Article mis à jour le 27 janvier 2024 à 09:06
Mercredi 29 septembre se tiendra, à la salle des Libertés de Perpignan, une conférence en présence des auteurs (Raymond Sala, Alain Tarrius et, Joan Becat) du livre « Un Millénaire de cosmopolitisme féminin à Perpignan et à ses frontières » (Editions l’Harmattan) ; ainsi que les chercheurs Michelle Pernelle et Dominique Sistach.
Au programme, la condition de la femme à travers un millénaire ; « saintes, nobles dames, femmes esclaves, prostituées ». La conférence sera également l’occasion de comprendre les migrations contemporaines des femmes des Balkans vers la Jonquera pour devenir des travailleuses du sexe ; ainsi que leur stratégie de reconversion et de retour au pays.
Reconversion des travailleuses du sexe par Alain Tarrius*
Le sociologue travaille depuis de nombreuses années sur la migration de ces femmes des Balkans. Via des réseaux, elles deviennent les travailleuses du sexe qui font la réputation de La Jonquera. Il a particulièrement suivi Sardinella, née Archangella. Cette Albanaise est aujourd’hui de retour dans son pays d’origine ; après 6 années passées dans les clubs prostitutionnels ibériques.
En 2020, et grâce notamment à Sardinella, Alain Tarrius a pu échanger avec 607 femmes balkaniques. Aujourd’hui, parmi les femmes questionnées par le sociologue, certaines sont encore dans des clubs prostitutionnels espagnols, belges ou allemands. D’autres sont restées en Espagne ; elles sont désormais employées administratives dans ces mêmes clubs. D’autres sont mariées, devenues commerçantes ou employées. 467 d’entre elles ont créé diverses activités commerciales après leur retour au pays. Un retour après 5 ou 7 années passées dans les clubs ibériques, La Junquera, Sitges ou même en Andorre.
Pour rappel, en 2013, Alain Tarrius avait échangé, sur leur situation, avec 10.880 femmes originaires des Balkans et du Caucase. Elles travaillaient dans 270 clubs prostitutionnels ; soit environ 50 % des effectifs globaux. Le sociologue estime que le flux de femmes balkaniques entre 2007 et 2018 à 47.000 Parmi elles, 17.000 étaient revenues “au pays” après cinq à six années de travail en tant que travailleuses du sexe.
Sardinella décide de créer « ONG retours »
Sardinella, a connu une forte mobilité en clubs prostitutionnels levantins ; 8 clubs, de La Jonquera à Carthagène. Elle est aujourd’hui responsable commerciale dans l’entreprise artisanale de son frère. L’apport financier de Sardinella a permis à l’entreprise d’élevage de poissons d’acquérir une dimension régionale dominante. Elle consacre une partie de son temps à l’animation de l’ONG retours. L’association, qu’elle a elle-même créée en 2013, apporte un soutien au retour des femmes balkaniques transmigrantes des clubs prostitutionnels espagnols.
« Notre association avait pour but de faciliter les retours dans les Balkans des filles qui désiraient investir leur cagnotte dans un projet d’entreprise, de commerce, d’agriculture, et autres ». Pour Sardinella, comme pour les 47 premières adhérentes de l’ONG Retours, il était primordial de s’unir pour contrer les différents écueils. Elle évoque, les tentatives d’extorsion des réseaux criminels, de la famille et même des institutions enclines à taxer une partie de leur « cagnotte ». Car en 6 ans, Sardinella a engrangé 380.000€ de gains.
Alain Tarrius reprend les calculs de Sardinella. Ces 380.000€ correspondent à un gain d’environ 300€ par jour. 120 pour le gérant, 180 pour Sardinella. « Score » moyen, résultat des années de travail en « abattoir ». Les gains en travail sur bords de route ou en cabine de camions ne sont pas comptabilisés dans la « cagnotte ». Le « portefeuille » ou « cagnotte » est la somme des gains par club prostitutionnel, transmise de club en club et restituée au départ… Souvent cause d’interminables conflits qui provoquent une longue attente avant le retour, et une perte partielle des gains. Sardinella a, selon Alain Tarrius, pu récupérer sa cagnotte grâce à l’intervention du commissaire territorial et de l’association espagnole Caritas.
« Immoral », « Scandale », une ONG pour changer de condition
L’objectif était d’être plus efficace que les dispositifs déjà existants. Archangella devient sévère à l’égard des politiques menées. « Quand l’Europe donne 5 milliards à un pays, combien arrivent aux créateurs d’entreprises ? À nous, les femmes, rien bien sûr. L’argent officiel se divise par deux ou trois, le nôtre se multiple par trois et plus en évitant l’appétit de chaque niveau. Et tout notre argent servira à l’achat de commerces ou de foncier, aux mains-d’œuvre, aux outils, à la première année de fonctionnement ».
« Immoral ! s’écrient les ONG, les polices, et plus encore les mafieux qui nous préfèrent au trottoir qu’aux commandes. Aucune ONG de façade, de celles dont les journaux parlent, n’a voulu nous reconnaître », confie Sardinella à Alain Tarrius. « Certaines ont crié au scandale. Non seulement nous ne tentons rien pour empêcher les filles de se rendre dans les claques espagnols, mais, en plus, nous valorisons au possible les investissements de celles qui retournent, modèles de réussite aux yeux de tou(te)s. Eh bien oui, nous hurlons ce que Magdalena nous a tant répété. « Pour nous toutes, pauvres à l’Est, l’aller-retour de quelques années en Espagne, ou dans l’Europe du Nord, nous permet ce qu’aucune formation chez nous n’apporte : changer de condition ».
« Atteindre les filles sur le départ et les éduquer à la réussite d’un investissement »
Pour Sardinella et ONG Retours, il est primordial de prendre contact avec les filles avant leur départ. Sinon, elles reviennent avec beaucoup moins que le solde de leur cagnotte. « Elles sont exploitées jusqu’au départ, elles se contentent d’un tiers, ou même d’un quart de la cagnotte. Elles ne veulent pas attendre les deux ou trois mois nécessaires au dernier gérant pour rassembler tout le dû. Ou elles ne veulent pas saisir leur commissaire territorial.
Alors elles reviennent avec de quoi acheter une maison et elles cherchent un petit travail. Certaines continuent la prostitution avec internet. Mais nous faisons le maximum pour atteindre les filles sur le départ et les éduquer à la réussite d’un investissement. Cela passe souvent par le déplacement de l’une des nôtres vers la famille de celle qui retourne pour l’éduquer à partir de nos expériences. Nous insistons, chaque fois que possible sur l’association à deux ou trois pour monter un projet important« .
Colloque du 29 septembre, Salle des Libertés de Perpignan de 10h à 18h
– 10h – 10h30 : Raymond Sala, Une trame millénaire de cosmopolitismes féminins : Saintes, nobles dames, femmes esclaves, prostituées dès La Jonquera, féministes andorranes.
– 10h30 – 11h30 : Alain Tarrius. Trans-migrations de femmes des Balkans pour le travail du sexe en Espagne : entrée par « la zone de mœurs transfrontalière catalane ». Retours. Entrée dans les réseaux prostitutionnels de jeunes majeur-e-s fragiles de Perpignan. (exposé 35 min., discussion 25 min.)
– 11h30 – 12h30 : Dominique Sistach. Trans-migrations de femmes des Balkans pour le travail du sexe en Espagne : actualités institutionnelles et sociologiques de la « zone de mœurs » catalane. (exposé 35 min. discussion 25 min.)
– 14h – 15h : Raymond Sala. Du cosmopolitisme féminin aristocratique à l’esclavagisme féminin cosmopolite.
– 15h – 16h : Michelle Pernelle. Criminelles et prostituées en Roussillon : origines géographiques et sociales (1820 – 1920).
– 16h – 17h : Joan Becat. Lutte des femmes catalanes et des femmes andorranes. (exposé 35 min. discussion 25 min.).
– 17h : Joan Becat : conclusions et discussions.
*Alain Tarrius est professeur émérite de l’université Toulouse-Jean-Jaurès et membre des laboratoires CNRS LISST et Migrinter. Il étudie depuis les années 1980 la genèse des migrations transnationales.
*L’article complet d’Alain Tarrius sera publié dans la Revue Internationale des Etudes du Développement (RIED) localisée à l’Université Panthéon-Sorbonne.
// Du même auteur
- Les réseaux et mafias de la frontière catalane franco-espagnole
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