Article mis à jour le 21 juin 2024 à 21:29
Parti dans des circonstances rocambolesques au lendemain de l’échec de la proclamation de la République Catalane, celui qui est pour nombre de Catalans le président légitime de la région catalane publie M’explico ; un ouvrage d’échanges avec le journaliste Xevi Xirgo. Le livre « M’explico » (Je m’explique) paraît ce 23 juillet aux éditions « La Campana ». Quelques extraits ont déjà fuité dans la presse ; notamment « Conversations avec le Roi » ou « Conversations avec Pedro Sanchez ».
Dans ce livre sous forme de journal, dont un tome deux est déjà prévu, Carles Puigdemont se rappelle les moments clés de ce que les Catalans appellent « El procès ». Ce processus devait conduire à une plus grande indépendance en Catalogne ; et s’est traduit au final par une division sans précédent entre Catalans et Espagnols.
Pour l’ancien président de la Catalogne Carles Puigdemont « M’explico » n’est pas un récit blanc, ni conformiste, et qui ne manque pas d’autocritique. C’est le recueil d’une parole, comme une narration presque en direct ».
M’explico de Carles Puigdemont – « Conversations avec le Roi »
Dans les premières feuilles de M’explico révélées par le site « La Républica », Carles Puigdemont évoque sa rencontre avec Felipe VI, roi d’Espagne en février 2016. En déplacement pour l’inauguration du World Mobil Congress de Barcelone, le roi d’Espagne rencontre Carles Puigdemont nouvellement élu par les Catalans.
Carles Puigdemont se souvient du ton du monarque. « Le ton est cordial. Le roi ne fait aucun reproche sur ce qui se vit en Catalogne ». Felipe VI demande même à Carles Puigdemont une rencontre ultérieure pour « parler tranquillement ». Carles Puigdemont rapporte les propos du roi lors du dîner ; « je crois que le temps des propositions est venu ».
Nouvelle rencontre évoquée dans M’explico avec le monarque au Palais des congrès de Barcelone, lors de la célébration du prix littéraire « Planeta ». Lors de cette rencontre, qui selon le président de la Généralitat fut particulièrement longue, Carles Puigdemont fait le choix de ne pas évoquer avec le roi la situation en Catalogne. « Un moyen de savoir si ça l’intéresse. S’il ne dit rien, je ne dirai rien » déclare Carles Puigdemont au journaliste Xevi Xirgo.
C’est donc Felipe VI qui met le sujet sur la table ; rappelant l’intervention de Carles Puigdemont la veille à Madrid sur l’indépendance de la Catalogne. Le Roi revient sur l’absence de personnes du gouvernement lors de cette allocution. Carles Puigdemont rapporte les propos tenus par le souverain :
« Lors des prochaines élections générales espagnoles, il y aura enfin un gouvernement ; et ce dernier doit faire des changements ». « Il faut qu’il y ait un espace de dialogue et de travail où doivent se résoudre les problèmes matériels » ; citant par exemple le financement ou les infrastructures. Même si, concède Felipe VI, « je sais que ce ne sont pas vos revendications ». Le souverain de rajouter : « Pour cela, il sera nécessaire d’ouvrir un second espace de travail où doivent se résoudre les réformes en profondeur du modèle territorial ».
Carles Puigdemont pose alors une condition préalable à l’ouverture de négociations. « Rajoy doit reconnaître ce que j’ai demandé durant la conférence à laquelle vous faites référence. Que la Catalogne est une nation ».
Selon Carles Puigdemont, cet échange avec le Roi Felipe VI durera très longtemps. Et Carles Puigdemont perçoit clairement l’inquiétude du Roi Felipe VI face à la situation catalane et sa volonté de résoudre le conflit.
Retour sur le référendum du 1er octobre 2017
Déclaré illicite par le gouvernement central, le vote est tout de même organisé par le gouvernement de Carles Puigdemont. Il intervient dans un moment où la tension entre le gouvernement catalan et espagnol est à son paroxysme. Relayées par la presse nationale et internationale, les violences policières le matin même du vote à l’encontre des votants font basculer une partie de l’opinion publique en faveur des indépendantistes. L’opinion internationale est prise à témoin de la position du gouvernement de Mariano Rajoy arc-bouté et refusant toute négociation.
Ce référendum est boycotté par les Catalans anti-indépendance. Seulement 42% des votants se sont déplacés donnant une large majorité (90,18%) au Oui à l’indépendance. C’est sur la base de ce vote contesté que Carles Puigdemont déclarera l’indépendance, le 10 octobre 2017 ; avant de la suspendre en vue de négociations avec l’État espagnol.
3 octobre 2017 – Le discours d’un roi
Dans M’explico, Xevi Xirgo cite Carles Puigdemont et son évocation de la conduite à tenir après le référendum. « Si le 1er octobre ne fait pas réagir l’État et qu’il n’y a pas de proposition sérieuse de dialogue, alors nous déclarerons l’indépendance ».
Le 3 octobre, soit 2 jours après le référendum, Carles Puigdemont s’entretient avec la maison royale ; cette dernière lui indique que le Roi va faire une allocution solennelle. Carles Puigdemont fait alors passer un message via le chef de cabinet de la maison royale ; « que ce discours ne soit pas fait seulement basé sur les publications des journalistes espagnols ».
En effet, le récit fait du référendum par la presse espagnole diffère celui fait par la presse internationale. Carles Puigdemont interpelle son interlocuteur : « Tu as lu ce qu’a écrit le New York Times, le Financial Times et tous les autres médias internationaux ? ». Le chef de cabinet de rétorquer : « ça va être très dur, ça ne va pas vous plaire. Ça ne va pas vous plaire, mais vous devez lire entre les lignes ».
Felipe VI dans les traces de son père en 1981 ?
Pour rappel, le 23 février 1981, le lieutenant Téjéro fit irruption aux Cortes. Dans l’enceinte du parlement espagnol, il prit en otage les parlementaires durant une partie de la nuit. Au petit matin, Juan Carlos 1er, père de l’actuel roi, avait pris la parole lors d’une allocation télévisée ; un discours qui avait permis de confirmer que l’armée était toujours du côté de la démocratie. Par son intervention, Juan Carlos mit fin à la tentative de coup d’État ; mais aussi gagné le cœur et le respect de son peuple.
Carles Puigdemont se refuse à regarder le discours de Felipe VI. Il préfère le lire et s’en imprégner « la tête froide ». Après les paroles de Felipe VI, les alliés politiques de Carles Puigdemont continuent de débattre. « Faut-il faire la DUI (Déclaration unilatérale d’indépendance) ; ou devons-nous d’abord faire appel à une médiation internationale ? ».
Un des conseilleurs de Carles Puigdemont s’exclame : « Le discours du roi est un désastre […]. Il n’a fait aucune référence aux violences policières de dimanche, ni aucun appel au dialogue ! Il ne s’est pas limité à dire que la Couronne, l’unité et la permanence de l’Espagne étaient en danger, il a aussi ouvert la porte à l’application de l’article 155 de la Constitution ».
Et effectivement, le gouvernement de Mariano Rajoy met le gouvernement catalan sous tutelle de Madrid au lendemain de la proclamation d’indépendance.
M’explico de Carles Puigdemont et Xevi Xirgo – « Conversations avec Pedro Sanchez »
Le journaliste Xevi Xirgo interviewé par El Punt déclare que « la pression qu’a reçue Carles Puigdemont est inhumaine ». Ce chapitre révèle les conversations avec Pedro Sanchez qui n’était encore à l’époque que le leader socialiste de l’opposition à Mariano Rajoy. Très conservateur et peu enclin à discuter avec les Catalans, ce dernier est accusé par une partie de la communauté internationale et des politiques espagnols d’avoir contribué au pourrissement de la crise catalane.
La première rencontre officielle avec le leader socialiste a lieu le 15 mars 2016 au Palais de la Généralitat de Barcelone.
Selon Carles Puigdemont, « il est clair qu’aujourd’hui Sanchez ne veut pas vraiment parler travail. Il veut plutôt construire un récit. Ce qui l’intéresse, c’est la photographie de l’échange qu’il veut opposer à Rajoy qui ne bouge pas ses pions ». Carles Puigdemont décrit l’échange dans un chapitre :
« Pedro, moi, avant tout, je veux que ce soit clair. Je ne peux accepter, et je te demande que tu ne le fasses plus jamais, ces mots selon lesquels il y aurait un problème de vivre ensemble en Catalogne. Il n’y a aucun probable de vivre ensemble. Et ce que tu fais est très douloureux pour beaucoup de gens, ceux du Non et ceux du Oui. Nous faisons beaucoup d’efforts pour que notre société soit plus conviviale et démocratique, et nous sommes en train d’y parvenir. Selon l’institut de sondage, 80% des Catalans accepteraient le résultat d’un référendum, quelle que soit son issue ; cela est le fait d’une société mature. Tu peux dire qu’il y a des divergences politiques en Catalogne, mais pas un problème de vivre ensemble. Cela, tu ne peux pas le dire et je demande que tu ne le refasses pas ».
Selon Carles Puigdemont, Pedro Sanchez aurait répondu : « C’est vrai, je le reconnais. Je me suis fait la même réflexion. Ne t’en fais pas, il ne sera plus jamais nécessaire de reparler de ce sujet ».
L’échange se poursuit sur une hypothétique réforme de la Constitution espagnole, et sur un nouveau statut pour la région catalane… Carles Puigdemont de rétorquer : « Ici ce que nous voulons, c’est un référendum. Si tu admets la possibilité d’un référendum, nous t’aiderons. Nous pourrons nous entendre ».
Mais sur ce point, Pedro Sanchez diverge. « Si cela se fait, c’est toute l’Espagne qui doit voter ». Carles Puigdemont de répondre : « Nous pourrions accepter que le référendum soit national. Mais de ton côté, tu devrais accepter que le résultat de Catalogne soit contraignant ». Durant cette rencontre, les deux hommes en sont presque à échanger à propos de la date du référendum.
Rencontre entre Carles Puigdemont et Pedro Sanchez du 25 août 2017
Selon Carles Puigdemont, Pedro Sanchez croit fermement à la tenue du référendum du 1er octobre. Il souhaite même, dès le lendemain, la création d’une commission au Congrès pour étudier la situation.
« Il m’assure qu’il contrôle son parti. Que, s’il y a une discussion à propos d’une plurinationalité de l’Espagne, c’est une bataille qu’il tient déjà pour acquise ».
Juridiquement, les choses sont plus complexes. Car, selon Pedro Sanchez, la Constitution ne peut être reformée faute d’un accord avec le Partido Popular (la droite conservatrice) et ses alliés Cuidadanos (centre droit). Néanmoins, le leader socialiste en est persuadé, « il faut faire quelque chose. Pour moi, il est clair que la Catalogne est une nation et qu’elle doit être reconnue comme tel ». Pour Carles Puigdemont, il est trop tard ; le référendum du 1er octobre est déjà en marche et il est trop tard pour s’asseoir et négocier une éventuelle réforme.
cDans ce premier volume, le leader indépendantiste s’explique aussi sur son exil. Le second volume de « M’explico » dévoilera la période 2018/2020 « La reconstruction du retour ».
Aujourd’hui, Pedro Sanchez est président du gouvernement espagnol, Carles Puigdemont est député européen, le Roi Felipe VI tente de sauver sa monarchie en se détachant de celui qui fut Roi émérite, et 9 personnalités catalanes sont toujours en prison reconnues coupables suite à un procès qui a entraîné des affrontements à Barcelone en octobre 2019.
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