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De l’abolition de la peine de mort au parrainage du Mémorial du camp de Rivesaltes, Robert Badinter entre au Panthéon

De la fin de la peine de mort au parrainage du Mémorial du camp de Rivesaltes, Robert Badinter entre au panthéon

Son mot préféré était « justice », celui qu’il détestait le plus était « racisme ». L’homme qui a mis fin à la peine de mort en 1981 a voué sa vie à la justice. Ce 9 octobre 2025, la France a rendu hommage à Robert Badinter en le faisant entrer au Panthéon. Dans le même temps, le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales organisait une table ronde pour comprendre l’héritage laissé dans la société par l’ancien garde des Sceaux décédé en 2024.

Dans la salle Guy Malé du conseil départemental à Perpignan, la soirée débute par un temps de lecture par Laurent Stoecker, sociétaire de la Comédie Française de textes choisis de Robert Badinter. Le comédien est revenu sur le discours prononcé le 17 septembre 1981 devant l’Assemblée nationale pour l’abolition de la peine de mort. Laurent Stoecker a aussi lu plusieurs passages du texte prononcé au Mémorial de Rivesaltes, en 2008.

La présidente du département Hermeline Malherbe a ouvert le débat sur « l’héritage de Robert Badinter dans la République française ». Sur l’estrade, à l’invitation du Département et du Mémorial du camp de Rivesaltes représenté par sa directrice Céline Sala-Pons, des représentants de la justice, de l’éducation, du corps préfectoral ou d’associations (SOS Racisme ou Centre LGBT+66) ont débattu avec le public venu nombreux.

La cuillère du camp de Rivesaltes et celle du camp d’Auschwitz, « dernier rempart de la dignité humaine » pour Robert Badinter 

Pour Céline Sala-Pons, Robert Badinter était « la conscience fondatrice du Mémorial du camp de Rivesaltes ». La directrice du lieu de mémoire précise : « Robert Badinter a été le parrain du projet de création du Mémorial, un rôle essentiel. Son soutien moral et intellectuel a permis de donner au projet une légitimité nationale. Il avait compris très tôt que l’histoire du camp de Rivesaltes était à la fois singulière et universelle, qu’elle parlait du XXe siècle tout entier. Il s’y est rendu à plusieurs reprises, avec une attention rare, une vraie exigence éthique. Pour lui, ce lieu devait être un espace de transmission, non de simple commémoration. »

Celle qui débuta sa carrière dans l’enseignement revient sur ce présent singulier à l’attention de Robert Badinter, dont le père est mort dans le camp d’extermination nazi de Sobibor. « Sur son bureau à Paris, il gardait une cuillère tordue venue du camp de Rivesaltes. Un objet fragile, sans valeur apparente, mais chargé de sens. Pour lui, elle représentait la dignité d’un être humain, au-delà des chiffres et des récits collectifs. Cette attention à la trace concrète, à la vie singulière, rejoint ce que nous essayons de faire ici : redonner un visage à la mémoire. »

« L’abolition de la peine de mort, c’est la victoire de l’humanité »

Avant d’être le premier garde des Sceaux de François Mitterand en 1981, Robert Badinter plaidait dans les prétoires. Parmi les détenus qu’il a défendus, Roger Bontems, co-accusé du meurtre de deux personnes lors d’une prise d’otage en prison. Malgré sa défense, Roger Bontems fut reconnu coupable de meurtre et guillotiné en 1972, en présence de son avocat. Une séquence qui marqua l’homme de loi et dont il fit le récit dans un livre publié en 1973 et intitulé « L’exécution ».

HOMMAGE A ROBERT BADINTER

Cinq ans plus tard, il défendra Patrick Henry accusé du meurtre d’un enfant de sept ans. Au jury populaire, Robert Badinter rappelle « le bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux ». Reconnu coupable de meurtre, Patrick Henry échappera à l’échafaud et écopera de la réclusion criminelle à perpétuité. Ces deux combats en tant qu’avocat ont nourri sa conviction profonde, celle que la justice ne doit pas tuer. Et malgré une opinion publique défavorable, le garde des sceaux défendra l’abolition de la peine de mort devant l’Assemblée nationale.

Après un discours habité, Robert Badinter obtient que 363 députés, contre 117, votent en faveur de l’abolition de la peine de mort. À la tribune du Palais du Luxembourg, il déclare : « demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. »

HOMMAGE A ROBERT BADINTER

Quelques années plus tard, le chef de la Gestapo lyonnaise en 1943, Klaus Barbie est condamné pour 17 crimes contre l’humanité. Il est notamment reconnu coupable d’avoir ordonné la rafle de la rue Sainte-Catherine en 1943. 86 juifs, dont le père de Robert Badinter, sont internés au camp de Drancy avant d’être envoyés au camp de la mort. Après la condamnation à perpétuité de Klaus Barbie, Robert Badinter aurait pu douter de son combat qui évita la guillotine au « boucher de Lyon », mais non. Il confiera « l’abolition de la peine de mort, c’est la victoire de l’humanité.

Laïcité, dépénalisation de l’homosexualité ou condition de vie des détenus, les autres combats de Robert Badinter

Quel héritage de Robert Badinter pour Christine Wallon-Campos, bâtonnière des Pyrénées-Orientales ? Elle se souvient de la jeune étudiante en droit qui en 1981 vit comme un soulagement l’abolition de la peine de mort. Pour la future avocate, l’idée de défendre une personne qui risquait la guillotine était très lourde. Quant à la directrice académique de l’éducation nationale des Pyrénées-Orientales, Anne-Laure Arino se souvient des mots prononcés par l’ancien avocat lors du décès de Samuel Paty.

Ce professeur d’histoire-géographie a été assassiné en 2020 après avoir diffusé auprès de ses élèves de 4e des caricatures de Charlie Hebdo. Robert Badinter avait rendu hommage à ce « héros de la laïcité » et rappelé que « la laïcité dans notre République, c’est d’abord l’expression de notre liberté car la laïcité permet à chacun de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune, selon sa conviction. »

Le président du Centre LGBT+66, Guy Gaultier, est revenu sur la dépénalisation de l’homosexualité en France. Le garde des Sceaux de François Mitterrand fut l’artisan de la loi abrogeant le délit d’homosexualité en 1982. Une dépénalisation qui fit à l’époque du jeune Guy « un homme libre ». La sous-préfète représentante de la DILCRAH, Nathalie Vitrat, a quant à elle rappelé le rôle de Robert Badinter dans la lutte contre toutes les discriminations. « Aujourd’hui, la délégation interministérielle poursuit dans cette voie ».

Robert Badinter a également œuvré pour la condition de vie des détenus. Pour évoquer ce combat, Marie-José Ferez, représentante du Défenseur des droits est revenue sur sa mission. Si les personnes incarcérées sont privées de leur liberté, elles doivent conserver l’accès à leurs droits. Chaque semaine, Marie-José Ferez assure une permanence en centre pénitentiaire et déplore les conditions d’incarcération, notamment la surpopulation carcérale à Perpignan.

Parce que c’était le mot que Robert Badinter détestait le plus, Philippe Kerauffret, responsable de SOS Racisme 66, a également rappelé que le « racisme » doit se combattre au quotidien et qu’il ne faut jamais baisser les armes face à la montée de toutes les discriminations.

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