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« Je m’effondrais » : Une maison de répit pour soulager les aidants invisibles des Pyrénées-Orientales ?

"Je m'effondrais" : Une maison de répit pour soulager les aidants invisibles des Pyrénées-Orientales ?

En ce début juin 2025, nous rencontrons Laurence Sanchez, présidente de « S’unir pour mieux vous soutenir », et Marie-Christine Mach, médecin généraliste à la retraite et membre de l’association. Depuis 2014, ces bénévoles sont formés à l’accompagnement et au soutien des personnes malades et de leurs aidants. Selon la DREES*, 9,3 millions de personnes déclarent apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie en 2021.

« Depuis des années, on associe les soins palliatifs à la mort. Il faut déconstruire cette idée », assure Marie-Christine. Face à des patients en perte d’autonomie et des aidants qui s’épuisent, Laurence constate qu’il manque un maillon sur la chaîne de soutien. Infirmière à l’hôpital de Perpignan, elle décide alors de créer sa propre association pour soutenir les aidants et leurs proches. Aujourd’hui, « S’unir pour mieux vous soutenir » accompagne près de 250 familles dans les Pyrénées-Orientales.

Didier, un aidant invisible parmi des milliers 

Didier se définit comme un aidant invisible. Souriant, rien ne dit ce qu’il a traversé. Mais à mesure qu’il parle, les murs semblent se rapprocher. Il raconte posément, la disparition de sa femme. Marie-Claude, sa compagne depuis plus de quarante ans, était entrée à l’hôpital « debout, le regard plein d’optimisme ». « On avait trouvé un mot pour sa maladie. Il y avait même un plan, un protocole. Le professeur avait promis la guérison », confie-t-il.

Puis la pandémie Covid est venue. L’isolement et la perte de contact. « Marie-Claude est revenue à la maison, muette, couchée, brisée. » Didier est devenu tout à coup un « aidant ». Si ce mot paraît noble, il désigne pour lui une prison silencieuse. Didier contacte les services sociaux, les caisses, à la recherche de soutien. « Mais l’aide officielle se mesure en pourcentages, en dossiers, en critères », dénonce-t-il.

Une infirmière est venue évaluer la dépendance : « En cinq minutes, elle a fait de ma femme un chiffre. Elle ne l’a pas regardé. Elle n’a pas vu qu’elle ne marchait plus. Il a fallu se battre pour modifier cette enquête biaisée. Un gériatre a parlé de « soulager, pas de guérir », puis a glissé une liste d’établissements à contacter. Pas un mot pour elle, ni pour moi. Juste un « bon courage » en partant. » Didier a appris seul, sans formation. Sans relais ni pause, il devait « reconnaître une douleur dans un regard », réagir en pleine nuit. Savoir la laver, l’habiller, la rassurer quand « elle hurlait dans les ténèbres. »

« Ils ont vu ce que les autres ne voyaient pas : que je m’effondrais »

Sans répit, Didier dort peu. Il vit en état d’alerte permanent. «Je vivais sans maladie ou infirmité, donc je pouvais», nuance-t-il. Quand il alerte, on lui répond : « Ce n’est pas prévu. » « Il manque un justificatif. » « Vous n’entrez dans aucune case. » Un jour, une main se tend enfin. « Sans blouse, sans formulaire, sans jargon. » Il rencontre l’association S’unir pour mieux vous soutenir.

«Ils ont vu ce que les autres ne voyaient pas : que je m’effondrais. Que j’étais devenu invisible», souffle-t-il, gêné. Les bénévoles accompagnent alors Marie-Claude avec dignité. « C’est un rempart contre l’abandon. Une présence qui vous sauve quand le système détourne les yeux. »

« Grâce à eux, Marie-Claude est décédée chez elle, entourée, apaisée. Pas seule, pas déplacée, pas abandonnée dans un lit inconnu. » Didier est encore là. Ereinté, mais debout. « Pas grâce au système », souligne-t-il. « Grâce à l’humanité, dans ce qu’elle a de plus simple une écoute, une main, une attention sincère. » Selon Didier, la société pense souvent aux malades. Et c’est heureux. Mais elle oublie ceux qui les soutiennent jusqu’au dernier souffle. «Nous sommes les piliers silencieux. Et si on tombe, il n’y a personne pour nous rattraper», conclut-il.

La maison de répit, un intermédiaire entre le domicile et l’hôpital

En 2025, les Pyrénées-Orientales ne disposent d’aucune unité de soins palliatifs. « Elle devrait se finaliser d’ici 2027, mais cela tarde à venir », déplore Laurence Sanchez, présidente de « S’unir pour mieux vous soutenir », qui a l’idée de créer la première maison de répit du département, pour soulager à la fois les aidants et leur proche malade. « La maison de répit serait un intermédiaire entre le domicile et l’hôpital, qui n’est pas adapté aux besoins de répit », assure Marie-Christine, médecin.

Pendant ces années, Laurence a étudié le comportement des patients en unité de soins palliatifs et leurs souhaits. Son constat est que la plupart d’entre eux ne souhaitent pas rentrer à la maison. « Il me semble nécessaire de leur apporter un palier entre l’hôpital, le centre de soins et le domicile. Quand vous rentrez directement à la maison après avoir fait un séjour en unité de soins palliatifs, vous avez besoin d’un moment pour vous ressourcer. L’unité de soins palliatifs, elle a sa place. Et il faut qu’elle soit créée dans le département. Ce que l’on propose, c’est un substitut de domicile. »

Héberger une personne qui a besoin de soutien, permet d’apporter un répit à l’aidant. « Nous allons cheminer avec eux. Il y a des périodes et des étapes de vie difficiles lorsqu’on est malade. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons créer ce lieu de vie. » Contrairement à l’unité de soins palliatifs, la maison de répit aurait une dimension « de soutien, de présence, d’humilité. » Si aujourd’hui le projet est reconnu par l’Agence régionale de la santé et la région Occitanie, Laurence recherche des co-financeurs, donateurs ou des mécènes pour créer cette maison de répit. « On a besoin d’action et de soutien. »

Des aidants épuisés par la charge de travail

« Pour pallier l’absence d’unité de soins palliatifs, il y a des lits identifiés répartis dans tout le département, dans différents centres de soins. Mais il n’est pas possible d’y faire de longues hospitalisations », nous explique Laurence. « L’aidant est épuisé émotionnellement. Il ne faut pas oublier que son proche souffre et qu’il va probablement décéder de sa maladie. Il y a cette surcharge émotionnelle, puisqu’il doit s’occuper de la maison, des enfants… en plus de son activité professionnelle. » Selon Laurence, 60 % des aidants sont salariés en France.

Souvent, l’aidant est amené à réaliser des surveillances paramédicales, des changes. « La nuit est difficile et elle fait peur, on se préoccupe de la respiration de son proche, de sa douleur. » Au cours de sa carrière de médecin généraliste, Marie-Christine est frappée par les problèmes se manifestant autour de la perte d’autonomie. « L’isolement, la difficulté à se faire aider s’ajoutent aux difficultés économiques… » Les aidants ne s’occupent pas d’eux et s’oublient totalement.

Une loi sur les soins palliatifs adoptée à l’Assemblée Nationale

Fin mai 2025, deux lois ont été votées à l’Assemblée nationale concernant les soins palliatifs. Le texte contient la création de maisons d’accompagnement, offrant une alternative à l’hôpital. La proposition de loi prévoit aussi un plan personnalisé qui devrait être proposé aux patients diagnostiqués d’une maladie grave.

« Il y a une évolution. Nous avons accompagné des gens qui sont décédés dans des situations difficiles et c’est vrai que ça entraîne une frustration », explique Laurence, qui reste prudente. « Ça va très vite sur papier, quand on légifère sur les lois, mais sur le terrain, c’est autre chose. Je suis d’accord pour cette évolution et j’y crois. Là où je suis frustrée, c’est que ça arrive lentement. »

*Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques

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