Entre montée du climato-scepticisme et prise de conscience écologique, les éducateurs et éducatrices à l’environnement se retrouvent souvent en première ligne face à des publics aux discours anxieux ou virulents. Comment gèrent-ils ces sentiments parfois contradictoires ?
Éco-anxiété ou solastalgie ?
Le sujet de Clara Philippe, ce sur quoi elle intervenait auprès des enfants de 3 à 11 ans dans les Pyrénées-Orientales, c’était la maîtrise de l’énergie. « L’idée était de faire le lien entre l’utilisation des énergies fossiles et le réchauffement climatique. Dans notre démarche pédagogique, on avait une partie qui informe et une partie tournée vers les solutions, et il fallait que ça vienne d’eux. » Et même à cet âge-là, l’angoisse de la dégradation de notre environnement pouvait être présente : « Chez les petits, il pouvait y avoir cette idée que le soleil pourrait bientôt exploser. Tu sens qu’ils mélangeaient plein de choses différentes mais on pouvait désamorcer des peurs infondées scientifiquement. On essayait d’avoir un ton pas trop alarmiste. »
L’éducatrice à l’environnement ne décèle pas d’éco-anxiété à proprement parler chez les enfants qu’elle a rencontrés. Par éco-anxiété, comprendre une certaine inquiétude ressentie du fait de l’état actuel de la planète, des sentiments mêlés allant de la tristesse à la culpabilité, selon Charline Schmerber, psychothérapeute basée à Montpellier et spécialisée dans l’éco-anxiété. Un terme à opposer à une autre notion qui se répand aussi de plus en plus : la solastalgie, une « souffrance ressentie du fait de la perte de son habitat. » Si l’éco-anxiété touche à une crainte de l’avenir, la solastalgie est plutôt une nostalgie de ce qui a été, d’un passé révolu.
Clara explique ressentir souvent de l’anxiété lié à l’actualité environnementale, une émotion qui se manifeste de façon très concrète : « au début ça va être plutôt des petites angoisses en lisant des informations, ou en voyant des images sur la montée des eaux dans certains pays, ça va être un pic de stress. Après, si jamais je ne fais pas de choses entre-temps pour relativiser ça peut aller jusqu’à une forme de paralysie, l’impression que c’est perdu d’avance. » Les ateliers qu’elle donnait aux enfants l’aidaient « à mieux le vivre, parce qu’on en parlait beaucoup avec les enfants, et de leur point de vue, j’avais l’impression que c’était constructif ce que je faisais. On parle beaucoup des solutions. Il y avait quelque chose d’encourageant à voir comme ils se sentent concernés. »
Plutôt qu’eco-anxiété, Charline Schmerber préfère parler «d’éco-émotions»
La praticienne s’explique : «Dans une enquête de 2019, on a demandé en 35 questions à 1200 personnes ce qu’elles ressentaient en dehors de l’anxiété à propos de la dégradation environnementale. 175 termes différents ont été utilisés, 114 dans des ressentis plutôt désagréables, 61 plutôt positifs. La plupart des gens ressentent plusieurs émotions, sentiments, affects. Je me souviens de cet éducateur qui disait qu’il ne se sentait pas abattu, mais plutôt avec l’envie de faire bouger les choses. » Pour la psychothérapeute, les choses ne sont pas linéaires. « Il y a une oscillation, avec d’un côté un état d’abattement avec une incapacité à se projeter vers l’avenir, et de l’autre un état de mieux-être, avec une projection vers l’avenir. »
D’autant plus que les éducateurs à l’environnement doivent composer avec des publics très différents, des enfants aux adultes, qui peuvent aussi projeter leurs ressentis et être sur la défensive. « Chez les intervenants, ça peut être difficile de ne pas avoir toutes les réponses, ou d’être face à des gens qui disent que vous ne faites pas assez. » Charline Schmerber aide les personnes concernées à traverser ces différents ressentis parfois contradictoires et à travailler sur la « résilience émotionnelle ». Elle est d’ailleurs intervenue l’année dernière lors d’un séminaire organisé par Tram66, le réseau catalan des associations éducatrices à l’environnement qui mène une réflexion approfondie sur la question de ces « éco-émotions », pour ne pas laisser les intervenants impuissants.
Pour mieux traverser ces ressentis, Charline Schmerber insiste sur les bénéfices du partage entre pairs, comme des cercles de parole ou les éducateurs peuvent échanger sur leurs difficultés, et ainsi se sentir moins seuls. « Je n’ai pas de solutions face au changement climatique. Mais je sais que des espaces pour parler de ces sujets permettent de ne pas rester seuls. »
De son côté, Clara a appris à prendre soin d’elle quand elle se sentait trop submergée par l’actualité environnementale. « Parfois, je sens que j’ai besoin de couper des réseaux et des infos, et dans ces cas–là je fais une cure pour me re-stabiliser un peu mentalement et me ressentir d’attaque pour y retourner. » Et la jeune femme n’a rien perdu de sa motivation, puisqu’elle entame cette année une formation pour intervenir auprès d’un public adulte.