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À Tautavel, les trésors de la préhistoire sortent des réserves pour être montrés au public

Quand le conservateur de Tautavel entrouvre les coulisses des trésors de la préhistoire

Dans les réserves du Centre Européen de Recherches Préhistoriques de Tautavel, des milliers d’objets préhistoriques sont conservés. Fossiles, outils, restes humains ou d’animaux témoignent d’une occupation humaine ancienne, parfois vieille de plusieurs centaines de milliers d’années.

C’est ici, dans les Pyrénées-Orientales, que sont conservés plus de 600 000 objets provenant de la Caune de l’Arago, mais aussi issus de 350 sites archéologiques du sud de la France. Durant l’été, chaque mercredi, le programme « un été hors des réserves »* est l’occasion pour le conservateur du musée de préhistoire de Tautavel, Jacques Pernaud, d’extraire divers objets pour les présenter au public.

Cet article fait partie d’une série réalisée en partenariat avec le Musée de Préhistoire de Tautavel.

Du biface à la mâchoire d’ours, ces fossiles qui sortent des réserves de Tautavel

Le mercredi 6 août, les visiteurs du musée de Tautavel auront l’occasion de rencontrer Jacques Pernaud, le passionnant conservateur du musée de la préhistoire. Ce dernier présentera un biface partiel en quartzite provenant de la Guillotte dans le Tarn-et-Garonne. En avant-première, Jacques Pernaud nous dévoile les caractéristiques de cet objet. Manipulé avec la plus grande précaution, le biface semble prendre vie tant le scientifique nous le décrit. »Cet objet en quartz est le cœur de toute l’opération de taille. Il s’agit d’un bloc de matière première qui, après avoir été percuté, a généré des éclats. Ces éclats, à leur tour, deviennent des outils – racloirs, pointes ou denticulés**. »

MUSEE PREHISTOIRE TAUTAVEL CONSERVATEUR JACQUES PERNAUD

Pour détacher ces éclats, les hommes préhistoriques utilisaient un percuteur. Et contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la dureté qui est déterminante, mais la forme. « Le percuteur doit être trapu, rond, sans arêtes saillantes. Ce n’est pas la force brute, mais la forme qui permet de transmettre l’énergie nécessaire », détaille le conservateur.

« Lorsqu’on fait de la taille expérimentale, on constate qu’avec des objets tendres, on peut casser des objets durs. » Jacques Pernaud nous confie qu’à la fin de la préhistoire, et donc bien après l’homme de Tautavel, les Hommes utilisaient des os, du bois de renne ou du bois végétal pour tailler du silex, roche très dure et cassante. « Le bois de renne est très élastique et transmet une vibration qui va cheminer dans la roche. Et c’est en ressortant qu’il y aura un éclat. »

Avant le biface, le public avait découvert une mâchoire de cheval en provenance de la grotte Tournal, sur la commune de Bize-Minervois. Ce site fouillé à plusieurs reprises au siècle dernier recèle des niveaux datés tantôt de l’homme de Néandertal, tantôt de l’homme de Cro-Magnon – offrant une rare opportunité d’observer la transition entre ces deux humanités. « Ce cheval a sans doute été consommé par des hommes préhistoriques », commente le conservateur en montrant les dents parfaitement conservées, ainsi que la cassure de l’os qui laisse apparaître les racines dentaires. Ces indices, croisés avec d’autres découverts sur le même niveau, témoignent de pratiques alimentaires et de comportements techniques anciens.

À gauche : une mâchoire de cheval en provenance de la grotte Tournal. À droite, la mâchoire inférieure d’ours des cavernes provenant de la grotte de la Grande Arche.

Pour la dernière séquence, celle du 27 août, la pièce qui sera présentée au public est massive. La mâchoire inférieure de cet ours des cavernes vient de la grotte de la Grande Arche. « C’est un ours d’assez grande taille, peut-être plus d’une tonne. On ne connaît pas la raison du décès prématuré de ce spécimen, mais souvent, les ours, parce qu’ils n’ont pas de prédateur, mouraient très âgés. »

Jacques Pernaud tente de nous expliquer le cycle de vie des ours des cavernes, lignée disparue des ours bruns. « Souvent dans les grottes, on trouve des ours morts âgés durant l’hibernation. L’hibernation est un moment complexe. Durant toute l’année, ils doivent manger beaucoup pour faire les réserves qui leur permettront de tenir sans se nourrir durant trois ou quatre mois, les hivers préhistoriques peuvent être très longs. Et les animaux âgés n’arrivaient pas à faire assez de réserves et mourraient au moment de se réveiller de leur hibernation. »

Conserver l’irréparable : précautions et savoir-faire autour des fossiles

Préserver des vestiges vieux de plusieurs dizaines de milliers d’années impose un ensemble de gestes précis, dictés par la nature même des objets. Fossilisés, les os et les dents conservés à Tautavel ne sont plus tout à fait les matériaux organiques d’origine. Ils ont subi des transformations minérales qui leur confèrent une certaine stabilité. « Ce sont des objets relativement stables, ils ne bougent pas trop. Mais s’ils tombent, ils peuvent se briser », prévient Jacques Pernaud.

Et la démonstration est claire : un objet pourtant lourd et compact peut éclater s’il chute, ne serait-ce que de quelques centimètres. La manipulation exige donc une vigilance constante : toujours avec deux mains, jamais loin d’un support, et surtout pas au-dessus d’un sol dur comme du carrelage. Une règle de base que le conservateur applique systématiquement. « Si j’ai un malaise, il tombera sur la table, pas au sol », précise-t-il.

Outre la manipulation, les conditions de stockage doivent limiter les variations brutales d’environnement. Si la lumière n’est pas un facteur d’altération majeure, les variations thermiques ou hygrométriques peuvent en revanche être délétères. « Ce que ces objets craignent, c’est la brutalité : passer subitement de 25 à 50°C, ou inversement », insiste le spécialiste. Les dents fossiles réagissent particulièrement aux changements de température, tandis que les os sont plus sensibles à l’humidité ambiante.

Un métier de l’ombre au service de la mémoire collective

Souvent méconnu du grand public, le métier de conservateur du patrimoine recouvre pourtant une mission essentielle : préserver, étudier et transmettre les traces matérielles du passé. Archéologues de formation ou spécialistes de disciplines connexes, ces professionnels sont à la fois garants de l’intégrité des collections, facilitateurs de recherche scientifique, et passeurs de mémoire auprès du public.

MUSEE PREHISTOIRE TAUTAVEL CONSERVATEUR JACQUES PERNAUD

À Tautavel, le conservateur joue un rôle central dans l’accueil des collections, leur documentation minutieuse, leur stockage dans des conditions optimales, et leur mise à disposition pour l’étude. Entre manipulation rigoureuse des artefacts, veille sur les conditions climatiques des réserves et connaissance fine de la stratigraphie des sites, le quotidien de ces experts exige autant de précision que de passion. Un travail souvent invisible, mais sans lequel aucun musée, aucune publication scientifique, ni même aucun récit de la préhistoire ne pourrait voir le jour.

*Programme « un été hors des réserves » : Le 6 août, Jacques Pernaud présente un biface partiel en quartzite de la Guillotte (Tarn-et-Garonne). Le 13 août, l’articulation discale de fémur gauche de bison de la grotte Tonal à Bize-Minervois. Le 20 août, mâchoire inférieure de daim de la Caune de l’Arago. Enfin, le 27 aout, la mâchoire inférieure d’ours des cavernes de la grotte de la Grande Arche.
**Les denticulés sont des objets en pierre.

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