Article mis à jour le 26 août 2024 à 15:25
Il y a trois ans, à Latour-de-France dans les Pyrénées-Orientales, Carmen Etcheverry et Martin Ballot ont repris le Domaine Etxe de Cécilia Etcheverry. Indépendants, diplômés ingénieurs agronomes, les deux jeunes trentenaires prônent une culture de la vigne en pleine adéquation avec son environnement.
Face à la sécheresse Carmen et Martin misent, entre-autres, sur la diversification et la complémentarité de cultures. Surtout, les deux vignerons réfléchissent leurs quelque cinq hectares et demi de parcelles avec des techniques naturelles, loin des schémas classiques. C’est un tout, un esprit, comme il l’aime à le dire. La rédaction de Made in Perpignan a voulu partager une petite journée de travail chez le couple. Récit. Toutes les photos sont au crédit de Idhir BAHA.
Il est dix heures sur les terres en hauteur du village de Latour-de-France. Le printemps est bien là, tout comme le soleil.
La vue est dégagée, le silence apaisant. Les deux vignerons sont sur l’une de leur précieuse parcelle. Pioche à la main, ils procèdent à « un travail d’orfèvrerie, sur des vignes qui ont une soixante d’année » – commente Carmen, sourire au visage, et en rappelant que c’étaient les vignes de sa maman.
La parcelle est pentue. Le vieux pick-up – cadeau du papa apiculteur de Martin – s’est forgé un joli charme vintage au fil des décennies de loyaux services. Il est garé en haut, avec tout le matériel, et le sac de victuaille. Justement, le couple s’apprêtait à respecter la pause du matin. Nous sommes encore en mars, et les vingt degrés sont déjà dépassés. L’été s’annonce critique, en températures et en disponibilité d’eau.
Carmen et Martin le savent bien. Ils ont déjà chaud. Il faut dire que leur matinée est physique et chronophage : une par une, la base des vignes est nettoyée. Mais au Domaine Etxe, on n’utilise jamais d’herbicides, ni de pesticides d’ailleurs. On mise entièrement sur un doux aménagement de la nature et une bonne cohabitation entre ses acteurs.
C’est à la pioche et à la main que les vignerons déracinent des mauvaises herbes, concurrentes, et trop proches de la racine de la vigne.
Sur la plateforme du pick-up, le café rempli nos gobelets. Ils en profitent pour expliquer les bienfaits de la mission actuelle : « Ce travail de pioche a beaucoup d’avantages. Bien sûr, on enlève les plantes concurrentes en eau pour la vigne. Mais en travaillant la terre, on la remue, et on lui crée un petit trou autour d’elle et qui permettra, en cas de pluie, de retenir l’eau. On en profite pour vérifier la bonne santé globale. On y trouve des insectes, dans la terre, et sur les vignes. La terre n’est pas compacte, mais plutôt aérée. C’est important et ce sont de bons signes : elle respire grâce à la présence des insectes, elle est vivante à tous les sens du terme. L’eau peut s’y stocker, et la biodiversité est en équilibre. »
Cet équilibre est l’objectif. Pourtant, à première vue, on peut se demander pourquoi une parcelle de vignes contient de l’herbe ; et alors que nous sommes habitués à voir des rangées dites bien propres, de cultures conventionnelles sur plusieurs dizaines d’hectares. Preuve en est : la parcelle travaillée ce matin-là au Domaine Etxe surplomb celle d’un voisin aux techniques conventionnelles. Le contraste visuel est fort.
Carmen et Martin se remettent à bichonner leur grenache noir. La présence d’araignées et de chenilles poilues lance le sujet.
La première est le prédateur de la seconde, nocive pour les pieds de vignes. Le printemps est la période critique ; mais les vignerons comptent aussi sur l’appétit des oiseaux, et surtout des chauves-souris, pour réduire le nombre de chenilles. Les araignées y passeront aussi. Ou de l’équilibre, encore une fois, de la biodiversité en cohabitation avec la culture.
Pour attirer les chauves-souris, rien de mieux que la végétalisation des parcelles, selon les ingénieurs agronomes : « Elles se déplacent au radar. Donc si elles n’ont pas de point de repère vertical sur une large zone, elles ne s’y aventureront pas, au risque de se perdre. Mais la vigne n’est pas assez haute. Il faut donc des arbres en bordure de parcelles, pour ne pas qu’ils soient en compétition hydrique avec la vigne, et pour ne pas lui faire d’ombre. »
Et question arbres, au Domaine Etxe, on ne manque pas d’inspiration ; sous le joug de plusieurs contraintes. Notamment celle de la sécheresse. « On aimerait cultiver en petite quantité des amandiers et des pistachiers. Ce sont des fruitiers peu consommateurs d’eau. Et planter en bord de parcelle des chênes par exemple. Si tout le monde se diversifiait, on serait tous gagnants dans la société. Économiquement parlant aussi ! »
En parlant de diversification, Carmen et Martin nous montrent l’une de leurs expérimentations : des rangs de céréales, de légumineuses et de crucifères entre les vignes.
Entre une rangée sur deux de vignes, on trouve de l’orge et autres céréales qui seront maltées par Nicolas Gasnier à Bellesta, et pour faire leurs propres bières les années prochaines. Sur l’autre rangée, des légumineuses et des crucifères. « Les légumineuses et les crucifères fonctionnent comme de l’engrais vert, explique Carmen. Tout cela est de la biomasse. Elles ont aussi le luxe de structurer la terre. On fait de la cuisine de semences » ; en rigole-t-elle. Et elles ne se font pas concurrence, d’après Carmen, puisque leur calendrier n’est pas le même que celui de la vigne.
Au Domaine Etxe, Carmen et Martin restent très alertes de la situation hydrique, et de sa gestion par les pouvoirs publics et autres organismes. Mais l’état d’esprit est à la recherche de solutions et non à la lamentation.
« On vient de racheter des vignes qui se meurent après avoir été abandonnées. Cette année, on y a passé beaucoup de temps à les retravailler et à les tailler. Si elles ne repartent pas d’ici deux ou trois ans, on sera obligés de les arracher. Et on y plantera peut-être un cépage traditionnel catalan, et qui résiste bien plus à la sécheresse que les classiques carignan, grenache ou syrah : c’est le lledoner pelut. On en parle beaucoup avec les vignerons. D’ailleurs, pour en avoir, il y a une rupture de trois ans chez les pépiniéristes. Oui, on a appris à réfléchir avec le temps agricole : on compte en années. On ne dit pas ça seulement par rapport aux ruptures de stock, mais c’est surtout le rythme de la pousse et de la nature. »
C’est midi passé et le couple décide que c’est l’heure de manger. Martin prend la tarte cuisinée la veille. Et Carmen apporte une bouteille d’une certaine « infusion pétillante ».
On s’assoit au coin d’un de leurs petits casots. La vue sur Latour-de-France en contrebas est superbe. On en vient à la discussion du label bio et de son cahier des charges. Le Domaine Etxe le possède, tout en s’en libérant beaucoup au fil des années et des expériences.
Plus ça va, et plus le couple est hors cahier des charges, sans faire entorse au règlement. Car ils en sont persuadés : « Tout ce qui est bio n’est pas forcément adéquat pour la nature et la culture. On a repris des parcelles cultivées très longtemps en bio, et qui aujourd’hui, ne sont pas saines du tout. Des insecticides et pesticides bio restent des produits artificiels et très chimiques. Il y a des solutions plus raisonnées qui existent. » Membre pilier du collectif de la Bande de la Tour, le Domaine Etxe s’inscrit dans cette école de pensées du naturel et de l’indépendance.
On ouvre leur bouteille de « Pacotille » qu’ils développent depuis deux ans. Un marc de grenache infusé et fermenté, qui se situe entre le cidre léger et le vin mousseux très fruité. Une découverte géniale, hyper rafraîchissante et qui fera des adeptes aux apéros d’été.
Réhydratés et en début de digestion, les vignerons partagent un petit bilan de leurs trois années d’installation en indépendants.
Un quotidien semé d’imprévus et d’embûches ; la pandémie et la guerre en Ukraine n’ayant absolument pas aidé. Mais ce qui soulage, c’est l’entraide et le partage d’informations. Que ce soit pour trouver de l’engrais naturel de volailles, ou pour pallier la pénurie de bouteilles en verre.
À ce dernier sujet, « l’année 2022 a été très compliquée : nos commandes de palettes de bouteilles n’ont pas été respectées. C’était un grand stress. Naturellement pour la vente de notre produit, notre travail de l’année 2021. Mais aussi en termes de timing, parce qu’on devait vider nos cuves pour recevoir la vendange 2022 et qui a été prête plus tôt que prévu avec les conditions climatiques qu’on a eues. Heureusement, on a pu compter sur le soutien des copains de la Bande qui nous en ont prêté. Face à la pénurie de verre de bouteille, aux yeux des fournisseurs et intermédiaires, on passe en dernier puisqu’on fait de petites quantités face aux grosses coopératives. »
La Bande de la Tour c’est aussi une synergie de partage de savoirs techniques et commerciaux. Et au quotidien, c’est aussi une Coopérative d’Utilisation de Matériels Agricoles. Des vignerons qui se regroupent pour bénéficier de la force collective, tout en gardant les touches personnelles et respectives d’indépendants. Un bon moyen de répondre à des situations comme la pénurie de bouteilles ou des commandes groupées. En soi, c’est l’ancêtre de la cave coopérative, sans aller jusqu’au regroupement total. La Bande de la Tour organise régulièrement des évènements et autres portes ouvertes au village de Latour-de-France.
Depuis quelques années, les paroles du monde agricole qui prônent les bienfaits de la multiplication des domaines de petites tailles se développent ; sur le plan environnemental, qualitatif et économique.
Les premiers bourgeons inspectés et triés, et les dernières tailles de la saison effectuées, le travail sur les parcelles se termine pour Carmen et Martin qui redescendent au village. Mais leur journée n’est pour autant pas finie : il est 17 heures, Martin va répondre à des nécessités de logistique, quand Carmen à celles administratives. Les deux jeunes se donnent les moyens sans perdre le nord des réalités climatiques et économiques : « Il y a beaucoup de paris dans notre métier. Autant sur le plan de la culture que du marché. »