Article mis à jour le 10 avril 2020 à 19:36
La prison cristallise dans la considération qu’on lui offre et les moyens qu’on lui donne – ou plutôt qu’on ne lui donne pas – l’ensemble des carences et problématiques de la justice et de l’administration pénitentiaire. Des mesures ont été prises afin de lutter contre la propagation du COVID-19 dans le milieu carcéral. Il n’en demeure pas moins que ces dispositions restent insuffisantes au regard des libertés fondamentales des détenus.
Par Ibrahim SHALABI et Jocelyn ZIEGLER, élèves avocats à l’école de formation du barreau de PARIS. Adapté pour Made In Perpignan ; l’image de Une est une ARCHIVE Janvier 2018 (manifestation personnels pénitentiaires Perpignan).
♦ Les mesures gouvernementales de lutte contre la propagation de la pandémie en milieu carcéral
L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 autorise le Gouvernement, dans les conditions de l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance, durant un délai de trois mois, toute mesure relevant du domaine de la loi. Cette loi a notamment permis d’édicter de nombreuses mesures d’assouplissement des modalités d’affectation et de déplacement des détenus.
Par ailleurs, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a prescrit des mesures sanitaires d’urgence ; mesures visant à imposer un éloignement ainsi qu’un confinement dans un objectif de ralentissement de la propagation du virus.
En conséquence, de nombreuses mesures ont été prises afin de limiter les déplacements et le regroupement de personnes. Il était dès lors assuré que les pouvoirs publics allaient s’intéresser à la question du virus dans les différentes prisons de France.
♦ L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020
Cette ordonnance a prévu dans ses articles 21 à 23, des dispositions permettant, par dérogation, de faciliter les affectations des personnes mises en examen, prévenues ou accusées dans les différents services ou au sein de différents établissements pénitentiaires aux fins de lutte contre la propagation du virus.
Par ailleurs, le rapport remis au Président de la République à l’occasion de l’ordonnance 25 mars 2020 précise, à cet égard, que les articles 21 à 23 permettent à l’administration pénitentiaire de fluidifier les affectations des détenus dans les établissements pénitentiaires. En effet, sont désormais possibles les mesures permettant le transfert dans un établissement pénitentiaire comportant un quartier de quarantaine ou un quartier pouvant accueillir des détenus atteints d’une pathologie.
Le rapport précise également, qu’à l’aune de l’article 28, la sortie anticipée des détenus est permise ; dès lors qu’ils sont condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans et dont deux mois ou moins de détention restent à subir. On permet, ainsi, une mutation de la peine sous la forme d’une assignation à résidence avec interdiction d’en sortir.
De manière générale, les différentes mesures prises ne peuvent être considérées autrement que comme insuffisantes ; et exposant, malgré tout, les différentes personnes présentes dans les nombreux établissements à un risque particulièrement grave.
♦ Les atteintes aux libertés fondamentales des détenus en milieu carcéral
Cette catastrophe sanitaire qui s’est propagée en prison, est susceptible de porter atteinte à la santé des détenus ; laquelle est notamment protégée par l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après CESDH) portant sur le droit à la vie. On comprend ici l’importance de l’affirmation de ce droit dans les contextes de crises sanitaires.
La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH) a en effet consacré ce droit à la vie comme l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (CEDH 27 sept. 1995, McCann c/ Royaume-Uni, no 18984/91).
L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme impose en effet, aux États contractants, l’obligation, non seulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement » ou par le biais d’un « recours à la force » disproportionné ; mais, aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction (CEDH 9 juin 1998, L.C.B. c/ Royaume-Uni, no 23413/94).
Aussi, repose sur l’État la charge de prouver qu’elle a, effectivement, pris toutes les mesures nécessaires et attendues pour protéger les personnes privées de leur liberté (CEDH 14 mars 2002, Paul et Audrey Edwards c/ Royaume-Uni, no 46477/99) ; peu importe l’origine du problème ayant obligé aux mesures (CEDH 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, no 21986/93). La CEDH a également, à cet égard, imposé aux États l’obligation de « dispenser avec diligence les soins médicaux à même de prévenir une issue fatale » (CEDH 16 nov. 2006, Huylu c/ Turquie, no 52955/99).
♦ 70 651 personnes détenues en France pour 61 080 places effectives
Dans un environnement comme celui de la prison, au sein duquel, au 1er janvier 2020, 70 651 personnes étaient détenues en France pour 61 080 places effectives, pour un taux d’occupation moyen de 116% (Chiffres présentés par l’OIP), on ne peut que s’indigner de l’autoclave dans lequel on a placé surveillants comme détenus. En cette période où les mesures générales prises pour la population furent celles du confinement et de la distanciation sociale, on n’entend encore moins que de coutume l’état abandonné des prisons et la promiscuité tolérée des détenus.
On rappellera que la CEDH a, à l’occasion d’une décision du 30 janvier 2020, condamné la France pour violation de l’article 3 de la CESDH en raison de la surpopulation carcérale.
L’arrêt réitère les principes relatifs à la conventionnalité des conditions matérielles de détention et précisément les lignes directrices applicables depuis l’arrêt Muršic contre Croatie (CEDH, gr. ch., 20 oct. 2016, n°7334/13) en matière d’espace personnel. Les États sont donc débiteurs de l’obligation positive générale d’organiser leur système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité (CEDH, 27 mars 2008, n° 63955/00, Sukhovoy c/ Russie).
Parallèlement à cette obligation d’agir, il est nécessaire d’identifier les conditions de détention incompatibles avec l’article 3 ; et, en l’espèce notamment, de caractériser un espace personnel constitutif d’un traitement inhumain et dégradant. La Cour, précise qu’un espace personnel se situant en-deçà des 3 m² fait naître une « forte présomption » de violation de l’article 3 de la CESDH.
Nos prisons sont nos hontes, autant que celles de la République. Le désengorgement des prisons devient une urgence républicaine à laquelle elle semble n’avoir, pourtant, que peu d’égards. C’est à ce titre que l’on ne peut, ni entendre, ni comprendre, les mesures prises et annoncées par l’ordonnance du 25 mars 2020.
♦ Biographie de Jocelyn Ziegler
Jocelyn Ziegler est depuis janvier 2018 inscrit à l’école de formation du barreau des avocats de Paris. Il réalise son stage en droit public des affaires dans un cabinet d’avocats parisien.
Nous avons rencontré Jocelyn alors qu’il était étudiant à l’université de Perpignan. Inscrit en droit de 2011 à 2016, Jocelyn Ziegler a présidé l’association des juristes de Perpignan (2015 à 2016). Il s’est brillamment qualifié pour la finale du concours d’éloquence en 2016. Les éditions Presses universitaires de Perpignan ont publié son mémoire intitulé « Cyberdémocratie et démocratie participative ».
Depuis janvier 2018 il est le vice président de la clinique juridique de l’école des avocats de Paris. Il est également responsable de la rubrique du droit administratif pour la revue Le Petit juriste, et collabore au blog spécialisé Habeas Corpus Blog.
- Casa de la Generalitat a Perpinyà : Jornada d’estudiants “Global Studies” de la Universitat de Girona - 7 décembre 2024
- Le tourisme des Pyrénées-Orientales face à la montée des températures - 19 novembre 2024
- La création transforme les imaginaires au 32e festival Aujourd’hui Musiques - 24 octobre 2024