Article mis à jour le 10 août 2024 à 08:23
29 février 2020. Une marée humaine déferle sur Perpignan pour acclamer son leader à la tribune. Ils sont plus de 100.000 Catalans du sud massés au Parc des Sports – et des milliers encore dans les bus et les voitures – quand Carles Puigdemont prend la parole ce samedi matin là.
Un an après, nous avons demandé à Nicolas Salvado, un des fondateurs du média francophone basé à Barcelone Equinox, de nous décrypter la situation de l’indépendantisme et d’évoquer le « cas Puigdemont« .
♦ Quelle est la situation politique de Carles Puigdemont après les dernières élections en Catalogne ?
Il y a eu une grosse remise en cause politique avec la pandémie. Malgré un léger regain d’intérêt pour les dernières élections du 14 février, l’indépendantisme n’est plus du tout la priorité des gens. Concernant Carles Puigdemont et son parti Junts per Catalunya (NDLR Ensemble pour la Catalogne), ils ont perdu. Ils sont arrivés 3e ; derrière les socialistes et la gauche indépendantiste Esquerra (ERC1). Pour la première fois, le parti de Carles Puigdemont ne pourra pas prétendre former un gouvernement. Et ce ne sera pas, non plus, un proche de Puigdemont qui sera à la tête de la Generalitat.
Cette fois, entre les deux partis indépendantistes, Esquerra et celui de Puigdemont, c’est Esquerra qui aura la présidence. Ces derniers veulent faire une grande union politique avec l’extrême gauche de la CUP2 pour que Junts per Catalunya ait le moins de poids politique possible.
Pour Puigdemont, considéré comme l’héritier d’Arthur Mas3 et de Jordi Pujol4, c’est un tournant. Le parti Convergencia i Unió était aux manettes de manière ininterrompue depuis 1981. Cela ouvre une crise dans l’indépendantisme catalan.
♦ Comment expliquez-vous ce recul du parti de Puigdemont ?
Puigdemont a tenté de prendre le contrôle sur PDeCAT5. Mais cette tentative a déplu, et des membres du parti de l’ancien président Artur Mas ont décidé de se présenter aux élections. Ils ont recueilli près de 3% des voix ; les voix qui ont manqué au parti de Puigdemont pour arriver en tête. La défaite est venue de cette dissidence au sein même de son mouvement.
♦ « Carles Puigdemont incarne l’indépendantisme catalan à l’international »
Carles Puigdemont n’a jamais rassemblé 100% de l’électorat indépendantiste. En 2017, après la déclaration d’indépendance, il obtient 20,5% et Esquerra 19,8%. Cette division au sein du camp indépendantisme est ancienne ; même si Carles Puigdemont incarne l’indépendantisme catalan à l’international. En dehors de la Catalogne, personne ne connaît Oriol Jonqueras [NDLR Président de ERC]. D’ailleurs, personne ne fait la différence entre les différents partis indépendantistes.
Aujourd’hui, Carles Puigdemont représente la figure internationale de l’indépendantisme catalan ; mais en Catalogne, ils sont divisés. Son mouvement a convaincu 20% de l’électorat, à quasi-égalité avec Esquerra, 8% pour la gauche de la gauche de CUP et 2% pour les membres de l’ancien parti de Artur Mas. Au total, cela représente un peu plus de 50%, et donc la majorité.
La justice espagnole a demandé la levée de l’immunité parlementaire du député européen Carles Puigdemont. L’objectif est de tenter de le faire extrader vers l’Espagne et de le juger. Mais, même si l’immunité est levée – on a déjà vu à plusieurs reprises – la justice belge refuse son extradition [NDLR Carles Puigdemont vit en Belgique]. C’est un fantasme de tous les partis de droite et d’extrême droite espagnols ; mais je ne vois pas Carles Puigdemont revenir en Espagne pour se faire juger par la justice.
Par contre, la levée de son immunité va servir à relancer le récit de la victime. On sait bien qu’il ne peut pas y avoir d’indépendance de la Catalogne à court ou à moyen terme. Mais l’image internationale d’homme politique persécuté par l’Espagne s’auto-alimente.
♦ Quelles sont les différences entre les 2 grosses formations qui prônent l’indépendance de la Catalogne ?
Junts per Catalunya vient d’une tradition plus libérale et centriste que Esquerra. Mais aujourd’hui, on a quand même du mal à voir la différence entre Esquerra et Junts sur le volet idéologique. Ces derniers courent sans arrêt après Esquerra pour dire qu’ils sont plus à gauche. Laura Borras (députée Junts per Catalunya) a quand même déclaré « être plus gauche que le candidat socialiste ».
Non, aujourd’hui, la différence se joue pour savoir qui négocie avec Madrid. Jusque-là, c’était Convergencia puis Junts per Catalunya qui dialoguaient avec Madrid ; Esquerra était plutôt dans une logique belliqueuse vis-à-vis du gouvernement. Désormais, c’est Esquerra qui dialogue avec Madrid et Junts qui tente de maintenir ce qu’on appelle ici « l’esprit du 1er octobre » ; un esprit de rébellion, de révolution contre le gouvernement espagnol.
Depuis 20 ans, c’est surtout une lutte des hommes, et une lutte des appareils entre les deux mouvements pour prendre le pouvoir.
♦ « Au-delà de l’agitation médiatique, l’indépendantisme catalan est en pause »
On connaîtra la formation du parlement avant le 12 mars, et la Generalitat début avril. C’est là qu’on verra réellement les jeux et la répartition des pouvoirs. Mais ce qu’on peut d’ores et déjà dire que rien n’a vraiment changé depuis le meeting géant de 2020. Tous les partis sont d’accord pour dire qu’il n’y aura pas de référendum sur l’indépendance catalane, ni de déclaration d’indépendance durant cette législature.
♦ La crise sanitaire a-t-elle eu un effet sur l’indépendantisme ?
Oui, d’une certaine façon. Esquerra est à la tête de tous les ministères catalans en charge de la pandémie, le ministre du Travail, de l’éducation, la santé. Ils ont donc été très mis en avant dans la lutte contre le Covid.
Malgré une volonté politique du gouvernement catalan de protéger la santé plutôt que l’économie. Les mesures sont ici plus strictes qu’ailleurs, le taux d’incidence à Barcelone est plus élevé qu’à Madrid. Depuis le début, la Catalogne est une région « martyre » du covid. Nous sommes l’une des régions les plus touchées d’Europe. Pour découvrir les restrictions en cours en Catalogne, nous vous encourageons à lire le guide pratique Equinox.
Nicolas Salvado est natif de Marseille et a grandi à Perpignan. Après avoir travaillé pour NRJ et Radio France, il fonde avec Aurélie Chamerois le média Equinox Radio à Barcelone.
♦ Notes
- ERC – Esquerra Républicana de Catalalunya, est un parti de gauche catalan favorable à l’indépendance de la Région. ERC est souvent nommé Esquerra.
- CUP : La Candidatura d’Unitat Popular est un parti politique indépendantiste catalan classé entre la gauche et l’extrême gauche.
- Artur Mas fut président de la la Generalitat de Catalogne de 2010 à 2016. Il organisa en 2013 une votation sur l’indépendance en Catalogne. Depuis 2017, son parti politique est sous le coup d’une enquête pour corruption et détournements de fonds.
- Jordi Pujol fut le président de 1980 à 2003. En 2014, cette figure de l’indépendantisme catalan, reconnait avoir fraudé le fisc. Plusieurs enquêtes ont mis en lumière plus de 100M€ de rétro-commissions perçues sur des travaux publics en Catalogne.
- Partit Demòcrata Europeu Català est un parti politique catalan libéral et favorable à l’indépendance de la Catalogne. Il est considéré comme le successeur du parti Convergencia i unió.
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