Article mis à jour le 17 octobre 2025 à 10:24
Après l’apparition de trois foyers de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) dans les Pyrénées-Orientales, les éleveurs vaccinent en urgence leurs animaux. Tous redoutent une contamination de leur troupeau, qui serait synonyme d’abattage. Entretien avec l’un d’eux.
Installé sur les hauteurs de Prats-de-Mollo, dans le Haut-Vallespir, Pierre Gebel de Gebhardt exploite un Gaec avec sa compagne, Marion Lanau. Alors qu’il était en pleine vaccination de ses animaux, l’éleveur a répondu à Made in Perpignan.
Plusieurs cas de DNC ont été découverts dans le département, quel est le climat au sein du monde agricole local ?
Il est lourd. Très lourd. En fait, on ne comprend pas pourquoi l’abattage de tout le troupeau est systématique en cas de contamination d’un animal, alors que la mortalité et la morbidité ne sont pas colossales (10 à 30%). Ça ne se propage pas à l’homme, ni à la viande, ni au lait… Ce qu’on sait, c’est que la DNC est une maladie classée au niveau européen dans la catégorie A. Ça veut dire que les lois européennes ordonnent un abattage obligatoire en cas de contamination. Comme c’est européen, on a tous la même obligation.
NDLR : La dermatose nodulaire contagieuse est transmise principalement via des insectes piqueurs qui véhiculent le virus d’un animal à un autre. La maladie est classée en catégorie A dans la réglementation sanitaire européenne. Ce qui impose des mesures d’éradication immédiate dès qu’un foyer est identifié. Le but de l’abattage total est de tarir la source virale, c’est-à-dire éliminer tout réservoir viral potentiel, pour éviter la propagation vers d’autres élevages. En maintenant le virus dans des troupeaux infectés, on risque de perdre le statut “indemne” du pays, ce qui peut entraîner des restrictions commerciales, des interdictions d’exportation et des pertes économiques pour toute la filière. Cette stratégie est complétée par d’autres mesures comme la vaccination des animaux autour du foyer et le contrôle des mouvements de bétail.
Ce risque d’abattage, comment on l’appréhende ?
Jusqu’à peu, on relativisait. On se disait qu’on était dans un rayon de 50 km par rapport aux foyers détectés en Espagne. 50 km c’est quand même assez loin, ce n’est pas à nos portes. Mais cette semaine, on a appris qu’il y avait désormais trois cas dans les PO. Du coup, ce n’est plus pareil. On peut le dire : c’est chaud ! Certains commencent à s’enflammer contre les autorités et contre des lois à la c** faites par des types en cravate. Il faut savoir que pour certains éleveurs, constituer un troupeau représente minimum 20 ans de travail. La sélection et l’amélioration génétique d’un troupeau, ça ne s’acquiert pas en 5 ans ! C’est un travail long et minutieux. Donc potentiellement, 20 ou 30 ans de travail disparaîtraient. En abattant leur troupeau, on leur enlève tout à ces éleveurs-là !
Vous avez vacciné ce jeudi, comment ça se passe ?
La vaccination vise à immuniser les troupeaux. Les frais de vaccination et les déplacements vétérinaires sont pris en charge par l’Etat. Concrètement, il faut rassembler tous les animaux (vaches, veaux et taureaux) et les vacciner via une injection. Une fois vaccinés, il faut attendre 21 jours, c’est le délai d’immunisation. On va croiser les doigts pendant ce temps-là. J’essaye de ne pas me mettre ni de stress ni d’angoisse… Tant que ce délai n’est pas passé, le troupeau est en sursis. Si un cas apparaît, c’est l’abattage total. Les autorités sont dans le dialogue mais elles n’ont pas toutes les réponses. La Direction départementale de la protection des populations (DDPP) nous l’a dit en réunion : « s’il y a abattage, il y aura compensation, mais à ce stade, nous sommes incapables de vous dire comment ça va fonctionner ».
Les arrêtés préfectoraux interdisent également les mouvements de troupeaux. D’habitude, à ce moment de l’année, les vaches redescendent des estives où elles pâturent l’été. Aujourd’hui, vos bêtes sont donc bloquées en montagne ?
C’est là tout le paradoxe des décisions qui sont prises : les mouvements de troupeaux sont interdits mais ça amène un double problème. D’abord, il faut savoir qu’à cette saison, il n’y a plus beaucoup d’herbe en montagne, il va commencer à faire froid et d’un jour à l’autre il peut y avoir les premières neiges. Donc que va-t-il se passer ? Les vaches vont redescendre ! Ici on fait les transhumances à pied. Les vaches connaissent le chemin. Si elles ne sont plus heureuses là-haut, c’est simple : elles vont décider de redescendre.
Ensuite, le deuxième problème est logistique : vacciner en montagne est assez compliqué. Les estives sont organisées en groupements pastoraux (GP) : plusieurs éleveurs se partagent un pan de montagne. Nous, sur le GP, on est 5 éleveurs pour 300 animaux. On a des vaches allaitantes, c’est-à-dire des vaches avec leurs veaux. Celles-là ne sont pas aussi dociles que des laitières. Les approcher et les manipuler est plus compliqué. Pour les vacciner, il faut donc passer par un « parc » (sorte d’enclos en entonnoir permettant de bloquer temporairement un animal pour travailler en sécurité, NDLR). Or des parcs pouvant contenir 300 animaux, ça n’existe pas ici.
C’est presque kafkaïen…
On a fait remonter tout ça et le préfet a demandé une dérogation au ministère de l’Agriculture. Mais on nous a dit que tant que la dérogation n’était pas validée, on devait suivre l’arrêté et les vaches rester en haut. Donc on a remis un coup de pression et on a finalement appris que les autorités acceptaient que dans certains cas, là où c’était impossible de vacciner, les éleveurs descendent sur leurs établissements pour une vaccination sur la ferme. Ça concerne uniquement les éleveurs de la commune qui ont GP sur la commune. Par contre, les autres sont bloqués, oui. La situation est donc très tendue mais on voit que les différentes institutions essayent de s’adapter au maximum aux contraintes des éleveurs.
Dermatose nodulaire contagieuse : un arrêté préfectoral encadre la riposte
Pris le 16 octobre, un arrêté préfectoral fixe les mesures à appliquer en cas de foyer de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) dans les Pyrénées-Orientales. Dès la suspicion d’un cas, l’élevage concerné est placé sous surveillance, avec interdiction de tout mouvement d’animaux et mise en œuvre de désinfections strictes. Si la maladie est confirmée, le préfet ordonne l’abattage du troupeau et établit une zone de protection de 20 km et une zone de surveillance de 50 km autour du foyer. La vaccination devient obligatoire pour tous les bovins de ces zones, et les déplacements d’animaux sont interdits pendant au moins 28 jours. Tout manquement aux règles (déclaration, vaccination, nettoyage) peut réduire le montant de l’indemnisation versée aux éleveurs.
Dans un communiqué publié le 16 octobre au soir, le ministère de l’Agriculture indique que les trois foyers de contamination se situent dans les communes de La Bastide, Oms et Valmanya. Le ministère annonce que les troupeaux concernés, qui totalisent une centaine d’animaux, vont être abattus à partir de ce vendredi 17 octobre.
Made In Perpignan est un média local, sans publicité, appartenant à ses journalistes. Chaque jour, nous enquêtons, vérifions et racontons les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales.
Cette information locale a un coût. Et pour qu’elle reste accessible à toutes et tous, sans barrière ni influence, nous avons besoin de votre soutien. Faire un don, c’est permettre à une presse libre de continuer à exister, ici, sur notre territoire.
- Crise sanitaire bovine : « On a peur que nos troupeaux soient abattus ! » - 16 octobre 2025
- Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales : les agriculteurs enfin indemnisés - 14 octobre 2025
- Augmentation de la mortalité infantile, effondrement des PMI, aide sociale en danger : 29 organisations dénoncent l’absence d’un ministère de l’Enfance - 13 octobre 2025