Article mis à jour le 14 mars 2023 à 08:44
Nous avions rencontré Samuel Bollendorff lors de la 30e édition de Visa pour l’Image. Son exposition, Contamination ou après moi le déluge, avait particulièrement marqué les esprits par le contraste entre la beauté des images et leur signification. Le Centre International de Photojournalisme (CIP) a choisi d’organiser sa 4ème résidence avec Samuel Bollendorff.
L’un des photographes les plus talentueux de sa génération va travailler avec des élèves du CE1 à la 1re. Sa mission ? Faire que les enfants fassent dialoguer son et image pour figurer leur planète. Car Samuel Bollendorff aime à travailler sur l’expression de l’invisible. À l’instar de ces paysages beaux et paisibles d’Alberta au Canada pourtant contaminés par des milliers de produits toxiques. Ou encore ce fleuve brésilien surnommé « le fleuve mort », pollué en 2015 par des milliers de tonnes de boues toxiques. Rencontre avec le photojournaliste lors d’une réunion de préparation.
♦ Samuel Bollendorff – « Un peu comme à la radio, sans image, on imagine »
Dans le cadre de cette résidence photographique, Samuel Bollendorff souhaite inciter les élèves à ne pas montrer, mais plutôt suggérer. Faire comprendre par un son ou un discours doublés d’une image qui représente plus qu’elle ne montre.
« C’est un peu comme à la radio. Il n’y a pas d’image et pourtant l’imaginaire fonctionne, car on perçoit des images à l’écoute. C’est ce dialogue qui m’intéresse. Déjà, dans l’exposition du festival international de Visa pour l’image 2018, j’avais voulu montrer ces lieux contaminés pour des siècles. La radioactivité, les microplastiques, les PCB*, ce sont des choses que l’on ne voit pas. Alors comment faire pour les représenter ? J’ai choisi de montrer des images très belles de paysages, des images de carte postale. Ces photographies associées au texte ne peuvent plus être regardées de la même façon.
Nous avions donc envie de les faire travailler sur la planète. Car, par définition, ils ne peuvent pas la photographier. La question est, comment vont et que vont-ils montrer comme image, comme détail, comme symbole ? Ils vont ensuite associer ces images avec du son. Cela peut être avec leurs mots, des ambiances sonores, des statistiques, ou le fruit d’une enquête. Ils font ce qu’ils veulent, mais il faut qu’ils nous racontent comment ils appréhendent la planète ».
♦ Pourquoi ces sujets de l’écologie et de la planète pour la résidence ?
Parce que je pense que c’est un sujet avec une double actualité. Ce n’est pas seulement l’écologie, c’est plus comment on se figure l’invisible. Car le problème de l’écologie et de sa représentation, c’est ça ! On peut montrer des poubelles. Mais sinon, comment montrer les catastrophes environnementales, qui pour la plupart n’ont pas une expression réellement lisible ?
Comment montrer le réchauffement climatique ? On a beau mettre un ours blanc sur une banquise, tout le monde s’en fout ! C’est loin et ça ne parle pas.
Ce qui m’intéresse aussi en tant que photographe dans le cadre de cette résidence, c’est aussi de continuer à travailler sur les images de cette représentation. En parallèle du travail avec les élèves, je vais poursuivre mon travail avec les scientifiques de Tara Expédition. Pour continuer à explorer le registre de la photographie scientifique, pour essayer de produire des images qui nous permettent de percevoir les effets du plastique sur les organismes.
♦ N’y a-t-il pas un risque de lassitude à voir ces images matin, midi et soir ?
Oui, je passe mon temps à le dire ! Je me souviens d’un film avec un plan fixe de 15 minutes, où l’on ne voit que la mer. Un espace vide, avec une espèce de litanie de toutes les horreurs dont la mer est témoin. J’ai fait cela, parce que j’avais l’impression que les images quotidiennes de bateaux bondés qui faisaient naufrage, ne nous atteignaient plus.
Alors oui, il y a une lassitude qui se crée en regardant ces images. Mais jamais de la vie il ne faut arrêter de s’en abreuver ! On peut se dire, « c’est bon je le sais », mais on a la chance de le savoir justement parce que ces images existent. Toutes les représentations que nous avons du monde, la guerre en Irak, l’horreur de la Syrie, les naufrages en Méditerranée, tout cela n’est que le fruit du travail des photojournalistes qui produisent ces images. Nous n’avons conscience du monde que grâce à eux, grâce à leurs images. Et il faut absolument qu’elles existent !
♦ Avons-nous encore le temps d’agir ?
Oui, certes c’est un peu du catastrophisme. Le réel enjeu est de faire prendre conscience. Ces jeunes, on les aura au moins fait réfléchir sur le sujet. Car au niveau de nos politiques, soit ils sont complément stupides et désinformés, soit ils sont cyniques et lâches face aux lobbies. Il y a des gens qui disent tant que je gagne, je joue. Et qui continuent de s’enrichir en n’en ayant absolument rien à foutre des catastrophes qu’ils provoquent. Et en plus, ils ont le pouvoir de tenir les politiques par les bourses.
Nous allons travailler avec 5 groupes, des CE1, des 6es, des 4es et des jeunes en 1re. L’idée est de ne surtout pas faire quelque chose d’anxiogène. Au contraire, il faut se construire dans la recherche de solutions, dans le fait de travailler ensemble. Parce que sinon, tout le monde va faire des stages de survivalisme et se murer derrière ses clôtures avec ses tomates et sa Kalachnikov. Et ce n’est pas comme cela qu’on va s’en sortir.
♦ Les précédents résidents du Centre International de Photojournalisme
En 2017, c’est Claire Allard qui avait ouvert le bal des résidences du CIP. Jean-Christophe Milhet avait repris le flambeau en 2018 avant de laisser la place à Ferhat Bouda. Nous avions interviewé ce dernier au début de sa résidence au CIP.
*PCB : Les polychlorobiphényles (PCB), sont des polluants organiques persistants. C’est-à-dire des substances qui se désagrègent très peu dans l’environnement et s’accumulent dans différents milieux, et en particulier le sol.
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