Article mis à jour le 21 novembre 2018 à 09:12
Après Claire Allard et JC Milhet, Ferhat Bouda est le 3ème photographe à être accueilli en résidence au sein du Centre International de Photojournalisme. Rencontre avec celui qui a embrassé ce métier comme pour répondre à « un besoin vital, une photographie de nécessité », celle de raconter l’histoire de son peuple. « Je ne peux pas rester les bras croisés quand je sens que ma culture est en train de disparaitre ». Ce peuple berbère* en danger d’extinction pourrait gagner une part d’immortalité au travers de son témoignage..
♦ Le peuple berbère, le cœur de Ferhat Bouda
C’est sur les conseils de sa grand-mère que Ferhat quitte sa Kabylie natale à l’âge de 24 ans. Il voulait faire un film sans vraiment en connaître le sujet. Mais il avait une certitude, il voulait le faire en langue berbère. Sa grand-mère, une figure marquante pour le jeune homme, découvrit l’indépendance de son pays, pour laquelle elle s’était battue, sans en comprendre un mot. « Avec le temps, elle ne peut plus sortir. Elle reste devant la télé et regarde les images sans comprendre … Car les programmes sont en français ou en arabe et elle ne comprend que le berbère. C’est cette idée qui m’a poussé, car il y a des milliers de grands-parents comme elle ».
Disparition imminente du fait de la langue. Pour Ferhat Bouda, la globalisation et surtout la prédominance de l’anglais dans les affaires se fait au détriment de toutes les langues, l’allemand, le français et à fortiori le berbère. Et pour le photographe la disparition de la langue, c’est le début de la fin d’une culture entière.
Un sujet au long cours, les berbères et à venir la publication d’un livre. Mais de nouveaux sujets en perspective, un projet en Mongolie, sur un peuple aussi en train de disparaître, car dit-il, « l’humanité c’est une famille » et il ne faut en oublier aucun des membres. « Ces berbères étaient en parallèle avec la civilisation des Pharaons, et pourtant ces derniers ont disparu« . Pour Ferhat Bouda, « le système économique et social des berbères leur a permis de perdurer. Ce système, l’Occident, pourrait-il s’en inspirer ? ».
♦ Un appareil photo par terre et c’est le déclic
« J’ai trouvé un appareil photo par terre, l’idée du film est là. Je commence à travailler, à développer mon langage visuel, les cadrages etc. Mais sans savoir du tout ce qu’était la photo ». « D’ailleurs [précise-t-il avec humour] je croyais être le seul qui faisait de la photo malgré toutes les photos que je voyais à Paris en noir et blanc. Quand j’ai découvert le labo et le processus de développement dans la chambre noire ça a été tout simplement magique ».
« Je suis parti en Allemagne et j’ai rencontré un réalisateur, avec lui on a écrit tout le scénario et nous sommes venus chercher du soutien à Paris, et c’était très dur. En parallèle, je continuais la photo, je découvrais les agences, j’ai suivi des cours surtout de développement car j’adore le noir et blanc. Les workshops en Allemagne m’ont beaucoup aidé. J’ai rencontré beaucoup de photographes, et un jour j’ai compris que la photographie était un langage. Après quelques années mêlant photographie et des petits boulots précaires, j’ai tout arrêté décidé de m’engager à 100% dans la photographie. À partir de 2010, je me suis senti autorisé à me qualifier de photographe ». Et en 2014, il signe avec l’une des plus grandes agences, l’agence VU.
♦ Prochaine parution dans le Géo de décembre 2018
« Mon premier reportage en couleur ! ». A propos de la région de Adrar dans le désert Mauritanien, une zone particulièrement prisée pour ses treks. Les voyagistes ont été contraints d’abandonner leur destination pour cause d’instabilité politique. Et notamment à la suite d’attentats et d’enlèvements perpétrés dans cette zone du désert mauritanien. Depuis 2017, les choses se sont sensiblement améliorées et Jean-Marc Ayrault, le Ministre des affaires étrangères de l’époque déclarait « Les touristes peuvent aller dans ces zones avec des voyagistes, donc en groupe, de façon organisée » (propos rapportés par l’echotourisme.com qui recense toute l’actualité des professionnels du tourisme). D’où la volonté pour le magazine GEO de faire un sujet de découverte de cette région magnifique de la Mauritanie.
♦ « Je photographie en noir et blanc, et je vois le monde en noir et blanc »
« En 2001, ce qui m’intéressait plus que la prise de vue, c’était le développement. J’ai passé une période de presque 10 ans à ne m’intéresser que à cela, la technique. Le jour où j’ai décidé de devenir photographe, je n’avais presque plus le choix. Avec le temps, je ne pensais plus que noir et blanc. Maintenant quand je fais des photos, je contrôle mes cadrages, je vois où est le noir, le gris et le blanc et pam ! Je vois les couleurs, et je les zappe, je pense en noir et blanc ». Se levant pour me montrer ses photos dans l’appareil en noir et blanc. Il explique aussi que les premières images marquantes sont celles de son album familial. « Bien sur je vois les couleurs mais c’est peut-être moi qui veut les zapper. Je les regarde mais je ne les vois pas. En Mauritanie, j’ai essayé de penser en couleur, et là c’est complètement différent ! Je vois le monde, peut-être en noir et blanc. Peut-être mon sujet est plus mis en valeur en noir et blanc, mais en fait je ne l’ai pas choisi ».
Noir et blanc ou Couleur, un dilemme qui se pose un jour ou l’autre à tout photographe. Visa pour l’Image avait, à ce propos, organisé un débat en 2016. Patrick Witty (Directeur adjoint de la photographie digitale à National Geographic), Brent Stirton (photographe de Getty Images et exposant Guerres d’ivoire cette année) et Stanley Greene s’étaient interrogés afin de savoir si le noir et blanc était l’apanage des festivals. Car les professionnels avaient remarqué la recrudescence des reportages reçus en noir et blanc alors qu’ils avaient été auparavant publiés en couleur.
Le photographe hollandais Kadir van Lohuizen déclarait dans les colonnes de Slate en mars 2016 : “En noir et blanc, j’ai l’impression d’aller plus à l’essence de mon histoire. J’utilise la couleur uniquement quand je pense que c’est un outil plus fort pour raconter mon sujet ou qu’elle fait partie de l’histoire. Travailler en couleur ou en noir et blanc sont deux façons différentes de regarder et de donner à voir”.
♦ Visa pour l’Image « un très très grand bonheur pour moi ! »
Le festival international Visa pour l’Image qui a fêté en 2018 ses 30 ans a été vécu comme une véritable aubaine par Ferhat Bouda. En 2015 et en 2016, ses images ont été projetées au Campo Santo. « En 2017, j’ai fait une exposition et la projection et j’ai terminé avec la semaine scolaire. Tu es là, tu es la même personne, tu as le même travail, avant Visa… après Visa tout le monde te demande. Pour des gens comme moi qui ne sommes pas du tout connus, Visa c’est un énorme changement. Ça m’a donné une crédibilité, une grande légitimité. Ce que fait le 2ème bureau est énorme, sans parler de l’hospitalité de Visa, des gens de Perpignan, de Perpignan tout simplement. C’est pour ça que je reviens chaque année depuis que je l’ai découvert ».
♦ Le volet pédagogique de la résidence
L’une des vocations du Centre International de Photojournalisme est de mettre en place un programme d’éducation à l’image. Outre la 3ème semaine dédiée aux scolaires qui clôture le festival Visa pour l’Image tous les ans, l’éducation à l’image est aussi assurée par les résidents. Cette année, Ferhat Bouda a choisi le thème « Autour de soi ». Un thème dans lequel chacun définit le contenu. « Moi je suis là pour les aider dans le processus, mais je ne peux pas leur dire ce qu’est LA bonne photo. Qui suis-je moi pour dire cela ? ». Car malgré tout oui, comme pour de nombreux photographes, il existe LA bonne photo : « Si j’arrive à avoir sur la même photo, l’âme d’une personne, son activité et son environnement, il n’y a que à partir de cela que l’on peut parler de LA bonne photo ».
Ferhat, va rencontrer près de 200 enfants à deux reprises, pour leur transmettre le virus de la photographie. Sa volonté est de s’affranchir rapidement du volet technique pour pouvoir aller sur le fond du sujet. « Il n’y a pas que la belle image. En tant que photographes, nous avons une responsabilité énorme vis-à-vis de notre sujet, de conserver sa dignité ».
♦ La diversité de Perpignan sujet de la résidence de Ferhat – Un territoire que le photographe apprend à aimer
« J’ai découvert Perpignan durant Visa pour l’Image, mais Perpignan sans Visa, ce n’est pas la même. J’ai choisi de traiter, la diversité architecturale, culturelle, de paysage, de communauté, de personnes… J’ai opté pour ce sujet de manière instinctive, et c’est un énorme sujet que, par manque de temps [Ferhat Bouda ne reste que 3 mois sur place] je ne vais pas pouvoir traiter en profondeur. Mais même en surface, je trouve que c’est un sujet qui définit bien le territoire. Je suis un étranger à Perpignan et je suis un photographe qui pose son regard ici ».
*Les berbères selon Wikipédia sont les membres d’un groupe ethnique autochtone d’Afrique du Nord. Connus dans l’Antiquité sous le nom de Libyens. Ils sont répartis dans une zone s’étendant de l’océan Atlantique à l’oasis de Siwa en Égypte, et de la mer Méditerranée au fleuve Niger en Afrique de l’Ouest. Historiquement, ils parlaient des langues berbères, classées dans la branche berbère de la famille afro-asiatique. Selon l’encyclopédie participative, ils sont essentiellement installés au Maroc (15 à 20 millions) et en Algérie (12 à 15 millions).
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