Article mis à jour le 3 janvier 2024 à 17:50
Pour cette nouvelle chronique consacrée à l’éducation aux médias, Alice Fabre s’interroge sur la place de l’enseignement du montage sonore dans les projets de webradio au sein des établissements scolaires.
Dans des classes entières de plus de vingt élèves, cette compétence est souvent mise de côté par manque de temps et de budget, alors qu’elle permettrait de travailler un autre aspect de l’éducation aux médias.
Depuis deux mois, nous intervenons au collège de Millas
Ces élèves d’une classe de 4e s’essaient à la radio avec deux enseignants. La dernière fois, ils m’ont demandé de leur préparer une séquence consacrée au montage. Pour que les élèves puissent travailler en autonomie sur leur production. C’est une première, car généralement, c’est nous qui nous en occupons. Mais j’avais ce souhait de tenter d’inclure le montage comme un apprentissage à part entière.
Me voilà donc face à une vingtaine d’élèves, eux-mêmes face à leur ordinateur. Premier souci : personne n’a d’écouteurs filaires. Comment n’ai-je pas anticipé ça ? Évidemment que tout le monde se balade désormais avec des écouteurs Bluetooth. Rien que le mot « filaire » les plonge dans des affres de perplexité.
Le logiciel Audacity s’affiche à l’écran, et je commence à leur indiquer les manipulations de base. Ctrl + X, Ctrl + V, augmenter ou baisser le niveau du son, déplacer des blocs, revenir au début. Il y a ceux qui me suivent assez intuitivement, et ceux pour qui c’est plus compliqué. L’enseignant me dira par la suite que des élèves avaient demandé s’il était possible de faire le montage sur smartphone. S’ils sont très agiles avec cet outil dans leur poche, ils le sont moins face à l’écran et un clavier.
Sur 15 minutes d’enregistrement, je ne vais au total garder que 2 minutes
Face à ces vingt ados qui tentent de s’approprier Audacity, je me dis qu’avec le montage, ils pourront mesurer le peu de matière que l’on garde d’un tournage en radio (surtout quand on travaille pour une rédaction qui couvre l’actualité dite « chaude », le « news »). Je leur répète sans cesse qu’on ne garde que 5% des rush enregistrés sur le terrain. Quand je travaille chez France Bleu Roussillon, sur 15 minutes d’enregistrement, je ne garde que 2 minutes. Cette séance de montage est l’occasion de s’en rendre compte.
C’est aussi une autre approche pour travailler le choix en journalisme, autre composante essentielle du métier. Informer c’est choisir, et choisir c’est renoncer. En montage radio, on renonce à beaucoup pour permettre aux auditeurs et auditrices de mieux saisir le propos, et pour mieux synthétiser la parole de notre interlocuteur.
« Le montage c’est comme les Légo, vous assemblez votre matière sonore à votre guise. »
Après une première heure de travail, je les retrouve une seconde fois pour qu’ils puissent mettre en application ce qu’ils ont appris avec leurs propres enregistrements. En passant près d’eux pour vérifier que tout se passe bien, je ne cesse de répéter « le montage c’est comme les Légo, vous assemblez votre matière sonore à votre guise. » Petit à petit, certains prennent confiance, et les résultats sont plutôt encourageants.
Le montage occupe évidemment une place très importante en journalisme radio. En news, nous devons réaliser nos reportages pour le soir même ou le lendemain, donc il est important d’intégrer le temps de montage dans l’organisation de notre journée… et cela implique souvent de ne pas s’éterniser sur le terrain. Ce qui explique que nous ayons toujours l’air pressé en conférence de presse ou lors d’autres événements. Ou que nous y réfléchissions à deux fois avant de nous rendre à un événement loin de la rédaction en fin d’après-midi.
L’art du montage ou la difficulté de la synthèse
Nous devons synthétiser en quelques minutes des reportages qui se déroulent parfois sur plusieurs heures (bien entendu les choses ne se passent pas de la même manière pour les longs formats et le documentaire radio). À notre retour à la rédaction, le temps de montage peut aussi devenir un moment de frustration. On aimerait tout garder, mais les impératifs du format radio (pas plus d’1m15 pour un enrobé, c’est-à-dire des extraits d’interviews et de sons ponctués de la voix du journaliste, 50 secondes pour les extraits d’interview sans commentaire) nous obligent à faire des choix. Cette frustration peut aussi se retrouver du côté de nos interlocuteurs, surpris que de nos longues minutes d’échange, nous ne gardions que quelques secondes à l’antenne. D’où l’importance de faire une fois de plus œuvre de pédagogie.
Un de mes collègues a un jour utilisé une métaphore que je trouve très parlante. Quand il doit commencer son montage, il s’imagine concevant un haïku japonais, ces poèmes très brefs. Les journalistes radio seraient-ils en fait des poètes incompris ?