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Intelligence artificielle à France Travail : et si des robots répondaient aux demandeurs d’emploi ?

Article mis à jour le 18 août 2025 à 10:31

[Série « L’IA dans tous ses états », épisode 1] Comment l’intelligence artificielle bouscule-t-elle nos vies ? Nous entamons cette série d’articles par une plongée dans les coulisses de France Travail à Perpignan. Au national, l’organisme se veut précurseur parmi les services publics dans son utilisation de l’IA.

Si nombre de start-ups françaises surfent sur la vague de l’intelligence artificielle, le monde des services publics est un paquebot plus difficile à manœuvrer. Côté France Travail, la direction s’efforce de prendre de l’avance. L’intelligence artificielle est déjà entre les mains des conseillers.

« Nous avons commencé à entendre parler de l’IA il y a quelques mois » explique Jérémy*, conseiller dans une agence France Travail de Perpignan. « Nous ne savions pas encore ce que ça allait donner. »

Dans le service de Jérémy, les explications sur les prochains usages de l’IA restent floues. « On reçoit des mails de ‘l’académie France Travail’ pour des formations internes, souvent en e-learning. » Parmi ces formations, des modules dédiés à l’intelligence artificielle. « Pour le moment ce sont surtout des généralités. J’en suis à quelques leçons. »

Dès septembre 2025, le « script d’orientation » sera réalisé par intelligence artificielle. Il s’agit du tout premier contact avec le demandeur d’emploi, avant même le rendez-vous en agence. Actuellement menée par des conseillers par téléphone, cette prise d’information reviendra à un formulaire en ligne d’ici quelques semaines et sera gérée par intelligence artificielle.

Des conseillers répondent aux mails avec Chat FT, une IA conversationnelle pour France-Travail

France Travail a déjà mis en place, pour les conseillers, un agent de type Chat GPT interne appelé « Chat FT » et basé sur la solution française Mistral. Selon Jérémy, plusieurs de ses collègues s’en servent allègrement, en particulier pour répondre aux mails. « Chat FT va formuler une réponse un peu plus douce que nous. Mais c’est à nous de revenir sur le message pour le compléter. » Or Jérémy remarque que tous les conseillers ne se donnent pas cette peine, même quand le robot ne répond pas exactement à la question du demandeur.

« Je l’ai utilisé un peu pour ma part, mais en fin de compte j’aime répondre avec mes mots. Je pense que ça déshumanise. »

Il y aurait récemment eu un différend entre un demandeur et un conseiller à ce sujet. Le demandeur avait obtenu un copié-collé d’IA qui répondait mal à ses questions sur la VAE***, et la partie copiée n’avait pas la même police de caractères que la formule de politesse. « L’usage de l’IA était flagrant » confie Jérémy. « Le demandeur s’est énervé. Pour utiliser l’IA, il faut un humain avant, mais aussi un humain après. »

L’assistant digital participe au contrôle des demandeurs

Pour autant, Jérémy n’est pas opposé à cette nouvelle technologie, tant qu’elle est correctement utilisée. Le gain de temps est évident. Jérémy évoque la quantité croissante de dossiers depuis l’intégration des bénéficiaires du RSA aux demandeurs. Ce qu’il appelle son « portefeuille » s’est alourdi de plus d’une centaine de personnes par rapport à l’année dernière, pour atteindre entre 400 et 600 demandeurs. Pour rappel, notre département compte plus de 62 000 demandeurs d’emploi.

« Nous sommes débordés. Il ne faut pas que ce soit l’IA qui intervienne uniquement, mais elle peut aider. »

Des « assistants digitaux », pas exactement qualifiés d’intelligence artificielle, sont également employés au niveau régional pour le contrôle aléatoire des demandeurs, notamment pour s’assurer qu’ils réalisent bien leurs recherches d’emploi. Cet outil vient armer une politique plus stricte depuis la loi pour le plein-emploi de janvier 2025. C’est néanmoins un humain qui décide d’une éventuelle sanction finale. Quelque 600 conseillers en chair et en os travaillent sur le contrôle dans la région.

« Les gens avaient l’habitude d’un système plus laxiste du temps l’ANPE** » explique le conseiller. « Notamment sur les fameuses sanctions qui suivent trois non-réponses à une offre. Aujourd’hui, ces sanctions sont vraiment appliquées. » L’algorithme aiderait notamment à repérer les recherches des demandeurs hors de la plateforme France Travail, de type candidatures spontanées.

Une charte éthique pour garder de la relation humaine

« On a investi le sujet de l’intelligence artificielle depuis une dizaine d’années » commente Anne Danycan, directrice de France Travail pour les Pyrénées-Orientales. « Cela fait partie de l’évolution et de la transformation de la société. »

La directrice tient à rassurer sur le lien humain qui sera maintenu. « Dès 2022 nous avons mis en place une charte éthique, et je crois que nous avons été les premiers en Europe, au niveau des services publics, à le faire. L’idée est de travailler pour que l’humain reste au centre. » Après la charte, un pôle éthique a été mis en place, lui-même adossé à un comité consultatif éthique, avec des profils variés : universitaires, administrateurs, juristes… « Ils sont consultés tous les trois mois. On a aussi un comité interne sur l’usage de l’intelligence artificielle avec des organisations syndicales. »

Pour la directrice, un des points de vigilance est la protection des données. Les informations nominatives ne doivent pas transiter par l’IA. Anne Danycan explique qu’au-delà des pratiques internes, il s’agira aussi d’informer les usagers sur les changements provoqués par l’IA dans leurs vies professionnelles.

Le train de l’intelligence artificielle à France Travail ne s’arrête pas à ces mesures. De nouveaux usages sont en expérimentation dans les régions Pays de la Loire et Centre Val-de-Loire, avant un déploiement généralisé fin 2025.

Avec « Match FT », le robot échangera par SMS avec le demandeur pour réaliser des présélections

« Ça s’appelle Match FT, je l’ai vu fonctionner, on nous l’a présenté, et c’est assez bluffant » se réjouit Anne Danycan. Ce nouvel assistant virtuel doit simplifier la présélection des candidats. Un robot va envoyer des questions par SMS au demandeur et en fonction des réponses va l’intégrer ou non à un vivier d’une vingtaine de candidats que le conseiller pourra mettre en relation avec tel ou tel employeur. Le tout évitera au conseiller d’appeler lui-même, un par un, les demandeurs d’emploi pour s’assurer de leur disponibilité, leur mobilité etc.

« Dans l’expérimentation, il y avait 19 minutes pour le temps de réponse au premier SMS. On gagne en rapidité. On avait des candidats qui étaient contents parce qu’en moins de six heures leurs candidatures étaient transmises à l’employeur. »

Enfin France Travail se dotera aussi de « Chat FT Ecoute ». Avec l’accord du demandeur, cette intelligence sera activée pendant l’entretien en agence, devenant une troisième entité en plus du demandeur et du conseiller. Au fil de la discussion, elle pourra fournir des préconisations, et elle synthétisera l’échange à l’issue.

Selon Anne Danycan, tout ce temps gagné ne devrait pas impacter l’emploi interne à France Travail mais permettre aux conseillers de débarrasser de tâches rébarbatives et dégager du temps de conseil. « Dans le questionnaire, 73 % de nos agents pensent que l’IA a un impact positif sur leurs activités. L’IA nourrit les fantasmes, mais l’humain doit toujours rester au centre et le fait qu’il y ait une charte éthique est une garantie. »

*Prénom d’emprunt
**ANPE : Agence Nationale Pour l’Emploi, devenue Pôle Emploi puis France Travail
*** VAE : Validation des Acquis de l’Expérience

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