Article mis à jour le 23 mars 2024 à 23:21
Ce 12 décembre 2023 était une date à marquer d’une pierre blanche ou plutôt d’un galet. L’ensemble des acteurs qui œuvrent dans le territoire du Parc naturel marin du golfe du lion étaient réunis à Port-vendres. Objectif de ce grand raout ? Présenter à la presse cette nouvelle filière destinée à recycler les filets de pêche, des kilomètres de maille jusque-là enfouis dans nos sols comme déchets non valorisables.
Un bac de filet de pêche permet de créer 3.000 paires de lunettes
Devant le bac de collecte positionné non loin de son bateau, Manu Martinez, pêcheur portvendrais, manipule les filets usagés pour expliciter le process.
«Certains filets ont une durée de vie de deux ans. Pour la dorade ou le merlan, on change tous les ans de filets. On peut vite se retrouver avec cinq kilomètres de filets sur les bras. Il y a plus de 20 ans, les filets n’étaient pas un produit consommable, les pêcheurs les réparaient lors de la saison d’hiver.» Désormais, les rotations ont changé et les pêcheurs travaillent toute l’année ; ils n’ont plus le temps de réparer leurs filets.
«Il nous fallait trouver une solution, parce que parfois on les donnait à la déchetterie, mais ça bloquait les machines ; sinon on en faisait des montagnes sans savoir quoi en faire.» Avant la création de la filière, le gestionnaire du port, la CCI stockait les filets usagés. À ce jour les filets de chalutiers, non encore recyclables, sont encore pris en charge par la CCI et stockés sur place.
Quel chemin entre le filet de pêche et la branche de lunette ?
Plusieurs acteurs sont nécessaires pour collecter, reconditionner, transporter, fondre et finalement fabriquer les lunettes de soleil ou le bracelet de montre. Tout débute avec le pêcheur qui doit changer son filet parce que trop abîmé. Chaque année, ce sont ainsi trois tonnes de filet qu’il faut traiter.
Désormais et grâce à Fil&Fab, entreprise bretonne pionnière en la matière, le recyclage de ces filets est possible et même rentable. Prenons un exemple avec Manu. Quand il décide qu’il est temps de changer ses filets, Manu désarme son filet et le dépose dans la caisse positionnée sur le quai de Port-Vendres.
La recyclerie d’Elne entre ensuite en jeu et récupère les filets pour les reconditionner. Il faut les déplier entièrement et les replier pour qu’ils aient une forme de boudin ou de pelote. Pour cette étape, et dans le cadre de son action de réinsertion, la recyclerie d’Elne a dû recruter plusieurs personnes et emploie aujourd’hui 35 salariés. La recyclerie est aussi en charge de trier les filets qui pourraient servir à des projets artistiques par exemple. C’est ensuite l’entreprise Glokis qui va gérer la logistique et limiter au maximum l’emprunte carbone de cette nouvelle filière 100% française. Il faut regrouper et acheminer les pelotes des sept ports du Parc marin qui participent à l’opération. Comme Manu, 45 pêcheurs d’Occitanie vont pouvoir ainsi recycler leurs filets.
Destination la Bretagne pour le filet de Manu et ses collègues pêcheurs
Les boudins de filets usagés sont désormais en route vers Brest. C’est là que l’entreprise Fil&Fab entre en jeu. Théo Desprez, son président, était présent ce 14 décembre à Port-Vendres. Une certaine émotion pour celui qui a imaginé cette filière dès ses années en école de design. «En voyant défiler tous ces filets sur les quais de Brest, je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose.»
Les filets sont fondus en petits granulés de nylon qui seront transformés en produit de longue vie par le client final. Parmi les acheteurs de l’entreprise bretonne, un horloger suisse, un fabricant de manches de couteau ou un lunetier. L’absence de lavage des filets, interdit pour le moment, le réemploi de cette matière pour l’habillement. Mais selon Théo Desprez, des recherches sont en cours pour pallier cette difficulté.
Depuis sa création, l’entreprise a déjà recyclé 30 tonnes de filets. Et en 2024, Fil&Fab va monter en puissance en produisant entre 150 et 200 tonnes de granulés.
«À la base, c’était un projet d’études créé en société en 2019. Au départ, nous visions plutôt le monde du design, mais on s’est rendu compte qu’il y avait un gisement très important en France. Les engins de pêche produisent 1.200 tonnes par an, et les petits métiers 800. Et ce n’est pas en fabriquant des meubles, qu’on allait réussir à faire quelque chose. Et puis nous voulions avoir un vrai impact car la problématique du filet de pêche est sur tout le littoral français. C’est aussi un moyen de valoriser la pêche côtière et durable.»
L’aboutissement d’un projet imaginé dès 2020
Autour de Serge Pallarés, président de la fédération française des ports de plaisance, l’ensemble des acteurs qui ont pris part à la création de la filière de recyclage étaient présents. De l’État, avec le représentant de la DDTM*, à la région Occitanie, en passant par la CCI, gestionnaire du port de Port-Vendres, et les représentants du Parc marin, ils affichaient tous le sourire voyant enfin ce projet imaginé en 2020 prendre forme. Un projet lancé avec le soutien WWF France et qui avait pour objectif d’apporter un appui à la pêche artisanale.
«Cette filière s’inscrit pleinement dans les objectifs du parc qui œuvre avec l’ensemble des acteurs du territoire pour un développement durable. Ce projet est à la croisée des chemins entre les acteurs que sont les pêcheurs, les gestionnaires de ports, les industriels et le monde associatif. Et trouver la meilleure manière de valoriser ces déchets des activités maritimes.»
DDTM, Direction départementale des territoires et de la mer.
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