Article mis à jour le 10 mars 2024 à 10:31
Ce jeudi 7 mars, plus de 200 lycéens de Céret étaient venus suivre la finale du concours d’éloquence. Sur la scène de la salle de l’Union, huit jeunes femmes et jeunes hommes ont déclamé un texte ciselé digne des plus grands discours et plaidoiries.
Derrière la scène, dans la pénombre, Camélia, Jordi, Adam, ou Manon répètent leur texte, tentent des exercices de respiration ou chauffent leur voix. Ils sont toutes et tous stressés à l’idée de fouler les planches de la scène face au jury, leurs professeurs et leurs camarades venus en nombre. Aujourd’hui est le grand jour, celui où ils vont défendre leur conviction avec ces mots qu’ils ont choisis soupesés pour leur sens ou leur sonorité ; ces mots qui vont donner corps à leur pensée pour convaincre par l’art de l’éloquence.
Retour sur les prestations des huit candidats et candidates de Céret, les enjeux de ce premier concours d’éloquence dans les Pyrénées-Orientales et la délibération du jury.
Le super-pouvoir de Justine
Justine fait le choix de faire un bond dans le passé, et de revenir au temps où elle regardait super-méchants et super-gentils s’affronter dans les dessins animés. Des récits qui l’ont mise en quête de son propre super-pouvoir. «Moi, la gamine haute de 6 iPhones, je rêvais de devenir un super-héros ou d’avoir un super-pouvoir. Alors, je me suis lancée dans une grande quête, la quête au super-pouvoir.»
Si Justine s’imagine avec humour à la recherche d’un super-pouvoir, l’invisibilité ou la super mémoire, le ton devient vite plus grave quand elle se remémore la petite fille qu’elle était. Celle qui a dû faire moult concessions pour répondre à ce qu’on exigeait d’elle. «J’ai suivi exactement toutes les règles que la société m’a imposées. Sans jamais vouloir m’égarer, sans jamais vouloir défaillir.»
Justine Thommerel
Après ce moment d’émotion sincère, la jeune Justine annonce avoir enfin trouvé le super-pouvoir tant recherché. «Voilà, je l’ai trouvé, je l’ai choisi, le super-pouvoir que je veux. Ce super-pouvoir dont même à la fin de ma vie, je ne pourrais avoir la pleine capacité. Oui, je l’ai trouvé, je l’ai choisi, le super-pouvoir que je souhaite posséder, c’est m’aimer. Car si je ne m’aime pas, qui le fera ?»
Les mots comme baume aux maux de la vie
Lily Rose a usé des mots pour présenter Marianne à l’assistance. La jeune femme a fait le choix d’écrire une lettre à cette mère partie trop tôt. Durant six minutes, Lily Rose déclame les mots qu’elle a auparavant couchés sur le papier. «Ça, c’est vraiment toi». Lily Rose se souvient des jours heureux et imagine la vie qui aurait pu se dérouler aux côtés de cette maman.
«Si j’avais eu à parler de toi comme si j’en étais amoureuse, j’aurais dit que tu étais la plus attentionnée, la plus gourmande, la plus de tout ce que ce monde peut offrir de positif. Finalement, tout ce que je me rappelle de toi, ce sont des souvenirs que ma mémoire a continué à s’inventer sans la moindre assurance que ce soit réel.»
Lily Rose Durocher
Puis, malgré l’émotion qui envahissait Lily Rose, la jeune a pu conclure sa lettre avec une demande bien particulière. «Lumière blanche, destin tracé, rêves brisés, dernière revanche, on dit qu’il faut laisser le temps au temps. Alors je te le laisse, mais promets-moi de me revenir, même s’il faut que tu y laisses, tout ce que tu aurais voulu devenir, pour être vraiment toi, pour être maman.»
La curiosité est-elle un vilain défaut ? Anna et Jordi tentent une réponse
Anna confie à l’assistance les mots couchés sur son journal. Elle écrit sur ces pages blanches les propos lancés par son professeur de catalan, sa curiosité serait son plus grand défaut. Ce même professeur qui, par manque de curiosité, serait passé à côté de sa vie, de ses rêves de devenir astronaute. «Monsieur Pointu ne volera plus, son manque de curiosité lui a coupé les ailes, l’a empêché de décoller, l’a empêché de rêver.»
Pour Anna, la curiosité est loin d’être un vilain défaut, elle est avant tout la clé de notre réussite, une carte qui nous guide vers des contrées inexplorées pour devenir un aventurier de notre vie. Et la jeune femme s’interroge sur le devenir du monde sans la curiosité. Pour Anna, particulièrement à l’aise malgré le trac, «la curiosité a pour seule barrière celle que la société cherche à lui imposer et dont un esprit éveillé sera toujours épris.»
Anna Hemmat
De son côté, Jordi scande à la salle que loin d’être un vilain défaut, la curiosité est surtout un besoin humain. «Je ne suis pas d’accord avec cet adage. En effet, si la curiosité est un vilain défaut, pourquoi poser des questions ? Pourquoi apprendre ou acquérir de la connaissance ? Si tout cela est lié à la curiosité, et que la curiosité est un vilain défaut, alors pour quoi faire ?»
Jordi imagine lui aussi un monde sans curiosité. «Il suffirait de rester chez soi, de ne pas sortir découvrir le monde, de ne pas s’instruire, de ne pas lire, de ne pas regarder de films, de ne pas écouter de la musique, de ne pas vivre.» En clair, pour Jordi, c’est bien grâce à la curiosité que nous pouvons goûter pleinement au sel de nos vies.
L’histoire est un éternel recommencement ?
Sujet du bac de philo ou d’éloquence, Tim et Adam avaient choisi de se confronter à cette vaste question. Tim fut le premier à se présenter devant la salle. Et malgré le stress perceptible dans le débit de sa parole, le jeune homme a développé son argumentaire méthodiquement, presque de manière chirurgicale. Rappelant faits historiques, recommencement pour l’histoire avec un grand H comme celle de chacun d’entre nous, Tim a alterné rimes, arguments et pointes d’humour. Avant de lancer sa conclusion qui a conquis l’assistance.
«Une planète alternant des périodes de refroidissement et de réchauffement, peuplée d’êtres humains, dont la fin de la vie ressemblera au commencement, évoluant au sein d’une civilisation dont la mort n’est qu’une question de temps, entourée d’autres civilisations tout aussi condamnées à l’effondrement, au sein desquels peuvent parfois avoir lieu des révolutions qui de toute façon échoueront lamentablement. Les extraterrestres sont peut-être en train de nous observer. Et peut-être que l’un d’entre eux, en nous regardant affronter un énième bouleversement de notre histoire, se dit, mais de toute façon, c’était à prévoir, parce qu’avec eux, c’est toujours la même histoire.»
Adam avait choisi le même thème que Tim. Pour Adam, si parfois les événements se répètent, ils ne se ressemblent pas pour autant, «l’histoire n’est pas linéaire.» Pour le jeune homme, si l’histoire se répète et notamment les guerres, c’est surtout parce que l’humanité ne sait pas en tirer les bonnes leçons.
Quand Manon choisit son avenir sans renoncer
Si l’écrivain André Gide disait «Choisir, c’est renoncer», Manon après un argumentaire de plus de huit minutes décide plutôt que «Choisir, c’est préférer.» «Choisir étant un acte majeur de la vie, chaque choix, petit ou grand, se doit d’être effectué de manière éclairée», lance Manon à l’assistance. Et le choix, ces adultes en devenir y sont rapidement confrontés. Depuis plusieurs années déjà, on leur demande via la plateforme Parcoursup de déposer une multitude de choix pour leur avenir scolaire.
«Aujourd’hui, des outils ont été créés pour nous aider à choisir, et chaque dilemme a sa solution déjà toute faite, comme un plat pour le micro-ondes, que ce soit de sauver le monde plutôt que de perdre un être cher, ou de prendre une année sabbatique plutôt qu’oser rentrer ses vœux sur Parcoursup.»
Au tour de la jeune Camélia : «C’est bon, je peux parler ?»
Camélia jouant de silence et de variation dans l’intonation de sa voix donne corps à un plaidoyer fort pour exiger la parole qu’on lui aurait parfois coupée ou volée. Comme une revanche de celle qui a si souvent eu l’impression que la parole d’un enfant ne valait rien face à celle d’un adulte. «Même si je suis encore jeune, j’ai plein de choses à défendre. Et je ne cesserai de m’exprimer sur chacun de ces sujets qui me touchent.» Et Camélia de prendre l’exemple du droit à l’avortement aux États-Unis.
Camélia Fuentes
«La décision d’interdire ce droit a été prise par des vieux Républicains, alors que le choix de garder l’enfant revient à la femme.» Camélia a conclu en rappelant que «chaque mot, chaque phrase, chaque texte que nous prononçons est synonyme de changement dans le monde qui nous entoure.»
La parole, et la prise de parole, comme un enjeu démocratique
Le coordinateur du concours d’éloquence départemental est en terminale au lycée Déodat de Séverac. Du haut de ses jeunes années, Julian Fernandez est passionné par le théâtre, et voit dans l’art oratoire un moyen de sauver cette démocratie qu’il juge en danger.
«La parole tout comme l’aisance dans la prise de parole est très différente selon les milieux sociaux. Et je crois que c’est très discriminatoire. Nous avons de nombreux enjeux démocratiques qui sont liés à la prise de parole. Avec une démocratie de plus en plus menacée un peu partout dans le monde, je pense qu’il est important de se former tant à la compréhension qu’à l’expression des mots.»
Avant de lancer l’évènement, Julian a tenu à citer Bertrand Perier, avocat et spécialiste de l’art oratoire, la parole c’est un combat qui en remplace un autre, «parce que débattre c’est le contraire de se battre.»
Julian Fernandez
Prochaine étape ? Les finalistes de Céret et de plusieurs lycées des Pyrénées-Orientales s’affronteront le samedi 4 mai à Saleilles. Pour parrainer cette première édition, Julian a sollicité deux personnalités inspirantes : Jean-Paul Alduy qui a marqué l’histoire politique du département et de Perpignan, et l’oratrice barcelonaise Laora Gomez.
Et le jury délibéra pour désigner les gagnants de la finale d’éloquence du lycée de Céret
S’il y a eu 27 candidats au premier tour pour le seul lycée de Céret, huit ont été sélectionnés pour la finale de ce 7 mars. Le choix fut cornélien pour les membres du jury qui devaient délibérer sur l’aspect théâtral de la prestation, le discours et les arguments défendus pas les candidats. Quatre personnalités composaient le jury : Michel Coste, maire de Céret, Bernadette Costaseca, proviseure du lycée Déodat de Séverac, JB professeur de théâtre et comédien, et enfin Pablo Fernandez, à la tête de la startup Kuupanda.
Après de longues minutes sur les prestations toutes aussi brillantes qu’inspirantes, l’éloquence de trois des huit candidats se détachait. Lily Rose, Anna et Tim étaient désignés les gagnants de cette première édition du concours d’éloquence à Céret.
*Photo à la une de l’article traitée via une homothétie. Adam Aheak prépare son passage sur scène.
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