Article mis à jour le 17 juillet 2025 à 14:36
Dans les Pyrénées-Orientales, département au taux de chômage le plus élevé de France métropolitaine, l’École de la Terre accueille des personnes éloignées de l’emploi dans le cadre d’un chantier d’insertion en maraîchage bio. Un dispositif encore fragile, entre coupes budgétaires et stéréotypes persistants.
Il est 7 heures, ce mardi matin près de Perpignan. L’air est encore un peu frais entre les serres de l’École de la Terre. Petit à petit, les salariés arrivent pour prendre leur poste. La mélodie de Brassens côtoie le rap des années 2000 en fond sonore d’un bureau où nous accueillent les encadrants de ce chantier d’insertion. Portée par l’association Joseph Sauvy, l’ACI* École de la Terre est une exploitation certifiée en maraîchage bio ECOCERT. Au-delà du maraîchage, l’objectif ici, c’est l’employabilité.
Un chantier d’insertion dans un territoire sous pression
Dans les Pyrénées-Orientales, département tristement leader en matière de chômage en France métropolitaine (12,1% d’après les derniers chiffres de l’Insee), les freins à l’emploi sont nombreux : saisonnalité, manque d’industrie, peu de secteurs qui emploient (agriculture, tourisme). Pour répondre à cette situation, l’État soutient 25 structures d’Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) sur le territoire, offrant ainsi plus de 500 postes en Contrat à Durée Déterminée d’Insertion (CDDI).
Ces entreprises ont pour objectif de lever les obstacles qui empêchent les publics les plus éloignés du marché du travail d’accéder à un emploi durable. L’insertion permet de valoriser leurs compétences, d’en acquérir de nouvelles et de découvrir différents métiers grâce à des stages et immersion en milieu professionnel.
Parmi ces structures, L’École de la Terre, implantée à Bompas, mise sur le maraîchage comme vecteur d’insertion professionnelle. Les personnes recrutées signent un contrat de 26 heures par semaine, après avoir passé un entretien, suite au dépôt de leur candidature sur la Plateforme de l’inclusion. Le projet s’adresse à un public très éloigné de l’emploi, qu’il s’agisse de candidats volontaires ou de personnes orientées par des prescripteurs tels que France Travail, le Conseil départemental, ou encore des associations.
« Pour être éligible, il y a un ensemble de critères. Par exemple, être bénéficiaire du RSA, de l’asile politique, être un parent isolé, avoir un niveau de diplôme inférieur au CAP, être un sénior, etc. », nous explique la directrice du chantier, Noémie Eudes.
Un tremplin pour apprendre des compétences transversales
À l’Ecole de la Terre, les salariés plantent, récoltent et livrent leurs légumes à des clients comme la Biocoop. Mais l’essentiel est ailleurs. « Chaque chantier d’insertion exerce une activité économique. Nous, c’est le maraîchage mais tous nos salariés n’ont pas vocation à rester dans ce secteur. Ils sont là pour l’accompagnement et l’acquisition de compétences transversales », précise la directrice du chantier.
« Ici, on apprend à respecter des horaires, une hiérarchie, à travailler en équipe, poser des jours de congés, des arrêts maladie… un tas de compétences qui vont pouvoir être réutilisées dans n’importe quelle activité ».
Sur leurs heures de travail, les salariés bénéficient d’un accompagnement personnalisé avec une conseillère en insertion professionnelle et une assistante sociale, chose rare dans une structure d’ACI : aide administrative, formations pour lever les freins (illettrisme, illectronisme, permis de conduire), formations certifiantes (débroussaillage), cours de français, préparation aux entretiens d’embauche, stages et immersion en entreprise via des dispositifs comme la PMSM**. Tout est pensé pour lever les freins à l’emploi et construire un projet professionnel réaliste.
Après l’Ecole de la Terre, « l’employabilité reste compliquée »
À la fin de leur contrat, les salariés sont encore suivis pendant quatre mois par l’Ecole de la Terre. Si le CDI est considéré comme la sortie « idéale », il reste rare. Les formations ou les immersions en milieu professionnel constituent également des sorties dites « positives », dans le jargon du secteur.
« On nous demande du quantitatif, des quotas sur les sorties », explique la directrice. Une circulaire du ministère du Travail, parue en mai 2025, a d’ailleurs revu à la baisse les modalités de financement des structures d’insertion, déjà fragilisées par des coupes budgétaires.
Fin mars 2025, selon le Ministère du Travail, 138 100 personnes travaillaient dans les structures d’insertion par l’activité économique (IAE) en France. Un chiffre en baisse de 3,2 % sur un an. Et si 39 900 embauches ont été enregistrées au 1er trimestre 2025, cela représente une baisse de 5 % par rapport à la même période en 2024.
« L’insertion, c’est un modèle qui coûte cher par rapport au retour à l’emploi si on regarde le nombre de CDI. La fonction principale est ailleurs. C’est gagner confiance en soi, se dire qu’on est employable », raconte Noémie Eudes.
Même sans déboucher immédiatement sur un contrat de travail, l’accompagnement proposé par L’École de la Terre produit des effets positifs concrets. Récemment, une salariée a pu accéder à un logement grâce à son contrat au sein de la structure. D’autres bénéficiaires trouvent leur voie dans des formations qualifiantes, que ce soit dans le maraîchage ou dans d’autres secteurs, comme l’aide à la personne. Le chantier permet également aux personnes étrangères d’améliorer leur français, notamment grâce à l’accès à des cours de langue.
« Je suis capable de travailler »
Les profils des salariés sont très divers : « du bac +5 au bac à sable », résume un encadrant. Pour certains, il s’agit du tout premier emploi, de la toute première expérience professionnelle. Le travail de maraîchage offre aussi une sorte de parenthèse dans des parcours de vie souvent compliqués. C’est un temps pour se recentrer sur soi, se reconstruire autour du travail et commencer à se projeter à nouveau vers l’avenir.
« Si je suis capable de travailler, de tenir un emploi dans la durée, je suis en mesure d’acquérir des nouvelles compétences, parfois de postuler à des offres d’embauche, même si je ne suis pas recruté. C’est ce que beaucoup se disent », résume la directrice.
Alors que l’État pousse vers des modèles plus « rentables » à court terme, l’insertion ne semble pas être à l’agenda politique. « Si j’avais une baguette magique, j’essaierais de rendre ce dispositif et ces personnes plus visibles, de déconstruire les stéréotypes négatifs et de toucher plus d’entreprises », affirme Noémie Eudes.
Un documentaire en cours de réalisation pour déconstruire les stéréotypes
Malgré les efforts de terrain, des préjugés persistent sur les salariés en insertion, notamment du côté des employeurs. « Quand on aide les salariés à faire leur CV, on se pose toujours la question de mentionner le chantier d’insertion. On aimerait pouvoir dire que ce sont des salariés comme tous les autres », déplore la directrice. Alors, pour convaincre les entreprises, la structure travaille sur des partenariats et met en avant les compétences de ses salariés.
Alors que les stéréotypes sur l’insertion ont la vie dure, un documentaire est en cours de tournage à l’École de la Terre. Réalisé par deux étudiants de l’Université de Perpignan, ce projet donne la parole aux salariés pour raconter leurs parcours de vie. L’objectif : montrer le chantier comme un lieu d’accomplissement personnel, plus que comme un tremplin vers l’emploi et déconstruire les préjugés sur les “bénéficiaires” de l’insertion professionnelle. La date de sortie n’est pas encore connue mais ce court documentaire sera accessible sur Youtube.
* Ateliers et chantiers d’insertion
** Période de mise en situation en milieu professionnel
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