Arrivée à Perpignan il y a 5 ans, Anne-Marie*, 39 ans a dû arrêter sa formation d’assistante sociale. Aujourd’hui bénévole au sein d’une association, elle jongle entre un quotidien précaire et l’aide qu’elle apporte aux personnes dans le besoin qui toquent à sa porte.
Le portrait d’Anne-Marie s’inscrit dans une série réalisée avec le soutien du ministère chargé de la ville. Made In Perpignan a voulu montrer les « visages de la précarité en pays catalan », la réalité humaine qui se cache derrière les statistiques de la pauvreté ; des trajectoires de vie, des accidents de parcours, des héritages sociaux et des luttes silencieuses…
La lumière blanche du bureau éclaire un mur rempli de post-it, calendriers griffonnés et prospectus. Devant la fenêtre, Anne-Marie* s’affaire au téléphone, qui ne cesse de sonner. Il faut faire une demande de logement, réparer une fuite, appeler la CAF. Elle est bénévole depuis un an au sein d’une association de Perpignan qui loge des personnes en grande précarité. Mais une fois la porte du bureau passée, elle est confrontée à ses propres difficultés financières, ses sacrifices et les appels aux associations pour nourrir convenablement sa famille. Elle côtoie la précarité à chaque instant, au travail comme à la maison.
« Pour moi la précarité, c’est le moment où les difficultés financières font partie du quotidien. Quand le budget ne permet plus de se nourrir ou de se loger. T’es limité. T’es bloqué. »
En 2020, Anne-Marie, son mari et son fils de 2 ans quittent le territoire d’Outre-mer où ils sont nés, pour reprendre leurs études. Avec l’espoir d’accéder à une meilleure situation économique. Un sacrifice. Le couple laisse derrière lui trois autres enfants, confiés à leurs grands-parents. « La prise en charge du gouvernement s’arrêtait à un seul enfant, on a donc pris le plus jeune avec nous. » S’ils sont retournés sur leur île au moment de la pandémie de Covid, ils n’ont pas vu leur famille depuis trois ans. L’aller-retour est trop coûteux.
Le choix du bénévolat, malgré la précarité
« Quand on est arrivé à Perpignan, on a payé plein pot notre loyer pendant 6 mois. On ne touchait pas encore la CAF. » L’époux d’Anne-Marie s’inscrit en formation d’ingénieur, elle, entame des études d’assistante sociale. Durant trois ans, ils vivent au moyen des bourses accordées grâce à leur statut d’étudiants. Mais deux ans plus tard, son époux doit se déplacer pour ses études, toujours en cours. Sans solutions de garde pour leur fils, Anne-Marie suspend sa formation, un an avant l’obtention de son diplôme.

Alors qu’elle cherche un emploi à temps partiel, elle tombe sur cette association en recherche de bénévoles. Pas de rémunération mais une possibilité de consolider son dossier pour une validation d’acquis. Et ainsi d’obtenir son diplôme par une autre voie. « Au début, j’étais accompagnante pour les sous-locataires. Petit à petit, j’ai aidé à remplir les dossiers de la CAF. Quand l’assistante sociale salariée est partie, je l’ai remplacée en tant que bénévole. » Depuis un an, cette mère de 39 ans touche le RSA. « J’arrive à joindre les deux bouts. À concilier mon quotidien précaire et mon travail. »
800 euros par mois pour une famille de trois
Anne-Marie vit avec environ 800 euros par mois, hors APL, sachant que 660 euros sont consacrés au logement. Après le paiement des assurances, des transports et des frais de scolarité, la marge de manœuvre est minime. « On a toujours de quoi payer le loyer mais pour le reste…, elle soupire, je me suis inscrite au Restos du Coeur et je sais qu’on aura au moins un colis pour Noël. Je devais aller voir ma famille à Paris et à Mulheim, en Allemagne, pour les fêtes. Ce ne sera pas possible. »
Avec un budget serré, l’imprévu est presque ingérable. « Il y a deux mois, j’ai eu un problème avec EDF. Des grosses factures en retard à cause d’un changement de banque. On a eu besoin de chèques alimentaires pour se nourrir. » Mais dans la tempête des finances malmenées, Anne-Marie garde un cap en tête. « La priorité c’est que mon fils de 7 ans reçoive une bonne éducation. Qu’il puisse avoir des activités à l’extérieur. Il a besoin de se dépenser, de sortir. Grâce à des aides, je peux l’inscrire au karaté. Il va au centre social où il peut se défouler. »
Je me suis dit : « Tu peux aider »
Dans le quotidien d’Anne-Marie, l’association à laquelle elle donne son temps a pris de plus en plus de place, jusqu’à ce qu’elle occupe le rôle d’assistante sociale. « C’est le cœur de la structure, explique-t-elle au milieu des dossiers. Je suis censée être ici quatre demi-journées par semaine, mais je reste toute la journée. Sinon je suis en retard. Et ça ce n’est pas possible. Certains dossiers, si on me les envoie, c’est que les gens sont vraiment dans l’urgence. »
Son activité de bénévole lui procure un sentiment d’accomplissement. « J’aime donner sans attendre. J’accueille les gens et je sais qu’on va trouver une solution. La première fois que j’ai trouvé un logement pour une personne qui dormait dans sa voiture, je me suis dit : ‘tu peux aider’. » Payée ou non, elle veut continuer à travailler ici aussi longtemps que son budget le lui permettra. Si elle fait la distinction entre sa situation et celle des bénéficiaires, considérant « avoir de la chance », leur parcours de vie fait souvent écho au sien.
« Ici je me considère comme professionnelle. Je suis travailleuse sociale. Mais forcément je me retrouve dans les histoires que j’entends. Notamment celle des mamans. J’essaie d’apporter du réconfort parce que je les comprends. »
Son empathie lui offre aussi une place toute particulière au sein de l’association. « C’est notre protégée », clame la présidente Gisèle*, qui admire le travail que réalise Anne-Marie chaque jour. Là où certains bénévoles peuvent parfois se montrer durs envers les bénéficiaires, elle a le sentiment de partager une peine. « Je n’ose pas toujours prendre la parole en réunion mais j’aimerais dire : ‘vous ne savez pas ce que cette personne a traversé. Il y a des traumatismes, des accidents de vie qu’on ne comprend pas.’ »
Entre deux terres : l’avenir incertain d’une famille
Anne-Marie a vu comment un incident pouvait faire basculer l’équilibre d’une famille. Après un incident majeur sur son territoire d’origine, les bourses qui étaient accordées au couple ont baissé. « J’appelais les institutions, ils me disaient d’aller voir les banques alimentaires. On touchait 400 euros de moins par mois. Qu’est-ce qu’on fait avec le peu qu’il reste ? » Forcément, face à des femmes qui fuient la violence ou des familles dans le besoin urgent, elle réagit différemment.
« Avec tout ce qui se passe au pays, on n’a pas vraiment d’avenir », s’inquiète Anne-Marie. Mais le futur de la famille se tourne toujours vers son territoire de naissance. « Je sais que, dès que j’aurai mon diplôme, il y aura du travail pour moi là-bas. » Dans deux ou trois ans s’ils peuvent se le permettre, ils retourneront auprès de leurs enfants qui poursuivent leurs études sur place, avec toujours en tête pour Anne-Marie cette volonté d’accompagner ceux qui sont passés par une précarité semblable à la sienne. « Ce que j’ai appris ici, je pourrais aider à le mettre en place chez moi », lâche-t-elle dans un sourire.
*Les prénoms ont été modifiés.
Les Pyrénées-Orientales font partie des départements français dont le maillage associatif est le plus dense. Chaque année 13,4 associations pour 10 000 habitants sont créées (10,3 en moyenne en France). En 2024, le nombre de bénévoles du département était estimé entre 108 000 et 120 000. Plus d’un emploi associatif sur deux relève du secteur social et s’adresse à des publics fragiles.

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