Article mis à jour le 27 mai 2024 à 17:34
Depuis cinq ans, Corinne Grillet, fondatrice de l’association Welcome 66 et ses bénévoles viennent en aide aux personnes réfugiées dans les Pyrénées-Orientales. Alors que l’association accueille toujours plus de bénéficiaires, elle pourrait bientôt se retrouver sans toit. Photo © Welcome 66
« Nous sommes à la rue », se désole Corinne Grillet. Cela fait deux ans que l’association Welcome 66 est hébergée au 5 rue des Romarins, dans les locaux du Secours catholique à Perpignan. Aujourd’hui, la structure souhaite mettre fin à ce partenariat. « Ils ont besoin de leurs locaux à temps plein pour développer leur activité. Il y a une réelle urgence à trouver un nouveau lieu pour nous accueillir le plus rapidement possible. » L’association est devenue un réel point d’ancrage pour les demandeurs d’asile, réfugiés et les quelques mineurs non accompagnés qui la fréquentent.
« L’idée, c’est de reconsidérer le réfugié comme un atout pour le territoire »
Le collectif s’est créé fin 2016, suite au démantèlement de la jungle de Calais. Le Conseil départemental s’était positionné pour accueillir 50 jeunes Éthiopiens. « J’avais à l’époque lancé une page Facebook pour demander si des Perpignanais avaient envie de m’aider à faciliter leur intégration », se remémore Corinne. « Des centres géraient déjà l’administratif et l’hébergement, mais l’État n’avait pas considéré comme une urgence le fait que ces personnes aient besoin de rencontrer des citoyens locaux ou d’accéder à la culture et aux loisirs. » En 2018, Corinne décide de lancer l’association Welcome 66 pour « créer des opportunités de rencontres ».
« L’idée est de reconsidérer les réfugiés comme des atouts pour le territoire, car l’opinion publique a plutôt tendance à les considérer comme des fardeaux », avance la fondatrice de Welcome 66. « Sans eux, l’association ne pourrait pas exister, ils apportent énormément ! Certains animent des ateliers, lorsqu’ils veulent devenir bénévoles. Nous avons un excellent professeur de français qui autrefois fréquentait l’association en tant que bénéficiaire. »
Le français n’est enseigné aux personnes exilées qu’après l’obtention de leurs papiers. Une urgence pour Corinne qui propose des cours à tous les bénéficiaires. Alors qu’ils touchent en moyenne 6€80 par jour, les demandeurs d’asile n’accèdent pas non plus à l’emploi, au sport ou à la culture. Au sein de l’association, de nombreuses activités leur sont proposées, afin d’accélérer leur intégration : des ateliers d’informatique, des cours de théâtre, des ateliers cuisine, des ateliers batucada à la Casa Musicale, des sorties culturelles, des sorties à vélo ou encore des randonnées… « L’objectif est de leur faire découvrir le territoire afin qu’ils s’y sentent bien », assure Corinne.
Une association qui favorise l’inclusion sociale à Perpignan
L’association Welcome 66 est financée par la région Occitanie, le Département, et la Fondation de France. « S’il n’y avait pas eu cette aide, nous n’aurions jamais pu poursuivre », explique la fondatrice de l’association qui se dit inquiète pour la suite. « Si on arrête notre activité, toutes ces personnes vont se retrouver isolées et vont errer sans trop savoir quoi faire de leur journée. » Welcome 66 est la seule association des Pyrénées-Orientales à travailler sur l’inclusion sociale. Pourtant, la Mairie semble faire la sourde oreille aux sollicitations de Corinne.
« Le peu que l’on demande c’est de pouvoir réserver un stade de temps en temps et bénéficier du tarif associatif et continuer les cours en piscine, mais nous n’avons jamais de réponses… » Au sujet de la problématique des locaux, Corinne n’a pas souhaité solliciter la Mairie Rassemblement National. Contactée par nos soins, la Ville n’a pas souhaité faire de commentaires. « Il faudrait que l’on trouve un local, ou que nous ayons la possibilité d’en partager un pour continuer à fonctionner. » Un casse-tête bien loin d’être résolu.
Pour Corinne, une intégration réussie passe avant tout par la considération du demandeur d’asile. « À Welcome 66, nous n’avons pas du tout ce regard misérable. Notre but est de mettre la personne à égalité avec nous. Il n’y a pas de rapport hiérarchique, ce qui leur permet de reprendre confiance en elles et de retrouver leur dignité. » Souvent, les bénéficiaires quittent Perpignan. Victimes de racisme, ils ne trouvent pas forcément de travail ou de logement. Et ceux qui n’obtiennent pas de papiers sont, eux, obligés de partir.
Les demandeurs d’asile déposent une demande lorsqu’ils s’estiment en danger dans leur pays. C’est l’Ofpra (l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) qui accorde ou non l’asile de la France. Si la réponse est positive, ils obtiennent leur papier pour une durée de quatre à dix ans. Dans le cas inverse, ils peuvent faire un recours à la CNDA (Cours nationale du droit d’asile) pour apporter de nouvelles preuves à leur dossier.
Chaque année, 350 personnes franchissent le seuil de Welcome 66
Près de 350 personnes franchissent chaque année le seuil de l’association. Si la majorité des bénéficiaires accompagnés sont des hommes âgés de 18 à 30 ans, un dimanche par mois est dédié aux femmes. Myriam est arrivée en France il y a sept mois avec ses deux fils. C’est leur centre d’hébergement qui les a orientés vers Welcome 66. La petite famille a passé sept ans en Turquie avant d’arriver à Perpignan.
« Notre arrivée ici a été très difficile », confie Myriam*, qui a dû fuir l’Afghanistan à cause d’un conflit familial. En attente de son rendez-vous à l’Ofpra, Myriam s’efforce de participer aux ateliers pour femmes. « Elle s’implique dans les ateliers coiffure et cosmétique, aux ateliers cuisine, elle fait des randonnées… », énumère Corinne. « Je fais aussi du yoga », sourit la mère de famille, qui souffre de problèmes de santé liés au stress. « Cela nous a beaucoup aidés de venir à l’association », affirme Ismael*, l’un de ses fils. Le jeune homme, qui a appris le français, fait du théâtre aux côtés des étudiants de l’université de Perpignan. S’il obtient ses papiers, il souhaiterait poursuivre son métier d’électricien.
« Welcome 66 a fait preuve d’humanisme envers moi »
Originaire de Mauritanie, Ahmed* est à Perpignan depuis janvier 2023. « À mon arrivée ici, je n’avais pas d’ami, ni de famille. L’association a fait preuve d’humanisme envers moi et m’a aidé à m’intégrer », explique le jeune homme, qui se rend presque trois fois par semaine à Welcome 66 pour y suivre les cours de français. « Aujourd’hui je suis devenu interprète bénévole », sourit-il. « L’association est devenue ma famille. » La première demande d’asile d’Ahmed a été refusée en avril dernier et d’ici quelques jours, il défendra à nouveau son histoire de vie. « Pour moi c’était un échec, je ne m’attendais pas à cette réponse, je ne sais pas pour quelles raisons ma demande a été rejetée. Pour l’instant, j’ai du mal a imaginer mon avenir, je me concentre sur l’entretien qui m’attend avec le soutien de l’association et celui de mon avocat. »
Issa* a 39 ans et vient du Nigéria. Il est arrivé en France en 2021. « C’est l’association Germa qui l’a redirigée ici », explique Corinne. « Mon père était patron d’une entreprise de transport. La fin de son contrat s’est mal passée, il y a eu des violences, des hommes sont venus chez nous, ils ont menacé et battu ma famille », se remémore douloureusement Issa, qui montre ses cicatrices. « Ils ont tué mon père. Et moi j’ai passé douze jours dans le coma. J’avais peur qu’ils me tuent aussi, donc quand je me suis réveillé, j’ai fui. »
« Le plus difficile en France, c’est de ne pas avoir de travail, ni d’argent »
Issa est passé par le Niger et la Libye, avant de prendre un petit bateau pour traverser la Méditerranée. Le Nigérian a passé quatre ans en Italie. « Il n’y avait pas de travail pour moi, tout ce qu’on pouvait m’offrir c’était de vendre de la drogue, des choses que je ne voulais pas faire », dénonce-t-il. À son arrivée en France, les choses ne sont pas plus faciles. « J’ai vécu dans la rue », lâche Issa. L’exilé est ce qu’on appelle un « dubliné ». Selon le règlement Dublin, dans l’espace Schengen, les demandeurs d’asile doivent faire leur demande dans le pays d’arrivée. Si sa première demande d’asile a été refusée en Italie, Issa a essuyé un nouveau refus en France. Il devrait passer prochainement devant le CNDA, la Cour nationale du droit d’asile.
Aujourd’hui, le Nigérian essaye tant bien que mal de refaire sa vie à Perpignan. Il est papa d’un petit garçon de treize mois. « Je viens aux cours de français trois fois par semaine. Je ne fais pas d’autres activités car je m’occupe de mon enfant. Ma compagne est en formation », précise-t-il. S’il obtient ses papiers, Issa compte faire une formation de conducteur de chariot élévateur. « En Afrique, j’avais du travail et ma propre voiture. Le plus difficile en France, c’est de ne pas avoir de travail, ni d’argent. »
Avec la loi immigration, le droit des étrangers est pris pour cible
Tout comme Issa, David* est « dubliné ». Originaire du Bénin, il a quitté son pays pour éviter un mariage forcé. « J’ai traversé le Niger, puis l’Algérie, la Tunisie, l’Italie et la France. » Arrivé à Montpellier le 2 mai dernier, il est en attente de sa convocation à l’Ofpra. « C’était très difficile. Quand je suis arrivé, je n’avais personne. Je traînais dans les rues, je n’avais pas d’endroit où dormir. Je suis resté dans un camp un moment », raconte-t-il. « J’étais vraiment désespéré, le plus dur, c’était de dormir dehors, parce qu’il faisait froid et qu’il pleuvait ».
David a découvert l’association Welcome 66 grâce à son assistante sociale. À Montpellier, il faisait beaucoup d’informatique dans une association locale. « Quand je suis arrivé à Perpignan, j’ai cherché une structure où je pourrais continuer l’informatique. » David se rend à l’association deux jours par semaine. Ce passionné de football, participe aussi à l’atelier batucada. « Si j’ai les papiers, j’aimerais faire de la peinture en bâtiment ou de la coiffure », espère-t-il.
Avec l’adoption de la loi immigration par le Parlement, le droit des étrangers est pris pour cible. Si les Sages du Conseil constitutionnel ont censuré 32 articles sur 86, selon Corinne, celle-ci a quand même un impact. « Ce que l’on vit en ce moment, c’est qu’il y a énormément de réponses négatives de la part de l’Ofpra et de la CNDA. » En attendant, l’association perpignanaise cherche toujours une solution de repli, pour continuer à œuvrer pour les exilés.
*les noms ont été modifiés.
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