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Confinement et isolement des personnes âgées – Une seconde vague « psychologique » ?

21/04/2020, Sorèdes, France, EHPAD maison de retraite de Sorèdes dans les Pyrénées-Orientales / Prise en charge médicale des personnes âgées et de la dépendance à l’heure de la crise sanitaire Coronavirus Covid-19 © Arnaud Le Vu / MiP / APM

Article mis à jour le 11 juillet 2023 à 10:35

Le confinement a fait naître chez les personnes seules un sentiment d’isolement. Privées de visites, isolées durant plusieurs semaines, de nombreuses personnes ont souffert du confinement ; et parmi elles, les personnes âgées.

Étiquetées dès le début de l’épidémie comme des personnes vulnérables, ces seniors ont été encore plus touchés par cet isolement. Un rapport des Petits Frères des Pauvres publié en juin qualifie même cet isolement de distanciation sociale.

Passer toute une journée sans parler à personne

Selon le « Rapport Petits Frères des Pauvres Isolement des personnes âgées : les effets du confinement », 26% des plus de 60 ans d’Occitanie ressentent un sentiment de solitude et 16% ont un risque d’isolement relationnel. Cela signifie que ces seniors peuvent passer toute une journée sans parler à personne.

On constate que la précarité accentue l’isolement ; plus les revenus des personnes âgées sont faibles, plus leur sentiment de solitude s’accroît. Pour rompre l’isolement, des seniors ont fait appel à Solitud’écoute, une ligne téléphonique qui existe depuis 2007. Le nombre d’appels a doublé depuis le début du confinement. Les bénévoles ont constaté que les appels étaient plus longs et plus difficiles que d’habitude. Les personnes âgées étaient prises d’angoisse, de panique et de souffrances psychologiques. 

À 84 ans, Pascale confie : « C’est difficile de rester seule confinée. Quand on est seul, c’est difficile, une fois que le ménage est fait, on le refait ! Quand on est à plusieurs dans une maison, c’est plus simple, on peut parler. »

Nous avions déjà évoqué dans un article l’exclusion numérique des seniors. C’est un facteur aggravant de l’isolement. Car si pour beaucoup, le confinement s’est mieux passé grâce aux nouvelles technologies, et notamment aux appels en visio, les personnes de plus de 60 ans n’ont pas tous pu profiter de ces outils numériques pour conserver le lien social. En Occitanie, le taux d’exclusion numérique des plus de 60 ans atteint les 30%. D’autre part, 4,1 millions de Français de 60 ans et plus n’utilisent jamais Internet ; en particulier les plus âgés et les plus modestes. 

Les personnes âgées : un isolement renforcé par la Covid-19 avant, pendant et après le confinement

Dès le 11 mars, dans le but de protéger les aînés, les visites des personnes extérieures ont été suspendues dans les EHPAD. Une semaine après, le 19 mars, les établissements médico-sociaux recevaient des consignes strictes ; mise en place d’un secteur dédié dans l’établissement ou isolement en chambre pour les cas suspects ou confirmés. Certains directeurs d’établissement ont préféré suspendre les activités et la prise de repas collective pour éviter au maximum la transmission du coronavirus entre les résidents.

Pour maintenir le contact avec les résidents à qui elle rend régulièrement visite dans un EHPAD du Grand Est, Laure a eu pour meilleur allié son téléphone. « Les résidents n’ont pas tous le téléphone dans leur chambre. Nous avons envoyé du courrier. Un membre du personnel a eu la gentillesse de me communiquer des numéros pour joindre quatre résidents et la mairie a fourni des tablettes. Ça a tout changé ! Nous pouvons appeler les personnes âgées, nous avons des rendez-vous Skype organisés par l’animatrice. Les résidents sont ravis, étonnés par la technologie. »

Une façon d’oublier cette mise à l’écart. « Nous sommes bien identifiés comme bénévoles d’accompagnement, les relations sont globalement fluides avec l’établissement ; sauf pour les décès de personnes car nous ne sommes pas considérés comme des proches à prévenir même si nous avons donné nos coordonnées dans le dossier de soin. On apprend le décès des personnes que nous accompagnons toujours à retardement. « Vous n’êtes pas la famille, vous n’êtes pas prioritaires », voilà ce qu’on nous dit. »

69% des personnes âgées ont constaté un élan de solidarité envers eux

Le 18 avril, Olivier Véran a annoncé que les visites dans les EHPAD allaient pouvoir reprendre ; sous le contrôle des directeurs d’établissements et en évitant le contact physique. Deux jours après, le ministère de la Solidarité et de la Santé publiait un protocole relatif aux consignes applicables sur le confinement. Il présentait les comportements à adopter pour les établissements médico-sociaux accueillant des personnes âgées. On pouvait y lire « Il est important de permettre et de renforcer, dans la mesure du possible, un maintien du lien social entre les personnes et leurs proches. » 

Au final, ce confinement a engendré une modification des relations sociales ; 32% des Français de 60 ans et plus ont ressenti de la solitude, soit 5,7 millions de personnes. 13 % ont ressenti cette solitude de façon régulière. Ne pas voir ses proches a été le plus dur à supporter pour les seniors. 69% des personnes âgées ont constaté un élan de solidarité envers eux pendant la crise, mais seulement 31% pensent que les Français conserveront cette solidarité après la crise.

Quid des politiques publiques nationales liées au vieillissement et au grand âge ?

Malgré le déconfinement, dans ses diverses allocutions, le Premier Ministre a fortement conseillé aux personnes de 65 ans et plus de rester confinées ; mais aussi de limiter leurs contacts au maximum. Pour lutter contre l’isolement des seniors en cette période, Jérôme Guedj, s’est vu attribuer une mission par le Ministre de la Santé.

Le but est « d’identifier les leviers qui sont aujourd’hui à la main des pouvoirs publics, des acteurs de terrain et de la société civile pour combattre l’isolement des aînés, pour le temps de crise mais aussi pour la période qui suivra et de proposer et de coordonner un dispositif opérationnel de mobilisation. » L’homme politique met l’accent sur la solidarité avec les personnes âgées et isolées.

Outre les gestes simples comme téléphoner régulièrement à ses proches pour prendre des nouvelles, Jérôme Guedj souhaite renforcer l’engagement citoyen et a notamment salué le travail fait par les associations en cette période de confinement. Il s’est également penché sur l’équipement numérique des établissements hébergeant des seniors et a annoncé « permettre à nos aînés, même ceux du Grand Âge, de ne pas être les oubliés du numérique, devra être une des priorités des jours d’après. »

« Les acteurs de proximité, les mairies, les acteurs associatifs, les voisins ont un rôle essentiel à jouer ; mais la lutte contre l’isolement ne peut pas être renvoyée aux seuls acteurs associatifs, ni aux seuls acteurs territoriaux. Cette lutte ne peut plus être un supplément d’âme des politiques publiques nationales liées au vieillissement et au grand âge ; c’est un élément constitutif de ces politiques au même titre que la modernisation des services à domicile, l’évolution des EHPAD, la prévention, l’adaptation des villes au vieillissement. »

Ressentir enfin pourquoi « les vieux  font leurs courses quand il y a plein de monde »

Depuis le déconfinement, les actions des Petits Frères des Pauvres ont pu reprendre ; notamment les visites dans les établissements ou à domicile, le tout en respectant les gestes barrières. Mais avant cela, il a fallu trouver des parades pour rompre l’isolement lié au confinement.

Morgane, une bénévole à Paris témoigne. « Quelques bénévoles se déplacent sous les fenêtres des personnes âges pour aller leur faire un petit coucou, certains font des commandes en ligne de courses. Pour les personnes accompagnées qui ont des portables, on leur envoie des photos. » […] « Nous avons aussi constaté une belle solidarité entre les personnes accompagnées qui s’appellent entre elles. Une personne âgée appelle même une autre personne et lui joue du piano au téléphone ! ».

Le « monde d’après » ? Morgane espère que cette crise engendrera un changement de regard sur les personnes âgées. « Ceux qui reprochaient aux « vieux » de faire leurs courses quand il y a plein de monde, alors qu’elles ont toute la journée pour les faire, vont pouvoir comprendre maintenant ce que sont l’isolement et l’envie de sortir pour voir du monde. Comprendre les personnes âgées qui ont, en plus, mal partout, des difficultés à se déplacer.»

« Les personnes âgées isolées ne demandent pas à aller faire un tour en montgolfière ou aller faire du kayak. Elles demandent surtout de l’attention, de la présence humaine, des échanges. » Elle soulève toutefois un problème déjà évoqué. « Il sera aussi important de former au numérique les personnes âgées qui sont intéressées. Il y a une vraie réflexion à mener : qui va les former ? Comment ? Avec quels moyens ? Le numérique est un vrai plus pour rompre l’isolement physique. C’est très dur de ne pas pouvoir voir un visage familier. »

« L’isolement des personnes âgées en milieu rural, ce n’est pas que pendant le Covid, c’est toute l’année ! »

Le confinement et l’isolement des personnes âgées n’échappent pas à la règle comme le confirme Christian, bénévole à Ambert (63). « Notre accompagnement est devenu téléphonique, avec des appels réguliers. On est très attentifs à ce que nous disent les personnes âgées. Elles sont tristes, elles nous parlent d’emprisonnement, de manque de liberté, de leur sentiment d’être punies, de leur envie de rencontres, de voir un sourire. Et plus le temps passe, plus ça s’amplifie. ».

Il poursuit : « Notre objectif est d’apporter une écoute et du confort par la parole. Nous envoyons aussi des cartes pour maintenir le lien. Pour le 1er mai, nous nous sommes organisés, en respectant bien les gestes barrières, pour aller distribuer un pot de muguet devant le domicile de chaque personne que nous accompagnons. ».

Son témoignage est aussi un « coup de gueule ». « Je trouve dommage que les médias ne parlent pas du confinement en milieu rural, des difficultés que les personnes âgées rencontrent et de ce qu’est l’isolement à la campagne. Il n’y a pas que les grandes villes. J’ai l’impression qu’on est la dernière roue du carrosse. L’isolement, ce n’est pas que pendant le Covid, c’est toute l’année !»

« Ce n’est pas un isolement éphémère. Il perdure depuis des années, on doit le marteler. Les personnes âgées isolées des campagnes sont des oubliées. C’est vraiment un cri d’alerte que je pousse. Je me demande si les gens hauts placés de Paris savent vraiment ce qu’est l’isolement. Je peux leur en présenter des personnes âgées totalement isolées pour qu’ils comprennent. »

Quelles solutions face à cet isolement des personnes âgées ?

Les Petits Frères des Pauvres ont défini plusieurs préconisations concernant l’isolement des personnes âgées ; notamment en ce qui concerne la mise en œuvre d’une politique nationale de compensation sur la perte d’autonomie et sur l’isolement des aînés, sur la valorisation du bénévolat et de l’engagement citoyen ou encore sur la mise en place d’une stratégie en faveur d’un numérique inclusif. Ces idées pour limiter l’isolement de nos aînés seront-elles entendues ?

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Pauline Garnier