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À Perpignan, Chérifa sait lire le tissu comme personne

Article mis à jour le 19 mars 2024 à 14:08

Cette Franco-algérienne de 65 ans ne sait peut-être ni lire, ni écrire, mais sa persévérance avec un fil et une aiguille lui a permis de dévoiler son talent de couturière. Témoignage.

L’arrivée du printemps se fait sentir à Perpignan. Au Moyen-Vernet, quelques promeneurs profitent du temps clément. Si une ambiance estivale règne entre les immeubles du quartier Saint-Christophe, c’est dans la pénombre que Chérifa nous reçoit. Chez elle, les rideaux sont tirés. L’intérieur est épuré, mais des détails orientaux se glissent ici et là. Aujourd’hui, pas d’atelier couture prévu pour la Franco-algérienne de 65 ans, et pourtant, dans son salon, celle qui lui a tout appris lui fait face. Myriam, retraitée, anime tous les mardis et vendredis des ateliers couture à Perpignan, où elle retrouve avec plaisir Chérifa, aiguilles à la main.

Sous ses doigts agiles, le tissu prend vie

Originaire d’Algérie, Chérifa découvre la couture dès son plus jeune âge. Issue d’une famille modeste, elle a le sens de la débrouille. Les jeux d’enfants se transforment en leçon pratique de créativité. Les rayons d’une roue de vélo abandonnée ou les plumes de la dinde de Noël terminent entre les mains de Chérifa. Ce sont, pour elles, des aiguilles. Elle façonne ainsi des bouts de tissus issus de vêtements oubliés dans les armoires.

Si Chérifa ne sait ni lire, ni écrire, ni même compter, la couture ne lui a jamais fait peur. Pour elle, pas besoin de patron ou de calcul compliqué pour réussir l’habit. Avec ses mains, elle mesure minutieusement chaque partie du corps pour obtenir les mensurations idéales. « Une vraie styliste ! », nous glisse Myriam. Sur le canapé, les deux femmes se regardent affectueusement. Il faut dire qu’elles se côtoient depuis longtemps. « Cela fait 20 ans que je connais Myriam. C’est elle qui m’a tout appris », lance Chérifa depuis son fauteuil noir.

Notre hôtesse peut passer des heures à regarder Myriam coudre. Un apprentissage par l’observation. En scrutant les moindres faits et gestes de son mentor, Chérifa retient tout. Myriam est impressionnée. « J’ai des personnes qui sont à mon atelier depuis longtemps et qui n’ont pas la même facilité que Chérifa », avoue l’animatrice. Si Chérifa peine à associer les lettres entre elles, elle sait lire le tissu comme personne. Ses doigts deviennent ses outils de mesure et son esprit une encyclopédie de motifs et de textures.

« Le problème d’aujourd’hui c’est l’absence de partage »

Face à nous, Chérifa montre fièrement ses œuvres. Du long gilet coloré, à un ensemble chaud pour bébé, l’autodidacte travaille même la dentelle. Elle compare son travail à une recette de cuisine improvisée. Avec peu de moyens, mais une technique maîtrisée, la couturière hors pair confectionne des habits chauds pour les plus démunis. Il lui est même arrivé de crocheter pour les prématurés de l’hôpital Saint-Jean. Et sa famille n’est pas en reste. En plus d’avoir la chance d’être vêtus par Chérifa, ses enfants et petits-enfants peuvent apprendre auprès de « la meilleure ».

Questionnée sur la transmission de son savoir, la Franco-algérienne répond d’un air malicieux. « Tu sais, moi, je voulais d’abord que mes enfants travaillent bien à l’école ». Amusée, elle se remémore l’arrivée des bulletins de notes à la maison. « Quand je recevais les carnets de notes, je les prenais en face de moi avec mes enfants à côté. Je voulais toujours leur faire comprendre l’importance de l’école. Mais à peine je commençais à parler qu’ils me glissaient à l’oreille « Maman, tu tiens le bulletin à l’envers ». » Si Chérifa n’a pas eu la même chance que ses enfants, elle avoue avec humilité qu’ils ont dorénavant une situation.

Dans un monde où la technologie domine, Chérifa se montre désolée du manque de transmission entre générations. « Moi, je ne suis pas éternelle, je trouve ça important de faire passer entre les générations les savoirs. Le problème d’aujourd’hui c’est l’absence de partage ». Sur YouTube, les vidéos « tutos » affluent. Pourtant, c’est parfois auprès de son entourage qu’on tire les meilleures leçons.

*L’image d’illustration a été réalisée dans le cadre d’un atelier de couture, animé par Myriam, aux 2 Rives.

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Alix Wilkie