’est pire qu’avant » dit-il d’une petite voix. Lorsque le silence lui répond, il se reprend en se frottant les mains. « Mais c’est peut-être juste qu’il fait froid ce soir », dit-il avec ironie.
Une participante lève la main, et demande si les institutions locales ont déjà commenté les actions d’XR publiquement, s’ils sont connus par les autorités. « Pas vraiment », répond Ours. C’est une bonne nouvelle pour les militants, relativement libres d’agir, mais qui questionne sur l’impact réel des actions d’XR. Ailleurs en France, il semblerait que les forces de l’ordre sont capables d’agir si la menace est estimée sérieuse : l’été dernier, pendant les JO, 45 militants d’XR Paris ont été interpellés en amont d’une action, de facto annulée.
Créer du lien pour surmonter les doutes militants
Une autre demande « comment ça se passe à Perpignan en termes de répression policière ? ». « On fait très peu d’actions sur le centre-ville de Perpignan, c’est une zone qu’on évite », commence Marcel en montrant les caméras de sécurité le long des murs. « Quand on est allés éteindre les enseignes lumineuses, personne n’est intervenu. Mais lorsqu’on a touché un abribus pour enlever une pub, on a eu un contrôle d’identité », sourit-il. « En dehors de Perpignan, ça s’est toujours bien passé. Lorsqu’on a bloqué l’usine Lafarge, la gendarmerie est intervenue, mais on a eu un super contact. Certains bloqueurs ont été convoqués à la gendarmerie, mais il n’y a pas eu de suites ».
« Ce n’est pas une question piège, mais est-ce que vous avez l’impression que vos actions ont des conséquences positives », questionne ce participant. Un sourire parcourt l’assemblée. « C’est une question qu’on se pose », répond Marcel. « Je n’ai pas d’outil de mesure. Et je ne parle même pas d’impact sur le changement climatique en lui-même. Il y a très peu de victoires. Notre dernière en date, c’était l’annulation du projet du viaduc de Céret. On a participé à des actions. Contre le Golf de Villeneuve de la Raho, on a beaucoup communiqué avant la manifestation, qui a rassemblé 4 500 personnes. »
Mais le militant doute, « il y a des périodes où on se demande si ça sert vraiment à quelque chose. » Et finalement, à défaut d’impact, l’objectif est aussi de créer du lien entre « personnes qui pensent comme nous ».
Chez XR, venez comme vous êtes
Au cœur des débats, la définition de la non-violence, concept clé de la lutte d’XR. Aucune définition claire n’en est apportée sur le site officiel. « C’est une question en mouvement constant. Qu’est-ce qui est violent pour toi ? On se pose tous la question, et la réponse évolue au fil de notre implication chez XR », explique Marcel.
Le groupe donne l’air de fourmiller de discussions sur la sémantique, mais sur son fonctionnement. Décentralisation totale, gestion horizontale, mandats tournants, implication des participants près – ou loin – de l’action, respect du degré d’engagement de chacun, peuvent engendrer des difficultés de coordination. Mais loin d’être preuve de sa fragilité, cela semble plutôt lié à la liberté intrinsèque de ses cellules, libres de naviguer autour des grands principes de la charte sans rendre de comptes, et qui permet d’envisager une grande variété d’actions et d’enrôler des profils très diversifiés.
« On est nous-mêmes pleins de contradictions, on prend la voiture pour faire nos actions, on n’est pas tous végétariens », dit Ours en déclenchant quelques rires. « On n’attaque pas l’individu. C’est tout un système qu’on remet en question ».
« L’investissement dans notre militantisme, ça coûte de l’énergie »
Dans certaines cellules d’XR, on se présente en précisant son pronom. Ours donne quelques exemples des codes de communication en réunion, entre le doigt levé pour prendre la parole et les gestes de la main pour signifier son approbation, ou son désaccord. Le groupe insiste aussi longuement sur le lien social entre ses membres, ce qu’XR appelle la « culture régénératrice. L’investissement dans notre militantisme, ça coûte de l’énergie, et il faut aussi prendre soin de nous et des autres », explique Ours. Soirées jeux, randonnées, escalade, barbecues, le tout « sans visée militante », insiste-t-il.
Lorsque la conversation touche à sa fin, Marcel et Ours notent les numéros de téléphone, et conseillent l’installation d’une application de messagerie sécurisée pour communiquer sur les prochaines activités « régénératrices ». Une fois les dernières bières finies, chacun s’évanouit silencieusement dans la nuit. « On reste en contact ! » nous lance Ours.
*pseudonyme