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Racisme à Perpignan : quel climat deux mois après la lettre adressée à Brigitte ?

Racisme à Perpignan : quel climat deux mois après la lettre adressée à Brigitte ?

Article mis à jour le 26 août 2024 à 12:12

La lettre raciste reçue par Brigitte, commerçante de Perpignan, a révélé un racisme décomplexé à l’occasion de la campagne des législatives. Deux mois après, nous l’avons contactée ainsi que des associations antiracistes afin de dresser un tableau des actes racistes à Perpignan. Photo © Nour Chamoun / Scopio.

Le 3 juillet 2024, dans l’entre-deux tours des législatives, Brigitte trouvait dans sa boîte aux lettres un courrier raciste. Cet acte nauséabond a de loin dépassé nos colonnes. Il a fait écho aux trop nombreux incidents déclarés au cours des derniers mois. La campagne des élections législatives a contribué à leur explosion : insultes, agressions, tags… en juin, presque aucun jour ne s’est passé sans que des violences soient commises. Mais qu’en est-il du racisme dans une ville déjà aux mains de l’extrême-droite depuis 2020 ? Et comment habitants et associations y font-ils face ?

« Je suis beaucoup plus attentive, je fais très attention. »

« Cette lettre m’a énormément surprise », explique Brigitte. Cette habitante de Saint-Mathieu n’avait en effet jamais été confrontée à un racisme aussi affirmé dans ce quartier qu’elle dit « diversifié. » La période de campagnes électorales a coïncidé selon elle avec une « libération de la parole raciste » et une augmentation de « l’agressivité globale. »

« Il faut qu’on fasse très attention, et que les gens ne pensent pas que tout va bien. Je ne veux pas dire que tout va mal, mais que rien n’est acquis. »

Désormais, la Perpignanaise déclare être plus vigilante qu’avant la découverte de cette lettre. Face à un livreur agacé pour une place de stationnement, elle se demande par exemple « s’il [lui] parle comme ça parce qu'[elle] est en colère de nature ou parce qu'[elle est] noire. » Mais la peur ne doit pas être de son camp, affirme Brigitte, qui projette pourtant de prendre des cours de self-défense à la rentrée.

Le racisme en hausse à Perpignan ?

Le MRAP 66*, association antiraciste des Pyrénées-Orientales constate aussi une hausse des actes racistes. Selon Maryse, bénévole de l’antenne locale de Perpignan, les déclarations de tels incidents ont décuplé au cours des derniers mois. L’association dispose d’un local dans le quartier de la Réal. Les Perpignanais victimes de racisme peuvent y trouver un soutien moral ou juridique. Alors que les bénévoles ne voyaient pas plus de quatre visiteurs par mois, ils étaient parfois trois par semaine en ce début d’année 2024.

Maryse détaille : « le plus souvent, ce sont des querelles de voisinage. » Insultes, remarques sur l’odeur, dégradations de véhicules, vols de places de stationnement… sont autant d’incidents recensés dans les bureaux du MRAP. Les personnes noires et arabes sont les plus nombreuses à venir. Souvent, ce sont des personnes précaires, explique la bénévole. Pourtant, selon elle, rares sont les victimes de propos racistes à venir demander de l’aide.

« Il y a parfois des problèmes de racisme flagrants comme cette lettre, mais le plus souvent, les gens ne réagissent pas car ils ont peur [des représailles] », confie la bénévole.

Maryse rappelle qu’un acte raciste est un délit et que le MRAP 66 peut aider à engager des poursuites légales. Mais les signalements vont rarement jusque-là. Les personnes victimes de racisme ou de propos racistes recherchent davantage un espace d’écoute dans leur quartier où elles ne se sentent plus en sécurité avec leurs voisins.

Un constat partagé…

L’association SOS Racisme 66 fait le même constat. Philippe, bénévole, admet que cette libération de la parole raciste n’est plus un débat aujourd’hui. C’est ce qu’il a pu constater lors de sa participation au projet « Salam, Shalom, Salut. » Cette initiative nationale qui se décline localement vise à recueillir la parole des jeunes et promouvoir le vivre ensemble. Durant cinq jours, l’antenne catalane a échangé avec 150 personnes dans plusieurs quartiers de Perpignan… et leur sentiment est unanime, se rappelle Philippe. Un adolescent noir du Foyer Laïque du Haut Vernet confie avoir été victime de discriminations lors d’un match de rugby la semaine précédente. Sans oublier la mention des nombreux contrôles policiers dans son propre quartier.

Philippe avoue être choqué face à cette désinhibition des comportements racistes dans l’espace public qui, selon lui, s’est clairement accélérée. Il suffit de se rendre sur les réseaux sociaux, déclare-t-il. Pour le bénévole, la campagne des législatives a été un terrain propice. Au-delà des réseaux sociaux, selon le bénévole, à Perpignan, il ne serait pas rare d’entendre des personnes dire que les « bougnoules » devraient quitter la France.

« Solides et solidaires »

Face à ce racisme décomplexé, l’existence même des associations antiracistes est primordiale. Dans les Pyrénées-Orientales, elles sont nombreuses à proposer de l’aide aux personnes immigrées ou qui se disent victimes de racisme. Le MRAP 66 et SOS Racisme contribuent par exemple à sensibiliser le grand public aux enjeux liés à la migration et au racisme. Un travail nécessaire pour déconstruire les « problèmes » injustement imputés à l’immigration. Ces associations mènent également une « bataille culturelle » contre l’extrême droite, souligne Philippe.

Ces associations aident les personnes en situation d’exil dans le dédale des procédures administratives en lien avec la demande d’asile. Maryse précise que si ces associations existent, c’est aussi pour pallier les manquements de l’Etat en la matière. Elle déplore entre autres la précarité des demandeurs d’asile et la lenteur administrative qu’ils subissent. Si le MRAP n’est affilié à aucun parti, la bénévole n’a pas peur de déclarer qu’elle fait de la politique.

Face au racisme, l’optimisme de Brigitte

Brigitte se dit aussi apolitique, elle défend « la cause de l’être humain ». Pourtant, la politique revient à oeuvrer en faveur du bien collectif, elle en fait nécessairement. Elle a d’abord posté le courrier sur son compte Facebook afin d’éveiller les consciences sur le racisme. Mais face au partage massif de la lettre, la commerçante a eu le sentiment que quelque chose la dépassait. Cet incident a été un déclic : elle a pris conscience du « travail énorme à faire », de la nécessité de « se réveiller » en tant que citoyen. Au-delà d’un acte raciste isolé, c’est de l’existence même de notre démocratie dont il semble être question.

« Une espèce de petite graine a été plantée, et c’est pour moi le plus important. »

La plainte déposée suite à la réception de la lettre raciste de Brigitte n’a pas encore eu de suite judiciaire. Mais la Perpignanaise reste optimiste. Celle qui est fière d’avoir porté la flamme olympique entre Port-Vendres et Collioure se réjouit de la vague de soutien qui a suivi l’incident. Ce qui est sûr, c’est que Brigitte ne va pas s’arrêter de parler. Comme elle dit, « si la base ne bouge pas, le sommet restera tel qu’il est. » Un exemple qui fait lumière dans un contexte délétère.

* Antenne locale du Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié des Peuples.

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Valentin Arnal