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Meeting de Perpignan : Quand les Colombes font le printemps du RN

Que dit la séquence Colombe d'un système électoral à bout de souffle ?

Article mis à jour le 4 juillet 2024 à 22:17

Ce 1er mai, Colombe était présente au meeting du RN, elle était venue écouter Louis Aliot, Marine Le Pen et Jordan Bardella. C’est dans les couloirs du Palais des Congrès de Perpignan que Paul Larrouturou a questionné Colombe pour les réseaux sociaux de TF1. Vue plusieurs millions de fois, la vidéo a entraîné un emballement médiatique et politique ; la polémique autour des Restos du cœur a écrit les épisodes suivants des larmes de Colombe. Crédit photo © Réseaux sociaux TF1.

Au-delà du témoignage poignant de Colombe, que dit cette séquence du paysage politique français ? Échange avec David Giband, maître de conférences à l’université de Perpignan et fin connaisseur de la sociologie des Pyrénées-Orientales.

Perpignan et les Pyrénées-Orientales dans un « angle mort » de la République

Selon David Giband, Colombe « fait partie de ces petites gens que les élites locales, aussi bien politiques qu’économiques, ont abandonnées. » Selon l’enseignant-chercheur de l’université de Perpignan, ces élites ont choisi la rente du soleil, celle qui ne produit pas d’emploi. Un territoire qui aurait aussi été abandonné par l’État. « Ces 50 dernières années, l’État n’a pas été très présent. Et ne s’est pas beaucoup inquiété du sort de ce département. Les Pyrénées-Orientales sont restées aux mains des élites qui n’en ont pas fait grand-chose. Si ce n’est faire perdurer la rente du soleil. »

David Giband revient sur la sociologie du département, où la ville centre Perpignan affiche un taux de pauvreté de 32%. Un territoire qui attire en moyenne 4.000 personnes chaque année. Ce flux de population se divise en trois segments, selon David Giband. Un tiers de précaires, bénéficiaires des minima sociaux ; un tiers de retraités souvent modestes. Car, précise David Giband, les retraités aisés préfèrent la Côte d’Azur. Et enfin le dernier tiers concerne les actifs. Mais qui ne restent pas, faute de trouver un emploi pour leur conjoint.

« La population s’est figée dans un département sans réel développement économique. Une population aux origines géographiques différentes. » David Giband liste les migrations successives, la Retirade, les Andalous, les Pieds-noirs et aujourd’hui des migrations qui viennent du nord de la France.

Selon le chercheur, ce cocktail fait « le lit des populistes ». Et c’est loin d’être une surprise : « Cela fait 20 ans que c’est comme cela. Mais désormais, les électeurs du Rassemblement national n’hésitent plus à le dire », confie-t-il.

On ne dénonce plus « les assistés », mais « le système qui assigne dans l’assistanat »

Pour le chercheur, et même si l’électorat du RN est très composite, le fait que de nombreux bénéficiaires de minima sociaux votent RN est un renversement politique important. Même si aujourd’hui le RN centre sa rhétorique sur le grand remplacement, il n’y a pas si longtemps, ils dénonçaient le poids de l’assistanat, décrypte David Giband. « On a beaucoup dit que les électeurs votaient RN parce qu’il y avait trop d’assistés, d’étrangers. Or là, on voit que ce sont ces petites gens qui votent RN parce qu’ils ne veulent pas être assignés dans l’assistanat. »

Colombe incarne à la fois Jeanne d’Arc et Papy Voise

Si Colombe est une électrice du Front national depuis l’époque de Jean-Marie Le Pen, elle incarne aussi bien Jeanne d’Arc que Papy Voise. Paul Voise fut la victime d’un incendie criminel quelques jours avant l’élection présidentielle de 2002. Celle qui vit, pour la première fois de la Cinquième République, la gauche éliminée dès le premier tour. Les électeurs avaient choisi de qualifier Jean-Marie Le Pen face à Jacques Chirac. Selon plusieurs spécialistes, l’ultra médiatisation du fait divers de Papy Voise avait fait de la sécurité, le thème principal du vote.

Avec Colombe, on ne parle plus de sécurité ou d’immigration, mais des gens modestes. « La situation actuelle réveille la crainte du déclassement social et pas de celle du remplacement ethnique », selon David Giband. Bonne pioche pour le parti d’extrême droite, en effet l’électorat qui peut s’identifier à Colombe est bien plus large. Pour le chercheur, Colombe incarne aussi une figure emblématique, celle de Jeanne d’Arc. Car même déclassée, elle aide les plus pauvres qu’elle. « C’est un symbole très puissant », insiste David Giband.

La gauche a-t-elle abandonné les classes populaires depuis Mitterrand ?

Quelques jours après le raz-de-marée médiatique, Paul Larrouturou est revenu chez Colombe à Perpignan. Si elle ne souhaite pas s’étendre face caméra sur la politique, le journaliste précise qu’elle a le souvenir d’avoir voté François Mitterrand et qu’ensuite elle a voté Jean-Marie Le Pen, puis sa fille, Marine. Selon David Giband, Marine Le Pen offre « une vision, un espoir » à Colombe. Et le chercheur de faire le parallèle avec l’espoir d’un avenir meilleur porté par François Mitterrand dans les années 80.

« Aujourd’hui la gauche a un discours trop construit et éloigné du quotidien de ces personnes. Le discours de la gauche n’est pas audible. Et elle n’est pas assez présente dans ces lotissements, ces petites copropriétés où les gens n’ont qu’un diesel et ne peuvent plus aller en centre-ville avec leur voiture », explicite David Giband. Paul Larrouturou semble aller dans le même sens, expliquant que seuls Marine Le Pen et Louis Aliot ont contacté Colombe au lendemain de sa médiatisation. Le maire de Perpignan l’a même reçue dans son bureau. Un entretien à l’issue duquel il a diffusé une vidéo déclarant que Colombe intégrerait le Centre d’action sociale de Perpignan, dès le mois de juin.

La lettre à une caissière de Perpignan

Déjà en 2016, Nicolas Lebourg, spécialiste des extrêmes droites expliquait le storytelling de ces femmes devenues cibles électorales de Marine Le Pen. Il avait même publié un ouvrage aux éditions Les Échappées. Un recueil de lettres aux différents électorats du Front national de l’époque. L’une de ces lettres était adressée à une caissière de Perpignan, habitante du quartier Vernet, classé prioritaire.

« La gauche ne parle des femmes que pour des questions sociétales. Or, on aime bien se faire peur, mais il n’y a pas aujourd’hui de menace sur la contraception ou l’avortement en France ! Par contre, la social-démocratie ne s’occupe pas du cas de toutes ces femmes à temps partiel, véritable variable d’ajustement du système économique.« 

En 2016, Nicolas Lebourg concluait sa lettre : « dans l’économie politique actuelle, prime est accordée à ceux qui savent donner un sens à votre expérience quotidienne. » Force est de constater qu’en 2024, la séquence de Colombe lui donne raison. La prochaine étape verra-t-elle, le prénom de Colombe sur une liste électorale RN ?

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Maïté Torres