fbpx
Aller au contenu

Aux origines de la sardane longue, une danse… révolutionnaire !

Aux origines de la sardane longue, une danse… révolutionnaire !

Article mis à jour le 5 mai 2024 à 08:57

Quand est née la sardane longue, que l’on peut voir danser en cercle par des hommes et des femmes sur les places de village de toute la Catalogne ? Si certains ont voulu la faire remonter à l’Antiquité, un récent documentaire rappelle qu’elle a été inventée par les mouvements fédéralistes espagnols au milieu XIXème siècle, lui redonnant ainsi toute sa dimension politique et subversive.

Chaque été, c’est le même rituel. Sur les places des villages du pays catalan, des hommes et femmes se tiennent la main, et dansent en rythme dans une ronde codifiée, au son des cobles traditionnelles. La sardane est une part importante de l’identité catalane. Les touristes de passage repartent alors avec une image folklorique de cette danse, comme une tradition millénaire conservée et chérie par ceux et celles qui la pratiquent.

Le dernier documentaire de Jordi Vidal « Nous dansons sur un volcan ! », vient mettre à mal cette vision fantasmée d’une danse purement esthétique.

Présenté il y a quelques semaines à l‘Institut Jean Vigo à Perpignan, il met en scène l’enquête de la musicologue Anna Costal qui s’applique à redonner ses lettres de noblesse révolutionnaire à la sardane longue. Inventée par Pep Ventura, elle trouve ses origines dans la période du Sexennat Démocratique, la première république espagnole, qui s’ouvre après la Gloriosa, révolution qui détrône Isabelle II en 1868 et se termine avec la restauration bourbonienne en 1874.

« Dans l’esprit, la sardane longue est héritée des farandoles révolutionnaires françaises », explique Jordi Vidal, le réalisateur du film.

« Elle naît pour s’opposer au contrepas, à la sardane courte. Le contrepas, c’est la danse des églises qu’on voit encore à Prats-de-Mollo. Ce sont exclusivement des hommes riches qui la dansent, et ce n’est pas une ronde pour ne pas montrer ses fesses à l’autel. » Le contrepas n’est donc pas une danse du peuple à l’inverse de la sardane longue.

« C’est tout d’un coup le peuple qui est capable de compter et partager. C’est l’occupation physique des places des villages et des villes. Et ce sont des dizaines de milliers de personnes qui à Barcelone et ailleurs envahissent un territoire. Il y a donc un vrai danger révolutionnaire dans la sardane pour le pouvoir en place ».

À gauche : affiche du film « Nous dansons sur un volcan ! ». À droite : représentation de Pep Ventura.

Après le retour de la monarchie au pouvoir, cette danse va peu à peu être vidée de son caractère politique.

« Dès 1883, il y a un historien, José Pella y Forgas, qui explique que la sardane a toujours existé, qu’elle a 2000 ans d’âge et est héritée des Grecs. C’est le début d’un travail de révisionnisme historique. Dire que la sardane a existé depuis toujours, ça évite de dire qu’elle a été créée dans une période d’agitation révolutionnaire », conclut Jordi Vidal.

L’argument d’une sardane ancestrale est notamment repris par le mouvement nationaliste conservateur catalan. Cette période de l’Histoire, courte mais riche en expérimentations démocratiques, tombe rapidement dans l’oubli. Le documentariste juge qu’elle est encore à l’heure actuelle trop peu enseignée dans les écoles espagnoles.


Son film s’applique ainsi à replacer les origines de la sardane dans la tradition du mouvement anarcho-fédéraliste.

« Mouvement qui a été très important pour l’éducation populaire, avec la création de dizaines de milliers d’écoles. On a beaucoup à apprendre à travers l’histoire de la sardane de ces fédéralistes qui avaient une vision du monde très humaniste », souligne Jordi Vidal. Il poursuit : « Une sorte d’omerta est en train de sauter. Je suis d’une tradition libertaire, mais Anna la musicologue est plutôt d’une tradition nationaliste et elle ne supportait pas qu’on mente et qu’on falsifie l’histoire de la sardane. Elle a passé 15 ans à défendre l’histoire de cette danse. C’était aussi important pour moi, vu mon histoire familiale. Je suis fils et petits d’anarchosyndicalistes espagnols, et j’avais du mal à comprendre pourquoi ils aimaient tant la sardane. Il faut revenir à un enseignement de l’histoire ».

À la grande surprise du réalisateur, le film a été bien accueilli dans les milieux catalanistes du sud, et a même reçu le prix audiovisuel attribué par la Confederacio sardanista de Catalunya / Capital de la Sardana.

« Là où il y a eu des réactions hostiles, c’est en France, des milieux nationalistes et sardanistes de Catalogne nord. On voit ce qui sépare les deux Catalognes. En Catalogne sud, on est Catalan par la culture et par la langue, ce n’est pas le cas dans le nord où on est Catalan par le sang. » Le réalisateur appelle de ses vœux un renouvellement de la pensée catalane, vers plus d’humanisme et d’ouverture vers l’extérieur.

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances

Alice Fabre