Article mis à jour le 4 octobre 2024 à 09:17
Ce samedi 5 octobre se tiendra la cinquième édition des Nocturnes du palais. L’occasion pour les magistrats de Perpignan de dévoiler au public le fonctionnement de la Justice. Si en 2023 et 2022, les Nocturnes du palais mettaient en scène un procès de 1842, en 2024, le président du tribunal a choisi de revenir à des faits contemporains.
Ce 5 octobre, Alex est à la barre. Le jeune homme de 25 ans est accusé d’avoir, deux jours plus tôt, commis des violences sur Karine, sa concubine et mère de son fils. Il est entendu dans le cadre d’une comparution immédiate.
Le samedi matin précédent, jour de répétition, l’avenue Abbé Pierre est calme, et c’est le président du tribunal lui-même qui déverrouille la salle des assises pour les comédiens qui vont enfiler les robes avant les Nocturnes du palais du samedi suivant. Avant de rentrer dans la peau du personnage, certains boivent un café, dégustent un chocolat, d’autres encore choisissent d’aligner les calembours pour faire redescendre le trac avant de monter sur scène.
Comme dans la vraie vie, Alex comparait devant les juges de Perpignan
Dans la grande salle des assises flambant neuve, Karine est accompagnée de son avocat, Maître Audoros. Face à eux, Alex et son avocat, Maître Heya. Sur les bancs, le public est attentif, puis, la sonnette retentit. Et la voix annonce : « Le tribunal, veuillez vous lever ! ». La présidente, et ses deux assesseurs pénètrent dans la salle, et le silence se fait immédiatement. Les débats peuvent désormais débuter. La présidente invite le prévenu à décliner son identité, sa date, et son lieu de naissance et domicile. Alex Rodriguez, écrasé par la solennité du lieu, murmure ses réponses puis écoute les motifs de sa comparution immédiate devant la Justice.
« Vous êtes accusé d’avoir volontairement commis des violences ayant entraîné une ITT* de plus de 8 jours sur Madame Karine Puig alors que vous êtes le concubin de la victime. Vous agissiez en état d’ivresse manifeste et sous l’emprise de produits stupéfiants. Et les faits ont été commis en présence de votre fils mineur Kévin. »
Puis la présidente récapitule les faits et les témoignages tels que recueillis par les gendarmes. Karine d’une petite voix confirme ce qu’il s’est passé. « En fait, tout est parti en vrille samedi dernier. Ce soir-là, Alex a encore été violent avec moi. Il avait fumé et bu alors qu’il m’avait promis d’arrêter toutes ces saloperies. Il s’est emporté, m’a insulté, tiré les cheveux et jetée violemment sur le canapé. Je pleurais et lui il ne faisait que répéter que je l’avais bien mérité. »
« Karine vous avez été courageuse »
La présidente questionne Karine sur les circonstances qui l’ont amenée à quitter Alex. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2021, seules 15% des femmes** victimes de violences conjugales ont porté plainte. « J’avais déjà pris la décision de le quitter. Je lui avais annoncé il y a un mois. Mais il ne voulait rien entendre et s’énervait encore plus. J’ai hésité, car j’avais peur de ses réactions. Mais je suis quand même allée déposer plainte à la gendarmerie le 2 octobre. » Selon un rapport du ministère de la Justice, « les moments de l’annonce de la rupture ainsi que les premiers temps de la séparation du couple démultiplient et intensifient les risques. »
Plusieurs outils permettent de mettre en sécurité la victime, téléphone grave danger, mise en place d’une ordonnance de protection. Mais dans le cas de Karine, la comparution immédiate permet de prendre les mesures d’urgence.
Séance de maquillage pour la comédienne destinée à faire apparaître les coups reçus par son personnage Karine.
La veille de l’audience, Karine avait dû revenir dans son appartement pour y prendre quelques affaires, Alex était là.
« Il était enragé, il avait encore fumé et bu. Et il m’a hurlé dessus. De quel droit je l’avais balancé aux flics. Là, c’est parti d’un coup, il m’a giflée, insultée. (…) Il m’a donné un coup de poing dans la mâchoire. Je suis tombée, j’avais la bouche en sang. » La voisine a appelé les gendarmes qui sont arrivés rapidement. Et Karine a décrit les violences répétées. « Plusieurs fois par semaine, j’avais droit à des gifles, des coups de poing, des bousculades, des tirages de cheveux, des insultes. C’était l’enfer. » Outre la joue enflée et rougie, le certificat médical indique que Karine a deux dents cassées. Après ses déclarations, Karine rejoint son avocat, ce dernier lui souffle à l’oreille : « Karine, vous avez été courageuse. »
« Des gifles oui, mais jamais de coups de poing ! »
Après les mots de Karine, la présidente appelle Alex à la barre. Le jeune homme comparait débraillé après sa nuit au poste. La présidente lui rappelle une précédente affaire de violence en 2018, et une amende de 2021 pour usage de stupéfiants. Alex se mélange, pour l’alcool, juste une bière de temps en temps, et pour les stupéfiants ? Oui, il prendra bientôt rendez-vous. Pour les violences ? Il s’emballe, « je n’ai jamais été violent envers les femmes ! ».
Repris de volée par l’assesseur, le ton d’Alex redescend d’un cran. « C’est vrai, la situation était devenue catastrophique. On n’arrivait plus à communiquer. On en est arrivés à se battre, à se pousser. Il y a eu des gifles de sa part comme de la mienne. Et j’ai fini par exploser. Je reconnais que j’ai été violent avec ma femme, des gifles oui, la pousser oui, tirer les cheveux aussi. Mais je ne lui ai jamais donné de coups de poing, jamais ! »
Si le procureur prend acte que les faits ne sont pas niés, il relève qu’Alex tente de les minimiser. Et le procureur de la République réclame de la fermeté face à cet énième cas de violences conjugales. « Il faut amener monsieur Rodriguez à réfléchir sur son mode de raisonnement quant à la cause de ces actes dont il est le seul auteur et le seul responsable. » Puis le procureur requiert une peine de prison ferme et une obligation de soins.
L’avocat du prévenu tente d’amoindrir la peine rappelant qu’Alex ne conteste pas les faits, qu’il a un emploi stable, un domicile et que la procédure lui a permis une réelle prise de conscience. Comme pour illustrer les propos de son avocat, Alex se lève et les yeux baissés déclare, « Madame le juge, je regrette sincèrement. Karine je te demande pardon. »
Quand le tribunal de Perpignan entrouvre la porte des délibérés
Nouveauté pour ces Nocturnes du palais 2024, le président du tribunal a fait le choix de montrer les coulisses des délibérés et d’expliquer comment se prennent les décisions. Pour l’occasion, Madame Gozzi, auditrice de justice assiste à l’audience. Lors du délibéré, cette magistrate en formation permet d’expliciter les règles de droit, et de décrypter le raisonnement qui conduit les juges à prendre leur décision.
Victimes de leur succès, les Nocturnes du palais 2024 se joueront une nouvelle fois à guichets fermés.
*ITT : Interruption temporaire de travail.
*En 2021, 239 000 victimes de violences au sein du couple ont été enregistrés par les services de police ou de gendarmerie. Parmi les victimes 86% sont des femmes.
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