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Enquête : Ces dépôts sauvages qui empoisonnent les Pyrénées-Orientales

Enquête : Ces dépôts sauvages qui empoisonnent les Pyrénées-Orientales

Dans les Pyrénées-Orientales, le fléau des dépôts sauvages sévit aux quatre coins du département. En périphérie des villes, certaines zones naturelles sont défigurées par des ordures en tout genre et notamment par les déchets de construction issus de chantiers BTP. Du petit tas d’ordures le long d’un chemin de vigne, aux décharges à ciel ouvert de plus de dix hectares, le nombre de dépôts sauvages a explosé. Photos © Célia Lespinasse.

En France, chaque année, le secteur du BTP produit 250 millions de tonnes de déchets. Selon l’Unicem*, les Pyrénées-Orientales figurent au premier rang des départements d’Occitanie en ce qui concerne les décharges sauvages de matériaux. Un phénomène massif et en croissance perpétuelle dans le département.

Ces drôles de paysages façonnés par l’Homme

Des montagnes de gravats, de plastique et de bois abandonnés en toute illégalité… Cela fait plusieurs années que l’Unicem alerte les autorités sur la présence de dépôts sauvages « hors-norme » qui contaminent les sols de la plaine du Roussillon.

En 2021, une plainte a même été déposée à l’encontre de ces entreprises du BTP peu scrupuleuses, et qui abandonnent leurs déchets en toute illégalité dans la nature. Sept communes du territoire sont concernées : Brouilla, Saint-Génis-des-Fontaines, Rivesaltes, Bompas, Céret, Saint-Cyprien, Pollestres et Sainte-Marie. Des sites gérés en dehors de toute autorisation. Comble de ce marché parallèle, selon le délégué de l’Unicem, les tarifs de ces décharges illégales sont affichés sur un panneau. « Parfois, on atteint un volume de 100 000 m3 de déchets par site », accuse le délégué Unicem des Pyrénées-Orientales.

Si le tribunal a été saisi, l’affaire n’a pas encore été jugée. Pire encore, selon Jean-Bernard Lauze, secrétaire général de l’Unicem, de nouvelles décharges sont sorties de terre depuis la plainte. Des amas de déchets qui s’étendent à perte de vue, parfois sur une dizaine d’hectares. « À Pollestres, c’est une véritable dune du Pilat qui s’est constituée », dénonce Jean-Bernard Lauze.

Les Pyrénées-Orientales mauvais élève dans le traitement des déchets inertes ?

« Le sujet des dépôts sauvages est régulièrement au programme des réjouissances », se désole le secrétaire général de l’Unicem. « Cela fait une dizaine d’années que l’on détecte des sites qui accueillent des déchets de chantier BTP sur des parcelles agricoles, des friches, des terrains communaux… Les Pyrénées-Orientales sont davantage marqués que les autres départements de la région, avec des pratiques qui perdurent. »

En cas de signalement, « on saisit la mairie et les administrations concernées comme la Dreal**, la DDTM*** et l’OFB****, ainsi que les gendarmes et leur brigade verte », explique Jean-Bernard Lauze. Car, insiste-t-il, l’Unicem n’a aucun pouvoir de police.

« Force est de constater qu’il n’y a pas toujours de répondant du côté de l’État ou de la commune concernée. Soit par manque de moyens, ou parce que ce n’est pas dans leur priorité. Nous considérons qu’il est urgent de faire la chasse à ces dépôts sauvages », milite le secrétaire général de l’Unicem.

Face au syndicat, des maires complètement dépassés et une préfecture qui botte en touche ? « Tout le monde se renvoie la balle et rien ne bouge. La préfecture a quand même déclenché des contrôles. » Mais selon les témoignages recueillis par l’Unicem, « l’inspecteur de la Dreal dépêché sur site est arrêté devant le portail ! Il se fait payer un café à la bascule et ne va pas plus loin. »

Pour dévoiler l’ampleur du trafic de ces décharges sauvages, le syndicat amasse des images Google Earth. « Vous remontez les 20 dernières années, vous faites une photo tous les cinq ans. Et tout à coup, vous voyez des extractions, et puis du remblaiement, on voit de tout… »

Gravats, déchets de démolition et bitume déversés en pleine nature

« La justice a un rôle important à jouer, on le voit sur d’autres départements de la façade méditerranéenne. » L’Unicem cite des professionnels du BTP lourdement sanctionnés dans le Var. « C’est aussi un moyen de faire évoluer les comportements. » En 2021, le tribunal de Draguignan condamnait les auteurs d’un trafic de vaste ampleur de déchets du bâtiment. L’association France Nature Environnement, qui met régulièrement en lumière la mauvaise gestion des déchets, était partie civile.

« Depuis 2017, un réseau d’entreprises de terrassement déversait des déchets de chantier du bâtiment (terres, gravats, déchets de démolition, bitume, plastique, métaux…) sur des sites non déclarés, principalement situés en zones naturelles et agricoles », décrit sur son site l’association. Les coupables ont écopé d’une peine de quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et d’une amende de 300 000 euros. Le tribunal condamnant aussi à une dépollution du site aux frais des délinquants.

En Occitanie, chaque année, 10 millions de tonnes de déchets inertes jetés

« On met le doigt sur des sujets qui sont irritants pour certains », prévient Jean-Bernard Lauze. Entre les entreprises vertueuses qui choisissent un site autorisé et les entreprises peu scrupuleuses qui jettent leurs déchets dans la nature à moindre coût, la concurrence est rude.

Il existe deux types de gravats. Ceux dits « propres », expurgés des bois, plastique, portes, fenêtres… « On met le béton à nu », explicite le délégué de l’Unicem dans les Pyrénées-Orientales. « Une fois ce béton démoli, il est recyclé pour être réintégré sur les routes par exemple. » Le problème vient plutôt des autres gravats, boîtes en plastique, sacs de ciment, ‘big bag’, résidus de peintures, précise le délégué de l’Unicem. « Sur un bâtiment qui s’écroule place Cassanyes, il est impossible de trier les déchets pour obtenir des gravats recyclables », poursuit-il.

« L’entrepreneur indélicat ne va pas s’embêter à trier. Il va casser, tout mélanger, et ces déchets vont partir dans les décharges illégales », assure Jean-Bernard Lauze. Sur ces terres polluées, aucun suivi de l’environnement n’est effectué. « Sur certains sites visés par notre plainte, l’expert judiciaire a conclu à une pollution des nappes phréatiques, comme à Céret où la présence d’hydrocarbures et d’amiante a été détectée », alerte l’Unicem. En région Occitanie, chaque année, 10 millions de tonnes de déchets inertes sont jetés, et pour 40%, leur destination reste inconnue.

Le recyclage des gravats, une vision de long terme…

Via un système de tri, de lavage, de séparation des plastiques, des bois et des argiles, il est possible de recycler tous les gravats du BTP. Les gravats propres et sains sont transformés en sable, en gravillons ou en béton et réintègrent le cycle du BTP. « Plus on recycle, moins on va extraire dans les carrières ; et moins on enfouit dans nos décharges. » Si pour l’instant le recyclage n’est pas encore rentable, pour le délégué de l’Unicem, il est nécessaire d’avoir une vision sur le long terme. « Dans 30 ans, il nous restera encore des cailloux à extraire, parce qu’on aura fait tout ce recyclage. »

Depuis le mois de mai 2023, un dispositif de Rep (Responsabilité élargie du producteur) contraint les acteurs économiques à se saisir de l’ensemble du cycle de vie des produits qu’ils mettent sur le marché, de leur éco-conception et ce jusqu’à leur fin de vie. « C’est-à-dire qu’une carrière, une centrale à béton ou une entreprise qui vend un produit à destination du bâtiment doit facturer une éco-contribution. Somme qui sera reversée à un éco-organisme national. Cela permet de rémunérer les gestionnaires qui vont accueillir des déchets du bâtiment. »

Dès l’an prochain, les artisans pourront évacuer leurs déchets dans ces sites de référence gratuitement. En attendant, les mêmes professionnels qui lâchent leurs matériaux dans la nature, sont déjà exonérés de 80% de leur facture s’ils choisissaient le recyclage ! Le secrétaire de l’Unicem tient à préciser que ce dispositif de gratuité ne concerne que les déchets de construction et pas ceux des travaux publics.

Ces entreprises catalanes qui revalorisent les gravats

À Baho, l’entreprise Vaills se spécialise dans l’exploitation de carrières et la production de gravier. En mars dernier, cette société a inauguré une unité de retraitement des gravats à échelle industrielle. Ce nouveau procédé par concassage permet de trier les matériaux puis de transformer les gravats en sables et gravillons. Qui seront à nouveau utilisés dans les chantiers.

« Nous avons investi 11 millions d’euros pour équiper notre site. Près de 10 personnes travaillent sur place pour arriver à recycler ces déchets », assure Jean-Vaills, le PDG de la PME catalane. L’entreprise ambitionne de traiter 300 000 tonnes de déchets du BTP chaque année.

Autre solution de réutilisation des déchets de construction, la désimperméabilisation des sols par l’entreprise de terrassement, Caminal. Constatant que les briques et autres tuiles en terre cuite issues de la démolition n’étaient pas valorisées, le PDG de la société, Bruno Sabaté, a conçu un complexe granulaire permettant de stocker un grand volume d’eau. Grâce à la déclivité des parkings et ou routes, cette tranchée enterrée, emplie de tuiles et briques permet à l’eau de ne plus glisser, mais de pénétrer le sol. Une solution alternative aux risques de sécheresse et d’inondations.

Des citoyens des Pyrénées-Orientales excédés par les dépôts sauvages…

Face à ces quantités de déchets colossales, il y a aussi les « petites » décharges sauvages, celles qui ulcèrent les promeneurs aux abords d’un chemin. Des collines de déchets qui s’érigent en pleine nature et sur des zones industrielles. Troncs d’arbres, pneus, écrans plats, carcasses de voitures et autres objets improbables s’agglutinent, sous le regard outré des riverains. S’il fait bon vivre à Torreilles, Georges grimace un peu lorsqu’il se promène le long des berges de l’Agly. À deux pas de la station d’épuration de la ville, des kilos de déchets s’entassent anarchiquement sur un terrain à l’abri des regards.

« Ce sont des déchets de maçonnerie, du ciment avec de la ferrerie à l’intérieur, des gravats, des objets du quotidien, il y a même un vieux camion pourri », s’insurge le retraité. « Un jour, j’ai surpris un petit camion benne larguant ses déchets sur ce terrain. C’est un point de dépôt connu de la mairie. Malgré un barrage installé par les agents municipaux, des personnes sans conscience environnementale continuent de déposer leurs déchets ici. »

…et ces maires impuissants : « Lutter contre les dépôts sauvages, c’est épouvantable ! »

La problématique exaspère Marc Médina, le maire de la commune. « Ce terrain appartient à la mairie, ce n’est pas un dépôt sauvage, mais un endroit que nous avons référencé. » Le maire admet qu’à l’époque, le terrain était ouvert. « Il y a pu avoir des dépôts qui n’étaient pas des dépôts municipaux. » Sur ce terrain, les services municipaux stockent des gravats collectés sur tout le territoire, en attendant de pouvoir les amener en déchetterie. « Tous les deux à trois ans, nous appelons une entreprise de travaux publics qui récupère ces gravats et les recycle. » La municipalité consacre une enveloppe de 10 000 euros au nettoyage de cette zone naturelle.

« Lutter contre les dépôts sauvages, c’est épouvantable », lance Marc Médina. « Aujourd’hui, il y en a sur l’ensemble du territoire, que ce soit dans les vignes, jusque dans les villages. » Si les points propreté sont des containers destinés à recueillir les déchets ménagers, le maire s’insurge d’y trouver canapés, machine à laver, tables ou chaises. « Les gens ont une carte d’accès gratuite à la déchetterie. Ils font l’effort de charger leurs voitures avec le matériel dont ils veulent se séparer, mais ils ne sont pas capables d’aller à la déchetterie qui est à 1 km de Torreilles ! » Si les apports des professionnels sont facturés dès le premier kilo réceptionné, les particuliers peuvent en revanche déposer gratuitement jusqu’à 1 200 kg de déchets par trimestre.

Le maire doit faire usage de ses pouvoirs de police, sur le plan pénal et administratif, dès qu’il constate un dépôt sauvage. « On essaie d’identifier les pollueurs. Sur certains points propreté, nous avons pu capturer des plaques d’immatriculation grâce à des caméras. « La police municipale fouille les décharges à la recherche de documents qui nous permettraient d’identifier une personne à l’origine du dépôt sauvage. » Mais à quelle peine s’exposent ces pollueurs ? « Un dépôt sauvage sur un point propreté, c’est 135 euros d’amende. » Une amende qui peut grimper jusqu’à 1 500 euros si les déchets se trouvent sur un espace naturel.

Les chasseurs des Pyrénées-Orientales traquent aussi les dépôts sauvages

Le 16 mai dernier, les chasseurs de Saint-Estève ont organisé une nouvelle opération Garrigue Propre. « Notre but est de nettoyer la commune de tous les déchets », explique Mathieu Piqué, président de l’Association Communale de Chasse Agréée (ACCA). « Ces déchets, on les voit apparaître toute l’année. Nous venons de nettoyer la zone de Torremila. Mais je suis sûr que si on y retourne, il y en aura des nouveaux », se désespère le chasseur. « Cela peut être de la terre, comme des gravats. L’autre fois il y avait des imprimantes, des télés, des vélos… On a même trouvé une maison abandonnée par un maçon ! » Cette année, le collectif a récolté quatre bennes de déchets !

Ces derniers mois, l’UNICEM a reçu de nombreux retours des maires du département souhaitant agir de concert avec le syndicat. Dans un même temps, des associations comme France Nature Environnement restent actives sur le sujet. « Je pense qu’il y a eu une prise de conscience significative sur les dépôts sauvages », constate Jean-Bernard Lauze, qui espère éradiquer ce genre de pratique.

  • *Unicem : Union nationale des industries de carrières et des matériaux de construction
  • **Dreal : Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement
  • ***DDTM: Direction départementale des territoires et de la mer
  • ****OFB : Office français de la biodiversité

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Célia Lespinasse